LOUIE MEDIA, ENTRE DEUX OREILLES

Effeuillage a rencontré Mélissa Bounoua, co-fondatrice de Louie Media, un studio de podcasts narratifs qui développe notamment Entre dont le premier épisode est sorti en mars 2018. Fiona Todeschini et Laurie Etheve reviennent avec elle sur la création de leur studio, sur l’évolution du format podcast et sur l’innovation qu’il suscite.

Pouvez-vous nous présenter Louie Media? En quoi ça consiste? Comment en êtes-vous arrivées à créer cela ?

On a créé Louie Media parce qu’avec Charlotte Pudlowski, on était à la rédaction en chef de Slate et donc on a développé un podcast qui s’appelle Transfert, sorti en juin 2016 et qui marche très très bien, qui a 300 000 écoutes par mois. Il y a deux épisodes par mois. On avait envie de faire de l’information dans une autre temporalité que celle du web où il faut publier plusieurs articles par jour, au rythme de l’actu. Surtout que les deux dernières années on était assez riche en actu à la fois à cause des attentats et des élections. On voulait prendre le temps… Chez Slate ils faisaient déjà du temps long et on voulait prendre encore plus le temps de faire les choses et c’est vrai que le format podcast tel que nous, on l’envisage, permet de faire ça très bien.

Vous êtes à la fois un studio de création et vous faites également de la veille dans votre catégorie “LouieLab”, Louie Média, c’est quoi finalement ?

On voulait à la fois partager ce qu’on sait et puis surtout répondre à une question qui revenait tout le temps dans les podcasts, c’est que tout le monde veut toujours des recommandations de podcasts et on nous en demandait de plus en plus… Et donc on s’est dit qu’on allait créer une newsletter hebdomadaire tous les vendredis où on met à la fois nos réflexions sur le secteur et donc sur comment le podcast évolue. Aujourd’hui, il y a des articles sur les podcasts vraiment tous les 15 jours qui sortent dans la presse généraliste ou spécialisée mais c’est vrai que nous on voulait vraiment essayer d’en écrire puis en plus, nous, sur le web on écrivait du texte au-delà de la production de Transfert donc ça nous manquait un peu… On s’est dit écrivons un peu ! Comme si on n’avait pas assez de choses à faire [rires].

Est-ce que pour vous le podcast est une innovation de la radio ?

La radio fait plein de choses. On a un pays qui est un pays de radio. Y a plein de choses qui se font à la radio qui sont très bien et qui se renouvellent. Et franchement, Radio France, c’est quand même un peu la Rolls de la radio. Ils font des choses folles, y a des moyens très importants, chez France Culture, par exemple, ils font de la fiction depuis très longtemps et est-ce qu’ils demandent vraiment beaucoup de moyens? Ensuite, le podcast permet une telle liberté que ça a permis, je pense, à des voix qui n’étaient pas forcément entendues, de se faire entendre plus longtemps. Ca a permis aussi de sortir des grilles, du flux, la radio c’est très timé, on donne l’heure, toutes les heures il y a des flashs. Même sur des chaînes où il y a moins d’info que sur d’autres, entre FranceInfo et France Culture, ce n’est pas le même nombre de flashs dans la journée mais c’est quand même un rythme qui est très scandé, puis qui est surtout 24h/24… Là où le podcast, on peut sortir quand on veut, à la fréquence qu’on veut et avoir la dure qu’on veut donc ça a permis d’éclater complètement les formats et du coup d’avoir une très grande liberté. Et du coup ça a forcément créée de l’innovation.

Après nous on discute pas mal avec Radio France et c’est vrai qu’ils font plein de choses et ils disent que les podcast ça ne renouvelle pas forcément tout mais ça a forcément bousculé un peu les radios bien établies qui avaient vraiment toujours cette logique de grille avec des émissions, de la musique, des virgules, la météo, des choses qui sont très formatées. Là où le podcast peut faire ce qu’il veut et dans ce sens-là je pense que ce n’est pas un hasard si, par exemple, France Culture développe des fictions natives qui sont diffusées vraiment d’abord sur le web, ils savent encore s’ils vont diffuser à l’antenne mais qui sont vraiment pensés pour le web d’abord et ça, je pense que c’est parce que le marché français des podcasts a vraiment bougé ces cinq dernières années.

