Le P-Noise Film Festival, un événement pour s’immerger dans la culture philippine

Effeuillage s’est toujours intéressé aux pratiques innovantes et originales dans l’industrie cinématographique. Pour poursuivre cette exploration, nous avons rencontré Axel Biglete et Manon Desseauve, respectivement président et vice-présidente de l’association P-Noise, en charge de l’organisation de la première édition d’un festival dédié au cinéma philippin. Au-delà de l’événement culturel, la conversation a été l’occasion d’évoquer la place des cinémas dits émergents dans le paysage cinématographique français, mais aussi de réfléchir aux pistes de diversification pour les festivals face à univers de consommation filmique en pleine mutation.

Pouvez-vous nous présenter le P-Noise Film Festival ?

Axel Biglete : Il s’agit d’un festival de la culture et des arts philippins. C’est la première édition à Paris après plusieurs éditions à Copenhague. Si beaucoup de monde a participé jusqu’ici, le Danemark n’est pas le pays le plus cinéphile du monde. L’idée était alors de faire rencontrer les cinéphiles parisiens et la forte communauté philippine dans une ville symbole du Cinéma. On veut absolument mélanger ces deux « groupes ».

Manon Desseauve : C’est un festival centré sur le cinéma, avec la venue notamment de Brillante Mendoza et une sélection éclectique pour essayer de représenter toute la diversité du cinéma philippin, mais on a aussi voulu l’étendre à d’autres arts, comme l’ont fait les précédentes éditions. On cherche à confectionner un rendez-vous immersif dans cette culture, avec des représentations de danseurs, une exposition photographique, des stands de nourriture. On organise même un karaoké géant. Le P-Noise Film Festival est un festival transartistique. Et on cherche au maximum à montrer des projets inédits, tendance qu’on aimerait accentuer dans le futur.

Quels sont les liens avec les éditions danoises ?

Axel Biglete  : L’idée de ce festival est de faire venir des artistes philippins, ce qu’on a fait avec la précédente édition à Copenhague où plus de trente artistes sont venus. On cherche pour le futur à synchroniser les dates entre les deux villes, pour que les artistes puissent venir dans la foulée à Paris, et ainsi concevoir une programmation riche et commune.

Programmation

Avant-première de Ma’Rosa
Masterclass de Brillante Mendoza
Plusieurs films inédits
Karaoké
Exposition photographique
Démonstration de danse
Dégustations de plats traditionnels

Campagne Ulule ici

Pourquoi s’intéresser au cinéma philippin ?

Axel Biglete : C’est une scène cinématographique qui est en plein boom depuis dix ans. Il y a de plus en plus de cinéastes indépendants, on a une jeunesse et une production indépendante de plus en plus innovantes et créatives. Ce sont des films pas très visibles mais qu’il me semble très intéressant de faire connaître aux distributeurs et au public français.

Manon Desseauve : Pour le moment, il s’agit d’un cinéma dit « de festival », mais qui est de mieux en mieux représenté, particulièrement cette année avec Cannes (ndlr : Ma’ Rosa de Brillante Mendoza était en compétition officielle) et Venise (ndlr : Lav Diaz a obtenu le Lion d’or avec The Woman Who Left). Néanmoins, ça reste un cinéma encore peu vu, avec très peu d’entrées en salle.

Comment avez-vous conçu votre campagne de communication et votre stratégie digitale ?

Manon Desseauve : Il y a un site internet. Mais surtout, on a pensé toute notre stratégie de communication sur les réseaux sociaux. On a fait quelques affichages, mais la très grande majorité de notre budget de communication a été utilisée sur les réseaux sociaux.

Le plus important est l’événementialisation, au-delà de la simple offre cinématographique

On a également développé un partenariat avec Courrier International. Le numéro du 11 novembre va ainsi comprendre un grand dossier sur les Philippines dans lequel seront évoqués le cinéma et notre festival. La soirée d’ouverture sera également sponsorisée par le journal. Suite à notre conférence de presse, pas mal de blogs ont repris notre programmation.

