Le rôle polémique des majors du web

De la transparence d’Internet

Un autre sujet a également fait débat parmi le panel d’invités : la question de la réception du contenu sur le web et la télé qui conditionnerait en amont la production de contenu. Selon Baptiste Lorber, la télévision imposerait ses programmes sans entendre son public alors que sur Internet, le créateur de contenu doit être à l’écoute systématique de son public car si l’internaute n’apprécie pas le contenu proposé, la sanction est immédiate : il ne le regardera pas.

Les professionnels de la télé « traditionnelle » présents parmi les invités se hâtent de rappeler que la sanction est la même en télévision mais Baptiste Lorber soulève alors la notion de mesure d’audience. Selon lui, l’audience live est plus honnête du fait de son instantanéité que la mesure d’audience télé effectuée par Médiamétrie. Cette mesure serait, pour Lorber, éculée et, puisque financée par les chaînes elles-mêmes, « du mensonge pur ». Pour lui, Internet ne mentirait pas.

On retrouve ici cet imaginaire encore prégnant de l’Internet pur et transparent et se plaçant inévitablement en opposition au média télévision. Il n’en reste pas moins que ce sont des organismes commerciaux qui sont à l’œuvre derrière le voile de la toile et qui parviennent très bien à se faire oublier. Julien Pain et Gilles Freissinier mettent en lumière les rouages des réseaux qui mettent à mal cette idée de transparence absolue : on achète des vues sur Youtube et Facebook a avoué s’être trompé sur la durée d’écoute de ses vidéos vues pendant 2 ans par exemple

Baptiste Lorber émet alors l’idée suivante : là où la réactivité immédiate d’Internet serait moteur de franchise grâce à sa transparence -pas d’intermédiaires entre celui qui diffuse et son public-, la télévision et ses nombreux intermédiaires floueraient le processus de réponse du public. Elle mettrait plus de temps pour agir suite à de mauvaises audiences alors que des réactions négatives sur Internet déclencheraient mécaniquement et relativement rapidement l’arrêt de la diffusion du contenu. Vision contestée par les professionnels de la télévision présents pour qui la réception du contenu par le public et ses retours sont essentiels et peuvent également mener à l’arrêt de la diffusion.

L’autre point que Baptiste Lorber présente pour appuyer cette idée de sincérité spécifique à Internet est la notion de « critique qualitative », par le biais des commentaires notamment. Sur Youtube par exemple, le nombre de pouces rouges et de pouces verts influe immédiatement sur le contenu proposé. Une vidéo ne plaît pas ? On change ! Alors qu’à la télévision, ce serait la presse qui ferait remonter le mécontentement des téléspectateurs.

Julien Pain essaye de rétablir le dialogue : ne pas penser TV et web en opposition, comme la querelle des anciens et des modernes, du mensonge contre la vérité mais plutôt comme deux des nombreux canaux de distribution de contenus.

Youtube et Facebook « preneurs d’otages » ?

Julien Pain soulève la problématique des plateformes américaines leader sur le web français et mondial. Selon lui, les créateurs de contenus français seraient « pris en otages » par ces plateformes car il faut obligatoirement passer par celles-ci pour toucher le public et plus particulièrement les jeunes. Le problème ? Le caractère éditorial de ces plateformes. Bien qu’elles tendent à ne pas communiquer sur ce sujet, ce sont elles qui décident de mettre en avant tel ou tel contenu, selon leurs intérêts. De son côté, Gilles Freissinier estime qu’il faut remettre en question la manière dont on perçoit ces diffuseurs. Car s’ils sont de plus en plus éditeurs de contenu, la régulation continue de les considérer comme de simples hébergeurs. Baptiste Lorber souligne que ces grandes entités financent à leur façon la création : ils mettent à disposition des studios et des accompagnements dans le processus créatif des jeunes créateurs et producteurs. Ils investissent à leur manière, pas sur les mêmes canaux que la télé ou les médias traditionnels.

Selon lui, un autre danger guette la diffusion de contenus sur Internet : c’est un média auquel on accède par des portails ouverts mais qui tendent, au fil des années, à nous enfermer sur eux-mêmes. C’est ainsi que Facebook rapatrie la lecture d’articles de sites extérieurs, de vidéos sur sa propre plateforme, se refermant sur lui-même. D’autant plus que l’enjeu pour les éditeurs de contenus est de faire venir le public sur leurs propres supports en utilisant les carrefours d’audience que sont les réseaux sociaux.

Face à ses mastodontes américains du web, ne faudrait-il pas alors trouver une alternative française ?

Un service public des Internets ?