Entretien avec Serge Schick, directeur du marketing stratégique et du développement du groupe Radio France

Serge Schick, directeur délégué au marketing stratégique et au développement, et membre du comité exécutif de Radio France, a répondu à nos questions. Dans le premier volet de cet entretien, il fait le point avec nous sur la stratégie marketing du groupe et notamment sur la diversification, qu’il considère comme « un prolongement de la relation avec les auditeurs, permettant aussi de toucher un public nouveau ».

Pouvez-vous nous parler de votre parcours avant d’intégrer Radio France ?

Mon cursus est classique : licence de droit à Paris II, diplôme de Sciences po Paris, DESS en études de marché et stratégie marketing, toujours à Sciences Po. J’ai un profil plutôt littéraire mais je ne suis pas hostile aux statistiques ! J’ai commencé dans la grande consommation, au sein du groupe Euro RSCG. J’étais alors consultant dans une filiale qui réalisait de la prestation de conseil sur le développement de marques et de nouveaux produits. J’ai beaucoup travaillé dans l’alimentaire – pour Monoprix par exemple- et dans d’autres domaines qui donnent une vision approfondie du marketing de la grande consommation.

Je n’ai donc pas directement commencé dans les médias, mais j’ai tiré de cette première expérience de nombreux réflexes liés à la stratégie et au marketing, réflexes que je continue de mettre en œuvre. Puis j’ai commencé à travailler dans l’univers des médias, pour des clients comme TF1 ou les éditions Atlas.

Je suis ensuite parti à France Télévisions pour élaborer le plan stratégique du groupe pour la période 1995-2000. J’ai réalisé un travail de consultant interne en interviewant 50 cadres du groupe. C’était l’époque du développement de la télévision par satellite et par câble, donc une période assez fondatrice. A France Télévisions, je suis ensuite passé à une fonction plus opérationnelle en devenant le directeur du marketing des chaînes thématiques qui ont été créées par France télévisions à l’époque où le groupe participait au groupe TPS (Télévision Par Satellite) : aventure assez incroyable dans la mesure où nous nous alliés avec nos concurrents sur le marché hertzien contre Canal+. J’ai largement contribué à lancer Histoire, Mezzo, Régions. Depuis, Histoire est passé du côté de TF1 et Mezzo a été racheté par Lagardère.

Après avoir quitté France Télévisions, j’ai dirigé pendant 3 ans une filiale d’un groupe suédois spécialisé dans la création numérique, et produit des sites web de médias comme artetv.com. Puis, comme directeur au sein de Carat Expert/TVMI, j’ai mené d’importantes missions de conseil pour des groupes de télévisions publiques et privées, tant en France qu’à l’International. De 2006 à 2011, j’ai cofondé un cabinet de conseil spécialisé dans la programmation, le marketing éditorial et l’organisation des médias, notamment dans l’univers de l’information.

En 2011 je suis parti à l’INA – j’y enseignais depuis 10 ans – et suis devenu directeur de l’enseignement supérieur, de la formation professionnelle et de la recherche. Nous avons notamment travaillé sur des projets à l’international où l’on aidait des grands acteurs à numériser leurs archives ou à mettre en place des dispositifs de numérisation qui leur permettaient de réutiliser facilement leur production audiovisuelle.

Je suis arrivé à Radio France en juillet 2014, avec deux activités : le marketing stratégique, qui regroupe la direction des études et de la prospective et la direction du marketing relationnel. Nous aidons les chaînes de Radio France à fixer leur cadre stratégique. Et le développement, qui consiste à valoriser le patrimoine de Radio France et comprend les ressources commerciales : la publicité, les éditions, la diversification. Cela représente 10% des recettes de Radio France, soit environ 70 millions d’euros.

Après votre nomination en 2014 en tant que directeur délégué au marketing stratégique et au développement chez Radio France, quels ont été les enjeux auxquels vous avez dû faire face ?

La direction du marketing n’existait pas ! Les études dépendaient de la Présidence. Le marketing relationnel était inconnu. Les éditions dépendaient de la direction générale, la publicité de la direction financière et la diversification émergeait à peine. Nous avons créé cet ensemble qui faisait partie du projet de Mathieu Gallet. La création de la direction du marketing illustre d’un côté la volonté de mettre les publics au cœur de la réflexion, même si l’on reste dans une politique de l’offre. Et de l’autre côté, la volonté de faire progresser les ressources commerciales dans une période de raréfaction des deniers publics.

Nous nous sommes penchés sur la question de la complémentarité entre les antennes de Radio France. Nos chaînes devaient devenir plus complémentaires. Sur la saison 2013/2014, France info n’était plus une chaîne d’info réactive : on y trouvait trop de chroniques préenregistrées, la chaîne commençait à mordre sur l’espace de France Inter qui, quant à elle, n’était plus la chaine généraliste qu’elle devait être. La grille de l’après-midi de France Inter n’était qu’une succession de talk-shows, or si l’on considère l’histoire de la chaine, on sait que sa nature est d’être une grande chaine généraliste. France Inter tenait aussi trop de France Culture. Pour que l’offre de Radio France soit utile pour le public, il faut qu’elle soit diverse et composée de radios distinctes les unes des autres.

