70 noms de domaines enregistrés, 347 nouveaux blogs sur WordPress, 278 000 tweets ou encore 72 heures de vidéos uploadées, les chiffres publiés par l’agence QMEE en 2013 relatifs à une minute passée sur le Web peuvent donner le vertige. Comment trouver un contenu de qualité dans cette masse d’information que l’on nomme « l’infobésité »? C’est dans ce Tsunami de données que la curation peut jouer un rôle décisif en donnant une véritable valeur ajoutée à l’information présente sur le Web.
Sans remonter à la préhistoire, la première apparition de la curation est « off-line ». En créant le Reader’s Digest, DeWitt Wallace imagine un magazine composé d’articles condensés issus de plusieurs magasines populaires. Dans les pays francophones le titre du magazine est « La sélection du Reader’s Digest », la sélection étant une des composantes essentielles de la curation.
En 2009 la curation devient on-line avec Rohit Bhargava qui publie « Manifesto for The Content Curator : The future ? ». En France la curation commence à devenir un sujet de conversation vers 2010.
De nos jours les curateurs sont nombreux, l’un des plus célèbres d’entre eux est Robin Good (masternewmedia.org) c’est un des premiers à pointer le « Tsunami d’information » que l’on peut recevoir par jour, la déferlante de tweets aux sources non vérifiées, la difficulté pour une personne débutante de faire le tri entre un marketeur ou un spammeur… Outre cette problématique, la réelle difficulté consiste à localiser la source de l’information, ce pour de multiples raisons : réutilisations intempestives d’un article, utilisation à outrance du reblog : on rebaptise le titre de la source d’un titre légèrement différent mais avec un contenu qui est le même sans angle.
Les enjeux de la curation
Le nom de curateur (curator) fait référence à un conservateur d’un musée chargé de mettre en valeur les oeuvres lors d’une exposition (du latin cura, le soin). La curation est l’action de rechercher, sélectionner, éditorialiser, et partager du contenu existant. On pourrait par analogie rapprocher le curateur du DJ qui mixe la musique des autres pour produire une œuvre à part entière par la valeur ajoutée qu’il y adjoint.
Contrairement à une simple agrégation de contenu (une sélection de sources qui produisent du contenu), la curation (l’éditorialisation de sources pour produire du contenu qualifié) demande une intervention manuelle, humaine, qui se concrétise par les étapes de la sélection et de l’éditorialisation. L’intérêt de la curation réside dans le fait de pouvoir enrichir le contenu existant de votre point de vue. La curation modifie donc la lecture de la source originale par l’ajout de données supplémentaires (texte, liens, etc.). C’est le passage du Web sémantique au Web des données.
La curation par les plateformes Web, couple l’humain par la mise en avant de contenu existant et les algorithmes, par une mise en avant de la curation interne à la plateforme. Si l’intérêt du curateur est de travailler le contenu existant pour en faire ressortir l’essence d’une matière première sémantique, l’intérêt des algorithmes de recherche et de mettre en avant les thématiques ayant une forte valeur ajoutée (par le nombre de partage des autres curateurs par exemple). Si la complexité de l’algorithme du search ne fait aucun doute dans les nombreux paramètres à prendre en compte (fraicheur du contenu, adéquation entre le terme recherché, le titre et la description, etc.) si le search d’une plateforme de curation est incapable de vous faire découvrir « la bonne curation »de vos pairs, cette plateforme devient juste une citerne de l’information.
Comment effectuer une curation ?
On peut assimiler une partie de la veille à la première étape de la curation, celle-ci peut être effectuée soit dans une visée personnelle soit professionnelle. La recherche de contenu peut se faire d’une manière manuelle (lecture d’un article d’un blog, lien dans un tweet, etc.) ou automatique (flux RSS, newsletter, etc.). La sélection sera quant à elle manuelle, la valeur ajoutée se mesure en effet à la fois par la sélection du contenu opérée et par l’ajout d’un point de vue personnel.
Entre 2010 et 2013 ce sont des dizaines d’outils pour les professionnels et de plateformes de curation accessibles en ligne qui voient le jour, parmi lesquelles :
Ces outils ont grandement facilité la tâche des curateurs. Cependant, les étapes essentielles de la curation restent les mêmes. Avant toute chose, il est fondamental de choisir son sujet et de délimiter son champ, en fonction du domaine d’activité et du secteur dans lequel vous exercez.
