Connexion et déconnexion : appropriations d’une tendance

Face à l’impératif de connexion omniprésent dans notre société s’élève un discours sur les effets d’Internet qui incitent de plus en plus à débrancher. Quelle est cette tendance ? Qui sont les porteurs de ce discours ?

Cet été, alors que je lisais sagement Néon magazine, je suis tombée sur un article intitulé « Accro à Internet, même en vacances»[1] où tout démontrait qu’il existerait aujourd’hui un profond problème dans notre quotidien : l’excès de connexion.

En effet, d’après le site Openoox.com[2], 96% de ses utilisateurs français ne veulent pas se déconnecter pendant les vacances. Leur destination serait même conditionnée par la possibilité d’avoir accès à Internet. Selon Médiamétrie, en mars 2016, on comptait près de 88,1% de Français qui s’étaient connectés à Internet au moins une fois dans le mois, soit 45,6 millions d’internautes âgés de quinze ans ou plus. Les personnes déconnectées ne représenteraient donc que 11,9% de la population française.  Ce pourcentage comprend à la fois les personnes âgées qui n’utilisent pas Internet dans leur quotidien, une partie de la population qui ne s’est jamais connectée et les digital detox que je définirai par la suite.

Ce phénomène semble donc particulièrement mineur. Pourtant, les discours sur la déconnexion se multiplient pendant les vacances, mais aussi tout au long de l’année. Des reportages et des enquêtes sont réalisés, les témoignages prolifèrent. C’est ce paradoxe entre l’ampleur de la médiatisation et le caractère mineur du phénomène qui a alimenté mon envie d’interroger ces discours : pourquoi tant parler d’un phénomène pourtant minoritaire en France ?

JD Hancock « Accro à Internet, même en vacances ! », 2015

Qui sont les déconnectés?

Le Trésor de la langue française définit la déconnexion comme une séparation, « une soustraction d’un ensemble ». C’est la rupture d’une « liaison étroite entre certaines choses, certains phénomènes, certaines idées ». Il s’agit donc ici de la rupture d’un individu avec le média Internet.

Généralement, la déconnexion est présentée sous différents angles : la déconnexion subie par la fracture numérique, la déconnexion choisie en vacances voire la déconnexion engendrée par un problème technique. Tout comme il existe plusieurs formes de déconnexion, les déconnectés ne sont pas un groupe homogène. Selon l’étude des agences Dagobert et Havas Media[3] réalisée en 2013 sur la tendance de la déconnexion, il existe trois profils de déconnectés:

Les digital outsiders

Ceux qui subissent la fracture numérique et qui sont donc outsiders au sens d’Howard Becker. Selon lui, un outsider est considéré comme déviant car il ne respecte pas une norme. Aujourd’hui, une norme de connexion s’impose, en ne la respectant pas, les déconnectés deviennent alors des

Les digital worried

Ces « inquiets du Web» redoutent le côté « Big Brother » d’Internet et craignent d’être surveillés par l’intermédiaire de traces qu’ils laissent sur les Internets.

Les digital detox

Les internautes qui se déconnectent volontairement du Web parce qu’ils « ont l’impression de passer à côté de la vie réelle », voire de « tomber dans l’addiction ».

Médias, internautes, déconnectés… tout le monde en parle !

Ces trois profils de déconnectés s’expriment : romans, témoignages, articles, vidéos prolifèrent dans les médias et sur… Internet ! Un paradoxe.

Toutefois, ils ne sont plus les seuls acteurs de ce discours. Aujourd’hui, les « digital detox » sont évoqués dans tous les médias ; de Courrier International à Vogue en passant par Rue89, des reportages tentent d’analyser ce phénomène par l’intermédiaire de témoignages tel que « Digital detox : comment j’ai vécu 90 jours sans Internet » produit par Canal + où un journaliste qui se dit « accro à Internet » se coupe de toute connexion[4].

Les internautes, quant à eux, ne dérogent pas à cette règle. Bien au contraire, ils sont les sujets porteurs de ces discours. En effet, avant que la déconnexion ne soit évoquée par les médias, les internautes ont commencé à exprimer certains problèmes liés à « trop de connexion»[5].

En conclusion, il est important de préciser que contrairement aux idées reçues, la déconnexion n’entraîne pas une rupture définitive avec Internet. La volonté de prendre sa distance résulte d’une prise de conscience des connectés qui réalisent qu’Internet a une trop grande place dans leur vie quotidienne. La déconnexion devient alors une pause qui permet de revoir son apprentissage pour, par la suite, mieux gérer sa connexion. La déconnexion est donc une étape qui aide à mieux se reconnecter. Dans le cadre des digital detox, opposer connexion et déconnexion est alors une erreur car au contraire, ces deux sont liés.

Vers un business de la déconnexion ?
Fabia Barbosa Lima, diplômée du Master 2 MISC en 2015

[1] « Accros à Internet, même en vacances », Néon magazine, 19 juin 2015, consulté le 18/06/2015, [En ligne], disponible à l’adresse <http://www.neonmag.fr/accros-a-internet-meme-en-vacances-a421598.html >

[2] Openoox est un site qui permet de personnaliser sa page de démarrage Internet, et organiser ses sites favoris. Leur sondage a été réalisé au mois de mai 2015 auprès de 6000 personnes représentatives de la population française.

[3] « Digital detox : tendance déconnexion », disponible à l’adresse : http://www.slideshare.net/agencedagobert/digital-detox-tendance-dconnexion

[4] «Digital détox : comment j’ai vécu 90 jours sans internet ». Regardez la bande-annonce ici : <https://vimeo.com/127467149>

[5] TURK Gary, Look up, 2014, [En ligne], disponible à l’adresse : <https://www.youtube.com/watch?v=Z7dLU6fk9QY>.