« DANS LES ANNÉES QUI VIENNENT, SPÉCIALISTE DES COPRODUCTIONS INTERNATIONALES VA DEVENIR UN VRAI MÉTIER » – ENTRETIEN AVEC CHRISTOPHE NICK, PRODUCTEUR DE DOCUMENTAIRES

Cet article est le cinquième volet du dossier sur la distribution audiovisuelle coordonné par Valérie Patrin-Leclère et Emmanuelle Fantin, chercheuses du laboratoire GRIPIC, CELSA Sorbonne-Université.

Les discours sur la crise des médias d’une part, sur les injonctions à innover d’autre part, mettent de côté un acteur pourtant important dans la filière audiovisuelle : le distributeur. A force de se focaliser sur les nouveaux usages, les nouvelles écritures, les nouveaux modèles économiques, ces nouveaux concurrents que sont les GAFAN, on risque d’en venir à oublier que le changement concerne également les professionnels de la distribution. Le métier change doublement, car il lui faut intégrer de nouvelles compétences et viser un marché mondial. La Chaire CELSA a produit une étude dont elle livre à Effeuillage des extraits.

Retrouvez l’introduction complète du dossier Phares sur la distribution audiovisuelle.

La société de production Yami 2 est spécialiste des documentaires politiques, sociologiques et historiques. Depuis plus de 20 ans, elle garde le même cœur de métier. Pourtant, depuis 2013, elle a expérimenté des innovations qui impactent ses pratiques professionnelles et nécessitent de nouvelles compétences : elle produit à la fois pour la télévision et pour les médias numériques, elle développe la collection internationale Generation what. Le témoignage de son directeur, Christophe Nick, aide à prendre la mesure des incidences de l’internationalisation du marché. Ce professionnel de l’amont de la filière audiovisuelle parle bel et bien des incidences… de l’aval.

Christophe Nick est journaliste, réalisateur de documentaires et directeur de production fondateur et directeur de Yami2. L’entretien a été réalisé par Laurie Ethève, Roxane Pham et Fiona Todeschini, étudiantes du Master Médias et management 2017-18

Quelles sont pour vous les évolutions les plus marquantes dans le secteur de la production ces dernières années ?

Je n’aurais jamais dit ça il y a un an, mais je crois profondément que pour les producteurs, il est indispensable d’aller à l’international aujourd’hui. Le marché français ne suffit pas à nous donner les moyens de faire ce dont nous avons envie. On peut faire des choses formidables en France mais il y a une nécessité absolue d’aller ailleurs. Et on se rend compte que quand on va ailleurs, à part quinze pays qui sont extrêmement matures, on est encore souvent, soit dans la préhistoire de la télévision, soit dans une mutation qui est allée trop vite. Par exemple, la Thaïlande est passée en deux ans de la télévision hertzienne à la télévision mobile, donc de trois chaînes d’État à soixante chaînes à disposition, quasiment sans contenu ! Ce n’est pas le seul pays dans cette situation ! Donc il y a une demande à la fois de savoir-faire et de contenus, ce qui donne aux producteurs français la possibilité de travailler sur une vision plus mondiale de ce que l’on a à dire et qui, je crois, correspond à la nouvelle génération, celle qui produit comme celle qui visionne les contenus.

Manque-t-il des compétences ou même des métiers pour répondre au besoin de produire à l’international ?

Il y a un métier qui manque terriblement, ce sont des chargés de production, des directeurs de production, des responsables de production, qui savent aller à l’international, qui parlent plusieurs langues et qui sont capables d’avoir une vision globale de ce que peut être un contrat, la ligne éditoriale d’une chaîne, avec une offre de programmes, une organisation à mener, un suivi à faire… Je suis absolument convaincu que, dans les années qui viennent, cela va devenir un vrai métier : spécialiste des coproductions internationales. Il n’y a pas de formation de producteur, d’école de producteur, il faut qu’on forme ! Une question essentielle, c’est celle du financement, dont les modalités sont en reconfiguration : il ne s’agit plus de capter des budgets de médias mais de composer des budgets internationaux, avec par exemple des donateurs, en passant par du fundraising, en sollicitant des ressources financières hors média. C’est un autre système, à inventer. Pour qu’il y ait innovation dans les contenus, il faut innover dans les modèles économiques.

Quand on pense « innovation », on pense réactivité, prise de risque, changement. Comment fait-on pour innover au sein d’un écosystème aussi hiérarchisé et structuré que celui de la production de documentaires en France ?

D’abord, il faut être patient. Un projet ne peut pas mettre moins de deux ans pour voir le jour. C’est long, c’est très long mais c’est normal. Aujourd’hui, chez Yami2, nous travaillons à faire collaborer des acteurs qui auparavant ne se rencontraient jamais : la Commission européenne, l’UNESCO, des donateurs internationaux, d’autres institutions comme les unions internationales de radiodiffusion, des chaînes locales, nous en tant que producteurs. Cette nécessité a des répercussions en interne, dans les boîtes de production, sur les métiers, les relations, le rapport au travail. Ce chamboulement n’est pas évident. On y va petit à petit.

Laurie Ethève, Roxane Pham et Fiona Todeschini, étudiantes du Master Médias et management 2017-18

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