Quand vous parlez de podcast, vous parlez de podcast natif?

C’est vrai qu’historiquement on connait plus les podcasts de rattrapage, des émissions de radio qu’on réécoute et je trouve que c’est important parce que c’est aussi comme ça que les gens vont se mettre à écouter des podcasts en réécoutant des émissions en replay qu’ils connaissent. Mais c’est vrai qu’ensuite les podcasts natifs, oui, moi je parle pour le renouveau. Après des podcasts natifs, vous allez en trouver des très vieux, c’est un très vieux format le podcast finalement mais vu que technologiquement tout le monde n’était pas à l’aise. Je veux dire, y a 10 ans y avait beaucoup de types d’information par exemple, de la même manière y a 10 ans personne n’écoutait de podcasts. C’est vrai que nous, on a le sentiment d’une accélération sur les cinq dernières années, pas sur les 20 dernières années.

Le podcast tel que vous le présentez est une innovation technologique mais aussi peut-être une innovation dans l’écriture, dans la manière de raconter ?

Oui, parce que l’innovation du podcast technologique elle n’a pas eu lieu hier, clairement pas. Le format existe encore une fois depuis, je crois que c’est 2005. Mais dans l’écriture oui, parce qu’en fait, c’est vrai que les premiers podcasts qui sont sortis c’était finalement de la radio sur Internet avec beaucoup d’émissions de discussion parce que c’est ce qu’il y a de plus facile à produire. Là où pour des émissions de narration, il faut beaucoup de réalisation, de montage, une très bonne qualité de son, c’est toute une autre économie, toute une autre logistique.

Le renouvellement de l’écriture passe beaucoup par les studios américains, qui sont beaucoup plus habitués à podcaster. Les podcasts natifs se sont lancés un peu plus tôt, plus vite que nous, et surtout sur un public beaucoup plus grand. Leurs podcasts sont écoutés dans le monde entier et ils ont vraiment fait des choses très nouvelles, c’est-à-dire, que comme ils ont cette culture du journalisme narratif, l’habitude de raconter des histoires, de faire des films qui sont vus dans le monde entier, d’écrire des séries… Enfin cette façon d’écrire des histoires que, nous, on n’avait pas forcément dans notre culture française et que les podcasts natifs ont peut-être amené. Après France culture fait de la fiction depuis très longtemps par exemple, mais c’est vrai qu’à part « Les pieds sur Terre » ou la série documentaire, les formats un peu plus longs et écrits différemment sont plus rares et pour beaucoup des émissions avec des invités, des discussions, des échanges des chroniqueurs, des choses comme ça.

Quelles sont pour vous les tendances du podcast et vers quoi peut-t-il évoluer en termes d’usages ou de création ?

Il y a beaucoup de podcasts sur le féminisme, sur la diversité, sur les discriminations. Récemment, il y a eu beaucoup de podcasts aussi sur la bouffe, la gastronomie, parce que je pense que les émissions de radio de gastronomie sont très écoutées mais aussi parfois peut-être un peu figées. Et surtout, je pense qu’on entend aussi beaucoup, vraiment de plus en plus de formats différents. C’est-à-dire, que des émissions de discussion avec quatre personnes autour de la table, ça a évolué, là où c’était vraiment, je pense, 70% du podcast il y a cinq ans. C’est en train de changer. Nous, en tout cas, ce qu’on veut faire chez Louie, c’est du podcast narratif, qui est quelque chose qui est beaucoup plus long à produire et qui est donc beaucoup plus rare. Et on sait que c’est ce qui se développe aussi puisque Binge font « Superhéros » par exemple. Nouvelles Écoutes viennent de sortir un podcast qui s’appelle « Commencer » sur l’entrepreneuriat. Voilà, c’est vraiment deux jeunes femmes qui racontent leurs aventures et ça c’est quelque chose qui se développe. Donc c’est vraiment là-dessus qu’on veut se placer parce que c’est aussi pour montrer qu’on peut faire, qu’on peut créer des formats qui sont aussi haletants et addictifs que des séries télé. On est des grandes consommatrices de séries télé avec Charlotte et c’est vraiment ça qu’on essaie de développer et c’est ça qu’on aimerait voir.

