Martin Weill dans Quotidien, une légitimation de l’information au cœur du divertissement

Quotidien[1] est une émission d’infotainment[2], présentée par Yann Barthès et diffusée tous les jours à 19h20 sur TMC. Elle réunit en moyenne plus d’1,3 millions de téléspectateurs chaque soir depuis sa mise à l’antenne en septembre 2016. Le programme utilise considérablement le reportage comme outil d’information pour assurer la dimension informative du programme. Parmi les envoyés spéciaux, Martin Weill a pour mission d’apporter une information sérieuse et crédible sur l’actualité internationale, au milieu des autres séquences humoristiques de l’émission.

Le reporter a acquis une notoriété qui ne cesse de s’accroître, grâce à un style qui dénote des reportages informationnels « classiques ». Au-delà du phénomène, nous avons choisi d’analyser la manière dont Martin Weill se positionne en levier de légitimation informationnelle pour Quotidien, émission qui se met grandement au service du journaliste pour le mettre en valeur.

Qui est Martin Weill ?

Souvent assimilé à un Tintin « nouvelle génération », Martin Weill, journaliste de 29 ans, fait sa première apparition télévisée dans Le Petit Journal de Canal +, présenté alors par Yann Barthès, le 26 août 2013. II a suivi ce dernier sur TMC pour continuer ses reportages dans l’émission Quotidien. Son passage est récurrent (quasiment tous les jours) dans l’émission et dure entre 5 et 10 minutes en fonction du sujet traité.

Le journaliste a pour spécificité de réaliser des reportages à l’étranger sur des sujets liés à l’actualité, mais en les abordant avec un angle particulier ; il se concentre sur un aspect qui est généralement délaissé dans les autres reportages télévisés afin de proposer au public un regard différent sur l’actualité. Par exemple, pour couvrir l’élection américaine, Martin Weill s’est rendu près de 3 mois aux Etats-Unis et est parti à la rencontre d’électeurs, dans leur foyer parfois, pour savoir pour qui ils allaient voter et comprendre pourquoi.

Un style et une identité qui marquent le propos

 

Les reportages de Martin Weill dans Quotidien s’inscrivent dans la lignée du gonzo journalism, c’est-à-dire que la subjectivité du reporter est mise en avant dans la production et la mise en scène du discours. Mais le journaliste se veut moins subversif que les grandes figures qui ont popularisé ce genre, comme Hunter S. Thompson[3]. La filiation se fait davantage sur l’incarnation des reportages par le journaliste, qui se positionne comme véritable acteur de sa séquence : il parle à la première personne de son expérience vécue, il est toujours mis en avant à l’écran, muni de son micro floqué Quotidien pour solliciter les témoins, et s’immerge complètement dans la situation où il se trouve. Cela accentue l’impression de proximité, de véritable écoute et de traitement différent de l’information.

L’identité de Martin Weill, qui inclut notamment sa manière de parler et son comportement, et que l’on peut englober dans ce que l’on appelle l’ethos, tient une place très importante dans ses reportages pour Quotidien. Son aspect physique d’une part, avec sa façon de s’habiller (très décontractée), de se coiffer et de se présenter à son public va déjà donner sa posture au journaliste, en lien avec le ton de l’émission. Par ailleurs, en nous concentrant sur le langage de Martin Weill, nous remarquons qu’il parle de façon très simple et qu’il n’utilise pas de mots vraiment savants ; le but étant de rendre son information compréhensible par tous, ce qui s’inscrit dans la promesse définie par l’émission, à savoir une information accessible et que l’on explique par différents dispositifs (pancartes, graphiques, schéma…) pour illustrer le propos.

Au-delà d’incarner ses reportages à travers la mise en avant de sa personne et de son identité pour humaniser le propos, Martin Weill est avant tout une incarnation de la communication de l’information désirée par l’émission Quotidien, une communication qui revendique notamment une proximité et une accessibilité dans la transmission de l’information à son public.

 

Martin Weill, une incarnation de la légitimité informationnelle de Quotidien

 

Les reportages de Martin Weill seraient alors un outil de communication pour l’émission, ayant pour rôle d’assurer la légitimité informationnelle de Quotidien, là où celle-ci peut être remise en cause par le caractère d’infotainment de l’émission. Cette légitimité se traduirait alors par le rôle du journaliste d’incarner le caractère sérieux et très informatif, parfois didactique, des informations au sein du programme d’infotainment.

La fréquence de sa rubrique installe durablement le reporter et lui donne une importance non négligeable au sein du dispositif de l’émission. Les reportages de Martin Weill s’institutionnalisent comme une habitude, créant une attente chez le spectateur désireux de s’informer de l’actualité à l’étranger, ce qui engendre une certaine fidélisation.

Dans ses discours, Martin Weill doit sans cesse faire côtoyer le sérieux de l’information, qu’il doit transmettre, avec le reste de l’émission, devant nécessairement s’adapter au ton de l’émission par son style et à travers ses interactions avec l’équipe de Quotidien. Par exemple, ses échanges avec Yann Barthès nous disent beaucoup sur la proximité que l’émission se veut refléter : ils se tutoient (contrairement aux reporters des autres chaînes), utilisent un langage plutôt familier en se disant « Salut Martin »/« Salut Yann » pour l’ouverture ou la fermeture d’un reportage, et se font même parfois des blagues. Le téléspectateur assiste à ce qui paraît presque être un échange entre amis. Et cet aspect reste essentiel pour que Martin Weill s’inscrive parfaitement dans le cadre de l’émission d’infotainment. Mais l’enjeu final est bien de faire adhérer le public à la qualité de l’information issue de ses reportages, donc à basculer dans le côté « sérieux », sans bousculer totalement le cadre de l’émission qui jongle entre information et divertissement.

La place prégnante des reportages de Martin Weill dans Quotidien démontre la volonté de  valoriser le travail du reporter, et plus largement de l’ériger comme une figure légitime de l’information transmise par le programme. Mais l’objectif est également de créer un « style Martin Weill », moyen d’accentuer la singularité des reportages du journaliste et qui sert plus largement l’émission Quotidien dans sa quête de légitimité informationnelle.

Et le cas Martin Weill ne semble plus être une exception dans cette volonté d’une incarnation forte autour de la figure centrale de Yann Barthès. Les autres reporters de l’émission suivent ainsi son chemin, notamment Hugo Clément et Azzedine Ahmed Chaouche, qui deviennent des incarnations majeures au sein du programme. La question de l’influence de l’environnement de l’émission sur l’identité journalistique de ces reporters reste donc centrale pour comprendre les phénomènes qui régissent leur communication de l’information. Il ne faut pas oublier que l’émission a l’objectif ultime d’assurer sa légitimité dans la transmission de l’information, et d’affirmer sa singularité dans un milieu très concurrentiel.

[1] Quotidien est une émission diffusée depuis la rentrée 2016 sur TMC, qui est en quelque sorte la renaissance du Petit Journal de Canal +, toutes deux animées par Yann Barthès.

[2] Infotainment = hybridation de deux genres au sein d’un même programme, à savoir l’information et le divertissement. Notion issue de la tradition télévisuelle anglo-saxonne.

[3] Hunter S. Thompson, avec son livre Hell’s Angels: The Strange and Terrible Saga of the Outlaw Motorcycle Gangs a montré un aperçu de ce qui deviendra le journalisme gonzo, en passant près d’un an en immersion dans la communauté des Hell’s Angels pour produire son article puis son livre à ce sujet.

Silya Illoul, Etudiante Média & Management 2016-2017