Le premier temps consiste donc à sélectionner des contenus (articles, dépêches ou autres) qui se réfèrent directement au champ suscité. A cette étape, le rôle du curateur est déterminant puisque connaissant parfaitement son domaine, il est à même d’évaluer la pertinence des contenus diffusés. Il effectue également une recherche sur les sources, et opère des vérifications rigoureuses.
La seconde étape est peut-être la plus délicate, dans la mesure où manipulant le contenu d’autrui, il doit en restituer la paternité tout en y ajoutant son commentaire, son interprétation, par exemple en insérant des liens connexes, en accolant d’autres contenus qui infirment ou confirment le contenu existant. Il faut noter que la curation est protégée en France par le « droit à la courte citation » en pratique tout individu peut citer un passage d’un article sur le Web à la hauteur de 10%.
La rigueur et l’honnêteté intellectuelles sont donc indispensables à ces tâches, qualités que, nous en conviendrons, aucune machine ne pourra jamais acquérir.
En quoi la curation rend service à l’utilisateur
Au delà de s’afficher comme un média sur une thématique pour une entreprise ou de devenir un expert sur un sujet donné, la curation de contenu peut être un des moyens de gestion d’une E-réputation. J’effectue régulièrement une veille sur mon « Prénom Nom », j’ai donc ouvert un topic « Jérôme Deiss » sous scoop.it. Il me sert à conserver les articles que j’écris ou les articles écrits par d’autres à mon sujet. Deux côtés positifs ressortent de cette curation personnelle : en premier lieu, cela implique qu’une recherche sur mon nom et mon prénom fait remonter mon topic en seconde page des résultats de Google, il permet donc de maitriser le contenu recensé par le moteur de recherche le plus utilisé au monde. Le second côté positif vient du contenu même de votre curation. La typologie de contenu d’une curation est variée, articles, vidéos, photos… Les contenus de types « texte » remontent assez facilement dans les moteurs de recherche ce qui est moins évident pour un contenu de type photographique. C’est pourtant le cas sur la recherche « Prénom Nom » me concernant plusieurs images indexées dans mon topic sous scoop.it remontent dans la recherche de Google images. Je peux donc en déduire que la curation sur mon « Prénom Nom » indexe un contenu maitrisé et positif autour de mon identité numérique.
Les écueils de la curation
Si la curation est une discipline nouvelle, elle soulève déjà de nombreuses questions.
Le grand nombre d’outils disponibles au service du curateur peut laisser croire que cette activité s’improvise. Or, bien évidemment il n’en est rien. La curation n’a d’intérêt que si les sources sont éditorialisées et commentées. La pure agrégation de contenu ne constitue que du stockage de masse c’est-à-dire du bookmarking.
De plus, on pourrait penser que les curateurs sont nombreux, or il n’en est rien : les comptes inactifs sont pléthore, et le nombre de personnes qui ont ouvert un compte sur l’ensemble des plateformes de curation et qui ne l’utilisent pas ou peu est très important…
Enfin, si la curation est aujourd’hui davantage pratiquée par les individus que par les marques, le frein principal (tout au moins en France) provient du fait qu’il est difficile de mettre en avant le contenu d’un concurrent sur une thématique de veille.
Ainsi peut-on dire que si la curation n’est encore que peu utilisée par les marques, les curateurs professionnels ou amateurs se servant de ces techniques précises sont en réalité encore très rares en France.
« Content Curation Is Not Content Marketing »
La curation constitue l’un des remèdes à l’infobésité, cette pratique est en pleine expansion, ce n’est plus un effet de mode mais bien une réelle stratégie de contenu. Il est important que des écrits théoriques voient le jour pour qu’elle ne soit pas dévoyée par des amateurs non éclairés qui n’en comprennent pas véritablement les enjeux ni le sens. Comme le souligne Robin Good dans un article récent « Content Curation Is Not Content Marketing ». Si tel était le cas les plateformes de curation ne feraient qu’augmenter la surabondance d’information plutôt que d’en pallier les dangers.