Lecture : La Politique en continu : vers une « BFMisation » de la communication ? de Thierry Devars

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Titre : La Politique en continu : vers une « BFMisation » de la communication ?

Auteur : Thierry Devars

Date de publication : 2015

Éditeur : Les petits matins

Collection : « Médias, politique & communication » dirigée par Adeline Wrona

112 pages

L’auteur

Docteur en sciences de l’information et de la communication, et actuellement enseignant au Celsa et chercheur associé au GRIPIC. Il se spécialise dans les Formes et écritures médiatiques et en 2014 soutient sa thèse « La communication politique audiovisuelle à l’heure du numérique : le cas des vidéos politique 2007-2012 ».

Thierry Devars revient sur la « sensationnalisation » du traitement médiatique de l’information, tendance qui s’est mondialement développée depuis les années 80 et s’est cristallisée en France autour de la chaîne BFMTV, qui est la figure de proue de l’information en continu depuis plus d’une décennie. A l’occasion du Mardi Politique, Effeuillage se penche avec attention sur la recette d’un tel succès, en vous présentant ici les enjeux essentiels  abordés dans l’ouvrage.

Ladite « information en continu » a aujourd’hui plus de 35 ans d’existence. L’exemple le plus emblématique reste CNN (Cable News Network), chaîne lancée aux États-Unis en 1980 par Ted Turner. Depuis, le genre du hardnews, qui couvre quasi-exclusivement les événements majeurs de l’actualité la plus chaude, s’impose mondialement.

La hardnews made in France semble se distinguer par la place prédominante qu’elle prête à la politique. BFM TV en est le fer de lance, et sa couverture constante de la vie politique française est pour beaucoup dans son succès.

En novembre dernier, BFM TV a signé son meilleur score historique depuis sa création en 2005, avec 3,1% de part d’audience moyenne, dominant largement ses concurrentes sur le créneau de l’information en continu. L’actualité politique particulièrement dense au cours de cette période n’est évidemment pas étrangère à ce record.

Dans son ouvrage, Thierry Devars s’attache à démontrer que le pouvoir politique et le quatrième pouvoir se sollicitent réciproquement, pour chercher à tirer le meilleur profit de l’autre. La relation entre BFM TV et le personnel politique repose sur une attirance réciproque, bien que chacun des deux camps affirme que c’est toujours l’autre qui l’a désiré en premier. Thierry Devars s’appuie ici sur la parole de représentants de la chaîne comme Laurent Drezner, secrétaire général de la rédaction de BFMTV, et Benjamin Oulhacène, journaliste de la chaîne.

« La BFMisation de l’info »

Dans les deux premières parties de son ouvrage, l’auteur explore de manière globale la stratégie de marque de BFMTV, ce qui lui a permis de devenir la leader des chaînes d’info, puis les mutations du journalisme induites par l’essor du format « tout direct ». Il met ensuite en lumière, dans une troisième partie, l’influence que l’information en continu a eue sur les pratiques de communication politique.

De nos jours, c’est cette logique de l’instant, de l’exclusivité prenant le pas sur l’approfondissement et l’analyse que certains distillent sous l’appellation « BFMisation de la vie politique ». Victime de son succès, la chaîne cristallise l’ensemble des critiques dont la profession journalistique a à répondre : la dissolution du débat de fond, la quête perpétuelle du scoop, et bien d’autres :

« les détracteurs de la chaîne voient en elle un symbole honni, celui de l’appauvrissement du débat public, de la dégradation de la parole politique, de la dévalorisation du travail journalistique. »

La BFMisation de la vie politique se traduirait avant tout par cette « priorité au direct » que résume symboliquement le slogan de la chaîne, bouleversant alors tout le rapport au temps dans le débat d’idées.


BFM, une montée en puissance progressive

Si le modèle de BFM TV reste controversé, la chaîne tourne néanmoins en boucle dans toutes les rédactions et est regardée par toute la profession, si bien qu’elle inspire nombre de ses concurrents.

Fort de ce constat, Thiery Devars avance que BFM est désormais tellement incontournable qu’elle est devenue le point névralgique de la communication politique. Cette transformation naît de la convergence des intérêts des personnalités politiques (lucides sur l’opportunité que constitue pareille exposition sur BFM) et des intérêts de la chaîne en matière d’audience.

