Rencontre avec Emmanuel Daucé : producteur, un métier en mutation ?

A l’occasion d’un cours au CELSA, les Effeuilleurs ont eu la chance de rencontrer Emmanuel Daucé, directeur du département Fiction de Tétramédia, société de production audiovisuelle et co-directeur du parcours Séries Télévisées de la FEMIS. Pendant deux heures, il a parlé  de la production des séries en France, de ses réalités économiques et de ses ambitions. Ancien élève de la FEMIS (l’école nationale supérieure des métiers de l’image et du son), Emmanuel Daucé est notamment connu pour avoir produit Un Village Français et Les Hommes de l’Ombre.

 

Produire des séries en France : un défi à relever

En tant que producteur, Emmanuel Daucé nous a placés, nous étudiants de Master professionnel, face aux réalités du marché des séries télévisées en France. Il a beaucoup insisté sur la volonté, récente, de mettre plus d’argent afin de créer une valeur de catalogue avec des séries en format 52 minutes. C’est la recette adoptée par Un Village Français, produit par Tétramédia. « La série cherche avant tout à marquer une époque ». L’échange s’est poursuivi avec l’immersion dans la gestion de la production d’une série française avec les particularismes nationaux. « On produit pour continuer à produire, les gains ne sont pas exponentiels avec le succès ». En effet, quand une série connaît une réussite en termes d’audiences, ce succès permet d’abord de voir la production relancée pour des saisons supplémentaires. C’est à l’exportation que l’on génère les bénéfices, mais à l’heure actuelle, les séries télévisées françaises s’exportent peu… et pour pas cher.

La concurrence des séries américaines joue beaucoup ici ; les coûts sont 4 à 5 fois moins élevés en moyenne par épisode pour les acquisitions étrangères. Un Village Français répondait à un appel d’offres de France3, les diffuseurs étant très exigeants, les coûts de production revenaient en quasi-totalité à leur charge. Emmanuel Daucé rappelle qu’« une série fonctionne quand elle crée du lien. Cela passe par de l’addiction et de l’empathie provoquées chez le téléspectateur ». La question du lien est en effet au cœur des préoccupations des diffuseurs dans un contexte où le lancement de la TNT et l’émiettement des audiences générales dans l’offre audiovisuelle élargie ont mis un terme à la régence de la série policière française sur TF1. Sur un format de 90 minutes, réunissant des audiences massives, dans un genre très codé, elles avaient fonction de catharsis au sein de la société française.

 

Des budgets serrés à toujours optimiser

La figure naissante du showrunner, c’est-à-dire de l’auteur-producteur, en France, devrait permettre l’émergence d’une génération de jeunes auteurs talentueux ayant aussi conscience des enjeux économiques de production. Emmanuel Daucé énonce ce adage : « ce qui est rationnel économiquement fait une meilleure série ». Et il l’explique ainsi : cela passe par la pratique du cross-boarding, on tourne, par exemple, sur un même décor toutes les scènes de la saison à la suite. Une optimisation qui s’appliquera en préférant des personnages et des décors pré-existants dans l’écriture des nouvelles scènes. « Un budget de production doit toujours être à l’équilibre », voilà le maître-mot de notre invité.

Dès l’écriture, il faut avoir en tête les décors possibles, la disponibilité du casting et la faisabilité des scènes coûteuses en fonction du budget imparti. On établit des plans de travail sur ces bases, pour proposer des devis aux diffuseurs. Une série est un projet qui se mature avant d’être soumis à l’appréciation d’un chargé de programmation. Emmanuel Daucé insiste : « il faut être convaincu par son projet pour être convaincant ». Le producteur a aussi à sa charge de garantir une continuité de style, tout en laissant évoluer le scénario avec son époque, sur les temps longs de production. Chaque saison est d’ailleurs construite autour d’un mot-clé, qui reflétera son ambition sur une durée précise en fonction de l’évolution du scénario.

En écoutant Emmanuel Daucé, on prend conscience que l’auteur et l’écriture sont au centre de ce qui fait l’essence, et par là-même la qualité, d’une série télévisée. De l’option posée sur une « bible », première ébauche de scénario, jusqu’à la post-production, en passant par les exigences du séquencier, tout est calculé. Le producteur est présent et impliqué dans chaque étape de création. Il est, avec l’auteur, le « cœur battant » de ce que donne la série à ceux qui la regarderont.

 

Par Gaëtan Manouvrier, étudiant C3M, 2014 – 2015