Côté ressources, il fallait tenter d’ouvrir la publicité à l’ensemble des annonceurs pour sécuriser nos recettes, ce que nous avons réussi à partir de 2016, remettre les activités d’éditions dans une logique de centre de profit, et développer une activité nouvelle, la diversification. Avant que je n’arrive, cette activité avait été présentée comme une activité « cash machine » avec la location de certains espaces à Radio France. Or, de mon point de vue, si la diversification permet de nourrir les recettes, elle doit aussi mettre en œuvre des projets impliquant la venue du public dans les salles de Radio France, pour faire découvrir, justement, ce qu’est radio France. Nous avons créé des événements comme des ventes aux enchères (de vinyles en 2016, ou la première vente aux enchères de matériel réformé). En 2017, nous avons ouvert un restaurant et un bar ouverts à tous. En somme, nous avons redonné du sens à la diversification avec des projets qui montrent qu’on peut gagner de l’argent… mais pas seulement. Avec du sens, en valorisant le travail de la maison.

Radioeat – Bar & restaurant de Radio France

Concernant la grève qui a eu lieu en 2015, comment l’avez-vous vécue en interne ?

Même si une minorité de salariés étaient en grève, l’activité a été impactée bien sûr. Avec des antennes faméliques, des événements annulés, des concerts et des opérations de diversification dont on ne pouvait assurer la réalisation technique. A titre personnel, cela m’a plus marqué comme membre du comité exécutif qu’en tant que directeur du marketing. Mais paradoxalement, cette période nous a appris beaucoup de choses collectivement, tant du côté de la direction que des syndicats. Les choses n’ont eu de cesse de s’améliorer depuis. … Une fois ce cap passé !

Quelle est votre politique en matière de marketing actuellement ?

La stratégie n’a pas vraiment changé et les objectifs restent les mêmes :

  • Premièrement, nous devons continuer à garantir la complémentarité de nos antennes : on a réalisé fait tout un travail stratégique de positionnement, avec l’écriture de charte stratégique chaîne par chaîne, pour bien identifier leur rôle, leur mission, leurs valeurs, le publics visés et les moyens qui permettent d’atteindre ces objectifs.
  • Deuxièmement : nous devons renouveler nos audiences. En Europe, la structure d’auditoire des services publics audiovisuels a tendance à vieillir, il faut donc lutter contre ce phénomène. Nous avons ainsi repositionné Mouv’ sur les publics jeunes, avec une chaîne musicale consacrée au hip-hop et avec de l’info adaptée : les derniers résultats d’audience sont très positifs. On a renouvelé le public de France Inter dont l’âge moyen a rajeuni de 3 ans (de 57 à 54 ans) – ce qui est énorme en 1 an et demi, avec un gain substantiel d’auditeurs de moins de 35 ans. Nous souhaitons rajeunir la structure auditoire de ces chaînes non pour faire du jeunisme mais parce que l’on considère que des chaînes comme France Inter ou France Culture doivent être au croisement des tendances sociétales. Nous parvenons également à faire venir des jeunes à la Maison de la Radio en organisant des concerts de musique classique dédiés aux enfants et à leur famille mais aussi des concerts cross over qui conjuguent le talent d’artistes de rap avec celui de orchestres symphoniques !
  • Troisièmement, il faut générer des recettes commerciales en croissance pour qu’on retrouve l’équilibre budgétaire… ce qui doit arriver en 2018. Les objectifs sont donc la croissance des recettes issues de la pub et des chiffres d’affaires des éditions, de la diversification, de la billetterie des concerts, etc. Pour vous donner un ordre d’idée, sur les concerts, nous comptions 3000 abonnés sur la saison 2016 – 2017 : on en enregistre a plus de 7000 sur la saison 2017 – 2018. Cela s’explique par l’offre qui est plus attractive : le directeur de la musique et de la création culturelle, Michel Orier, et ses équipes, ont mené un immense travail de renouvellement de l’offre. Le marketing relationnel, l’animation des bases de données, en soutien actif, permettent d’atteindre ces objectifs.

Dans sa note publiée par le think tank Terra Nova, Mathieu Gallet insiste sur le nouveau paradigme au sein duquel évolue la voix radiophonique, à la fois portée par de nouveaux dispositifs comme Google Home et déclinée en vidéo ou en texte sur le digital. Comment imaginez-vous le futur de la voix ?

C’est un vrai champ d’expérience pour nous. Je suis convaincu que la radio, dans le paysage numérique, a un avenir certain, car c’est un média dont les grandes caractéristiques conviennent parfaitement à l’univers digital. La radio a toujours été écoutée dans des situations de mobilité, tant en voiture que dans les moyens de transport. Le numérique permet de faire progresser la radio de rattrapage : on n’écoute plus simplement la radio en flux, on l’écoute en décalage, comme la télé. Le numérique facilite cet usage et quand on voit le succès des podcasts des chaines de Radio France… La personnalisation de l’écoute est une tendance forte. La radio a toujours favorisé le débat, l’interactivité : le numérique constitue un élément d’accélération. Donc à nous de prendre notre avenir en main, il n’y a pas de raison que la radio se situe au dehors du spectre d’intérêt et de passion des générations de demain.