Pour preuve, la chaîne a été préférée à I-Télé pour organiser le débat entre Ségolène Royal et François Bayrou lors des présidentielles de 2007. C’est toutefois le quinquennat de Nicolas Sarkozy qui reste le vrai tournant pour la chaîne. Tranchant avec son prédécesseur, il est partout dans les médias, s’attirant le sobriquet « d’omniprésident ». Un exemple symptomatique de cette nouvelle époque est la mise en place de conseillers de communication, surnommés les « Sarko-boys », dont la mission quasi-exclusive est de regarder BFM pour prendre la température de l’opinion publique. C’est dans ce contexte que BFM prend son essor, instaurant notre système actuel de communication politique.

De même, la campagne présidentielle de 2012 est la première conçue sciemment pour un modèle d’information en continu. Le discours de François Hollande au Bourget, le 22 janvier 2012, est la première allocution de candidat à être intégralement retransmise en direct. Les images du discours étaient volontairement conçues par BFMTV, entre autres, pour alimenter les 20h des chaînes historiques et être mises en circulation.

«Pour les médias, la situation est complexe » juge Benjamin Oulahcène. «Les Journalistes doivent (…) composer avec la communication politique des candidats. Mais cette contrainte est également l’opportunité d’avoir un accès privilégié à la parole du candidat. »[1]


Une révolution à remettre en perspective

Thierry Devars décrie la doxa selon laquelle le succès de la chaîne serait entièrement dû au traitement inédit de l’info politique. Il démontre que BFM reprend de vieilles recettes qui ont déjà fait leurs preuves, en les rajeunissant grâce à l’usage permanent du direct.

La chaîne, sur le fond, est tout ce qu’il y a de plus classique. Par exemple, l’interview de Jean-Jacques Bourdin: malgré le ton assez tranché de l’animateur, l’émission ne s’éloigne pas du cadre rassurant de l’interview et respecte la mise en scène convenue d’un face à face.

C’est la couverture en temps réel de l’actualité qui entraîne un élargissement de l’espace consacré à la politique. Laurent Drezner, secrétaire général de la direction de BFM le concède volontiers : « Sur notre antenne, c’est Mots Croisés tous le jours, même plusieurs fois par jours : les débats et invités se succèdent de 18h à 20h30, parfois plus. [2]» Les chaînes d’infos sont d’ailleurs des arènes propices à la formation des figures montantes en politique, désireuses de faire leurs premières armes sans se risquer aux trop périlleuses chaînes historiques.

 


Le vrai changement, la mise en récit de l’actualité politique.

Le changement principal qu’a apporté BFM TV selon Thierry Devars, c’est surtout sa mise en feuilleton de l’actualité politique. La communication politique doit à présent donner à lire une histoire. On le voit notamment dans la couverture du scandale « Dominique Strauss-Kahn ». Elle se fait feuilletonnante (le perp walk de DSK, les images de son procès, les plans fixes de résidence surveillée de Manhattan,…).

Les incrustations (sous forme d’image et de texte en bas de l’écran) signalent aux téléspectateurs que le « feuilleton » se poursuit. En examinant les faits à travers un prisme déformant qui les rapproche d’une fiction à rebondissements, rythmés par de nouvelles péripéties, la chaîne cherche à nous tenir en haleine. Une fascination hypnotique suscitée par l’attente d’une suite se met alors en place, exacerbée par le retour éternel des mêmes images, si bien que tout débat devient presque impossible. Un engrenage donc propice à un sensationnalisme assumé.

L’ère du numérique a elle aussi participé à l’intensification de la course au scoop et au storytelling au détriment du débat, plaçant l’information dans une nouvelle temporalité : l’instantané. Dans un contexte sans véritable hiérarchie entre ce qui est éphémère et ce qui a vocation à s’inscrire dans la longévité, asseoir et pérenniser son message politique dans le temps n’a jamais été aussi malaisé.

En considérant le travail de Thierry Devars dans son ensemble, il apparaît clairement que politique et médias sont interdépendants. À travers une analyse bien menée, il met le doigt sur un sujet brûlant dans l’étude des tendances médiatiques de ces dernières années. Avec un léger bémol peut-être : celui de principalement laisser la parole aux journalistes dans ses interviews, au détriment d’un débat qui aurait été plus étayé et complet s’il avait inclus le médiatrainer d’un politique, ou son conseiller en communication, par exemple.

[1] DEVARS, Thierry. La Politique en continu : vers une « BFMisation » de la communication ? P.84. Paris, Les Petits matins. 2015

[2] Ibid. P.88

Aurélien Elizabeth, Etudiant Médias & Management 2016-2017