Communiquer sur le lancement d’un format innovant et participatif, quelques avantages et beaucoup de difficultés

Anarchy est un format innovant dans l’univers télévisé français. Ses producteurs ont pris le parti de la nouveauté en concevant ce programme participatif. Cependant, les audiences télévisuelles n’ont pas été très importantes, pour ne pas dire particulièrement faibles : 54 000 personnes pour le premier épisode, pas de progression nette par la suite.

Plusieurs éléments peuvent expliquer ces résultats, de la nouveauté de ce programme à la communication qu’a opérée France Télévisions, en passant par les horaires de diffusion chamboulés en milieu de diffusion. C’est à la communication mise en place que nous nous intéressons ici.

La série télévisée Anarchy, c’est 8 épisodes de 20 minutes diffusés du jeudi 30 octobre 2014 au jeudi 18 décembre

Pour les téléspectateurs, le mystère

Comme souvent lorsqu’un diffuseur se lance sur un terrain peu exploré, il communique d’abord sur cette nouveauté pour présenter aux téléspectateurs potentiels le format qui va être mis à l’antenne. France 4 a débord choisi d’orchestrer le mystère. Avant la diffusion du premier épisode le 30 octobre 2014, la chaîne a diffusé un trailer dans lequel il était difficile de cerner l’histoire de cette nouvelle série. Les affiches collées dans le métro parisien deux semaines avant la diffusion du premier épisode cultivaient elles aussi cette idée d’un mystère à percer : on y voyait une bouche hurlant dans un univers coloré aux teintes verdâtres et oppressantes, avec le rendez-vous annoncé sur France 4 chaque jeudi soir pour percer les mystères de cette image angoissante.

Le thème visuel principal du projet est nimbé d’une aura d’angoisse. Le visage d’un homme, en costume élégant, s’envole dans un nuage carmin. L’individu est aspiré. Ne reste que son vêtement, symbole d’une classe sociale en proie à un grand péril. Le graphisme du titre est lui aussi très évocateur, le C de Anarchy apparaît comme un Euro malmené, ce qui correspond exactement au sujet de l’émission. Il effraie de concert avec le costume de l’homme d’affaires, on ignore ce qui va advenir mais on sent bien que leurs sorts sont liés, pour le pire.

Ainsi, sur les supports traditionnels (identité visuelle, affichage, autopromotion à l’antenne), la chaîne a pris le parti d’axer sa communication autour de l’aspect mystérieux du programme, en cohérence avec son contenant (un dispositif inédit) et son contenu (une science fiction politique et réaliste).

Pour les internautes, le manuel d’utilisation

Cependant, nous l’avons vu , le besoin d’inciter les destinataires à devenir des participants nécessitait l’élaboration d’un propos non pas allusif mais au contraire détaillé, explicatif, qui instruise sur les tenants et aboutissants du dispositif transmédiatique. La stratégie de communication de France 4 a donc joué sur deux tableaux, certes pour avancer sur deux jambes mais au risque du grand écart. Tous les discours d’accompagnement pour aider les joueurs et les guider dans l’écriture de ce projet ambitieux ont été publiés sur le site officiel du programme. Là et nulle part ailleurs. Hormis les reprises dans les articles de journalistes qui parlaient du projet, la chaîne n’a jamais dépassé les limites du site pour expliquer les rouages d’Anarchy. Cette dissociation (d’un côté l’adresse au téléspectateur, de l’autre l’adresse à l’internaute futur participant) était certes pragmatique mais elle ne favorisait pas la compréhension globale. Pour le dire vite, il n’y avait pas vraiment de lien établi entre deux figures censées pourtant se fondre dans l’idéal de la fiction participative : le téléspectateur et le joueur. En l’occurrence, il pouvait être compliqué pour un téléspectateur tombant par hasard sur la série de saisir pleinement les enjeux de ce nouveau programme.

Cette communication à deux versants clairement délimités peut avoir contribué aux faibles chiffres d’audience, en ce sens qu’elle n’a pas favorisé une émulation large. Recruter un public de joueurs est probablement difficilement conciliable avec une démarche grand public. Or, dans une fiction participative, la première des priorités est de recruter des participants.

Une autre explication réside sans doute dans la programmation. Les épisodes ont d’abord été diffusés en seconde partie de soirée, tout d’abord à 22h50, puis ils ont été repoussés à un horaire encore moins avantageux en milieu de parcours : 23h50. Ajouté à ces horaires difficiles, il faut également prendre en considération les audiences généralement faibles, et même en constante baisse, de France 4. En effet, la 14ème chaîne de France a perdu 0.5% de part d’audience entre 2012 et septembre 2014. [Source Médiamétrie] La petite chaîne de la famille publique a fait le pari de ce projet en sachant que son gain en notoriété et en image serait probablement supérieur à son gain d’audience, qui ne pouvait qu’être marginal.

Car ici les audiences (0.3% de part d’audience en moyenne…)  ne sont sans doute pas à interpréter au pied de la lettre. La participation s’est jouée sur le site et l’innovante Anarchy a été commentée dans d’autres espaces médiatiques. Si ce type de projet voit le jour sur des chaînes plus importantes, il sera intéressant d’observer ce qui se passe et en particulier comment les équipes de communication accompagnent le lancement, entre communication au plus grand nombre et informations adressées au public encore restreint de ceux qui sont avides de jouer un rôle dans une aventure transmédia. L’hypothèse que nous pouvons de toute façon considérer comme très probable, c’est que le dispositif transmédiatique n’est pas un moteur de large audience, de par sa configuration même.

Premièrement, faire écrire des contributeurs non professionnels est plus compliqué qu’écrire au sein d’une équipe expérimentée dont c’est le métier  ; deuxièmement, une large part de l’action est alors consacrée à l’incitation et à l’accompagnement du processus d’écriture des non professionnels ; troisièmement, cette écriture partagée peut contribuer à la créativité et à l’enrichissement relationnel mais elle ne se concrétise pas nécessairement en une production télévisuelle plus satisfaisante pour les téléspectateurs ; quatrièmement, et c’est ce sur quoi nous avons insisté dans cet article, la stratégie de communication d’une œuvre télévisuelle participative (l’ensemble des discours d’accompagnement) est à la fois cruciale et complexe, car les moyens et les objectifs sont partagés entre deux types de publics qui sont censés idéalement fusionner (le principe repose sur l’idée selon laquelle le téléspectateur serait aussi auteur) alors qu’ils restent dans la pratique foncièrement distincts (seule une part infime des téléspectateurs écrit, et ceux qui écrivent ne sont pas tous des téléspectateurs assidus).