Nous bénéficions d’un second champ d’expérience : avec les assistants vocaux, la voix va prendre de plus en plus d’importance, c’est une opportunité si on la saisit, et une menace si on ne la saisit pas. Il faut être prêt, les auditeurs vont demander à écouter les dernières informations : France Info doit être référencé et sortir en premier.

Est-ce que ça suppose un investissement technologique de votre part ?

Oui effectivement mais cela nécessite surtout du temps. La vraie difficulté c’est que ce sont des développements différents.

Il va y avoir de plus en plus d’acteurs, des nouveaux entrants comme les pure players sur internet ou les podcasts. Il faut être vigilant et proposer des formats qui sont adaptés. Nous réfléchissons également à une alliance entre les radios commerciales et les radios publiques en France. Le but, c’est que le média radio soit facilement accessible, notamment dans les voitures connectées : Radio player existe en Grande-Bretagne, en Belgique, en Allemagne, et permet aux différents acteurs radio de mutualiser des coûts de développement et de mieux négocier avec les plateformes numériques. Je suis favorable à une application commune permettant de rendre la radio en France plus accessible et plus puissante.

France Info semble être l’entité du groupe Radio France ayant le plus développé la dimension globale de son expression, avec une chaîne de télévision et des services digitaux venant compléter son offre radio. Est-ce un exemple à suivre pour les autres stations ?

Le grand pari de France Info était de considérer que la marque unique France Info provoquerait un effet d’accélération pour l’offre numérique et pour la radio, puis dans un deuxième temps pour la chaîne de télévision. Le fait d’avoir une marque unique et globale a été une vraie réussite stratégique. Mais tout n’est pas comparable, on ne va pas appliquer la même stratégie à France Inter par exemple. Chaque chaîne va avoir son expression en média global mais ce ne sera pas le copier/coller de France Info car les domaines ne sont pas les mêmes. France Inter ne va pas devenir une chaîne de TV. En revanche, qu’une émission en particulier se retrouve sur une chaîne de télé ou avec un complément vidéo spécifique, cela peut avoir du sens et c’est économiquement vertueux. C’est un schéma très intéressant dans l’optique du rapprochement de la radio et de la télévision.

Nous avons également testé d’autres formes de média global. A partir de l’émission de France Inter « Grand bien vous fasse », nous avons créé une conférence sur la bienveillance qui a été diffusée dans des salles de cinéma et qui a connu un vif succès. D’une certaine manière, la radio a déboulé dans les salles de cinéma ! Le média global n’est pas nécessairement que le digital. L’édition, la diffusion d’une conférence dans des salles de cinéma ou un mook appartiennent au registre du média global.

Caractéristiques

Papier épais de qualité

175 pages

Articles longs entre 5 et 10 pages

Retranscriptions d’entretiens, textes inédits, traductions d’articles étrangers

Importance des visuels avec photographies et infographies

Justement, France Culture a récemment renommé son mook « Papiers » insistant sur la matérialité donnée à la voix dans cet objet. Pourrait-on imaginer d’autres incursions des stations de Radio France sur le papier ?

Nous avons investi le champ de l’édition depuis longtemps avec un catalogue de livres qui s’enrichit d’année en année. Nous avons créé une collection « Un été avec » à partir d’une émission courte diffusée au cours de l’été sur France Inter, permettant de faire découvrir, grâce à des spécialistes ou auteurs d’aujourd’hui, des écrivains célèbres du patrimoine littéraire comme Hugo, Montaigne ou Homère : plus 400 000 exemplaires ont été vendus ces dernières années ! Grâce à la qualité de nos contenus et à la confiance que les gens placent dans nos marques, nous avons connu d’immenses succès. Les auditeurs ont beaucoup plus d’affinité avec la radio que la télévision. Les scores d’attribution, de reconnaissance, de satisfaction, sont beaucoup plus élevés. Nous avons repensé l’activité d’édition comme un prolongement de la relation avec nos auditeurs, mais aussi comme un moyen de conquête d’un public nouveau. C’est l’objectif de Papiers que vous avez mentionné.

Si l’on reprend la note de Mathieu Gallet dont on a parlé tout à l’heure, pensez- vous que le papier est un moyen intelligent de transposer la voix sur un support où elle n’a même plus à être entendue ?

Oui tout à fait. Mais on travaille tous les jours sur les allers et retours entre voix et textes. L’offre de Radio France a comme particularité de compter plus de radios parlées que de radios musicales au niveau national, ce qui sera un avantage dans le monde de demain où les radios musicales, dont le business model est centré sur la musique et sur la publicité, prennent de front la concurrence de Deezer, Spotify, et des nouveaux modes d’écoute de la musique. Le numérique permet et va permettre à nos contenus parlés de toucher de nouveaux publics.

Gabrielle Métel, Etudiante M2 Médias et Management au CELSA

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