Aujourd’hui, beaucoup disent qu’il est de plus en plus difficile de monter un festival culturel. Pouvez-nous parler de cette première expérience ?

Axel Biglete : On a eu la chance d’avoir de nombreux partenaires nous demandant très peu de contreparties, notamment la salle du Club de l’Etoile qui a tout de suite était emballée par le projet.

Manon Desseauve : Les premières éditions n’étant jamais subventionnées, ce sont vraiment les plus dures à mettre en œuvre. Mais comme on a eu d’excellents deals, on a pu mettre en place un plan de financement équilibré. En échange, on a décidé de ne pas prendre d’argent sur la vente de billets et on a essayé de dégager un budget de communication supplémentaire via un financement participatif (ndlr: campagne sur Ulule en cours jusqu’au 17 novembre).

Comment pensez-vous que les festivals de cinéma doivent aujourd’hui se renouveler ?

Axel Biglete : Tout d’abord, le plus important est l’événementialisation, au-delà de la simple offre cinématographique. Évidemment, notre but était de montrer des films peu visibles à l’ordinaire, mais on voulait également concevoir la salle de cinéma comme un endroit où l’on aurait envie de rester.

Comme il est très difficile de se faire de l’argent sur ce genre de films, les distributeurs ont tendance à ne pas prendre le risque.

On va mettre en place des food stands, concevoir un espace de discussion et de lecture avec des revues. C’est dans cette même optique que l’on a conçu le karaoké et l’exposition. Il faut que le festival soit un endroit où l’on ait envie de rester de 11h à 23h parce que tout sera à disposition.

Manon Desseauve : Ce qui se fait de plus en plus dans les pratiques émergentes de l’exploitation cinématographique, c’est de penser la salle comme un lieu culturel bien plus large. On ne désire plus seulement montrer des films mais inviter des gens à un espace culturel, dans tout ce que cela représente.

Certains perçoivent les nouveaux modes de consommation, VOD et SVOD, comme des dangers pour la salle de cinéma et les festivals. 

Manon Desseauve : C’est vrai mais je pense que le cinéma est une offre incitatrice, plus on en regarde et plus on a envie de découvrir de nouveaux films. Je ne pense pas du tout que ces modes de consommation vont le tuer. On ne l’a pas fait pour cette édition, mais un prolongement de notre festival en catch-up est tout à fait envisageable. Un tel procédé peut ainsi être conçu comme un vivier d’envie pour les gens, qui testeraient une partie de la programmation depuis chez eux avant de se rendre dans la salle pour vivre une expérience encore plus forte.

Comment expliquez-vous que ce cinéma philippin, à l’image d’autres pays émergents cinématographiquement, sorte encore très peu dans nos salles ?

Axel Biglete : Je pense que c’est par frilosité. Pour le cas des Philippines, on a de jeunes cinéastes qui enchaînent les festivals, dont plusieurs prestigieux. Toronto est par exemple un festival qui invite de plus en plus ces cinéastes-là. La qualité de ces métrages n’a pourtant rien à envier à la grande majorité de ceux qui sortent chaque mercredi. Comme il est très difficile de se faire de l’argent sur ce genre de films, les distributeurs ont tendance à ne pas prendre le risque. Il suffirait pourtant de créer une émulation.

Manon Desseauve : D’autant plus qu’en France, on distribue énormément de nouveaux films chaque semaine. Et sur toutes ces sorties, il y a quasiment déjà un tiers de mort-nés, qui vont faire moins de 2 000 entrées. Le turn-over est très important, de nombreux projets ne sortent que sur une seule salle. D’une certaine manière, pour ces cinématographies, il est très difficile de trouver leur place dans un marché tellement bouché. Ce manque de place pourrait être comblé par les plateformes VOD.

Christophe Brangé - Etudiant Médias & Management 2016 - 2017