Du point de vue purement technologique, on n’a pas encore vu de grandes évolutions hormis les assistants connectés. Ce n’est pas encore très facile d’écouter des podcasts sur les assistants connectés mais on espère vraiment que les podcasts qui vont se développer aussi en fonction de cette technologie là et que ça va aussi renouveler les formats. Entre Amazon Alexa, Google Home et le HomePod que va sortir Apple, beaucoup d’acteurs vont se placer là-dessus parce que finalement, la voix qui dirige ces assistants est aussi la voix qu’on entend dans nos oreilles donc c’est très cohérent. Et nous on est très contentes qu’il y ait ce marché-là qui se développe. On se dit que si jamais YouTube se met à vouloir pousser les podcasts ou les assistants veulent pousser davantage les podcasts, le marché pourrait complètement changer du jour au lendemain. Il faut être en permanence en veille parce qu’on peut vraiment, d’une année à l’autre, on peut vraiment changer de visage.

Comment vous expliquez que cet emballement pour le podcast natif soit arrivé si tard ? Pourquoi cet investissement, cet engouement ?

Le web a réinventé des formats que ce soit en vidéo ou au niveau des plateformes. Ce qui est un peu étrange c’est que c’est arrivé en dernier pour le son. Je pense que la radio en France est très forte, donc que les gens ne sont pas forcément avancés d’abord sur le son, qu’il manque quand même des moyens de production. C’est facile de consommer des podcasts, c’est aussi plus facile de les produire parce que déjà tout est numérisé, c’est plus des bandes qu’on coupe. On n’a pas besoin d’avoir un grand studio comme chez Radio France pour enregistrer une émission de discussion, on n’a pas besoin d’enregistreur et d’un ingé’ son et de quatre personnes sur le tournage pour tourner un bon épisode de podcast, comme pour Transfert, donc c’est devenu beaucoup plus simple et beaucoup moins cher. C’est la même chose qu’avec la vidéo, c’est juste que c’était peut-être un peu moins répandu. Les smartphones, par exemple, ne mettent pas en avant le fait qu’on peut prendre du son. Le podcast est aussi beaucoup écouté en mobilité, cela a créé un attachement que les gens n’avaient pas forcément pressenti. Nous, c’est toujours ce qu’on dit : une fois qu’on se met au podcast, on en écoute des heures et des heures. Il y a un chiffre sur le marché américain qui est sorti : les gens qui écoutent vraiment les podcasts en écoutent en moyenne cinq heures par semaine. C’est énorme. Une fois que les gens ont trouvé l’usage qui leur va pour les podcasts, une fois qu’ils sont dedans et qu’ils ont trouvé les émissions et les podcasts qu’ils adorent, ils restent, ils s’abonnent et ils continuent.

C’est ça qui sert, parce que nous par exemple, les annonceurs et les marques viennent nous voir pour produire des podcasts pour elles. Parce qu’ils se rendent compte que ce n’est certes pas les mêmes chiffres que les vidéos mais que c’est un engagement beaucoup plus fort. Là où on voit passer une vidéo dans son flux Facebook sans savoir qui l’a faite et s’il faut la regarder, on va vraiment aller chercher un podcast, s’abonner, l’écouter, s’engager et suivre. Ça, c’est vraiment ce que les annonceurs adorent d’autant plus que pour l’instant l’audience des podcasts est une audience CSP+, urbaine et donc représente un segment que les annonceurs adorent.

Votre monétisation se concentre pour l’instant sur le Brand Content ?

Nous, on utilise Audible qui est le service de livres audio d’Amazon qui est sponsor de Transfert et de Entre. Ensuite on a d’autres marques qui nous ont contactées pour annoncer dans les podcasts, on va le faire sur d’autres podcasts qu’on va sortir au cours de l’année 2018. Mais après, le principal modèle économique pour nous, c’est vraiment produire du contenu pour les marques. Pour l’instant ça rapporte plus d’argent que les annonceurs qui annoncent dans les podcasts ou Audible c’est un sponsor sur toute la saison donc c’est quand même un budget plus important mais il y a des annonceurs qui vont vouloir annoncer qu’un certain nombre d’écoutes et puis après c’est des campagnes à certains moments de l’année.

FIONA TODESCHINI ET LAURIE ETHEVE, étudiantes du M2 Médias et Management - CELSA

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