Médias en ligne et mesure d’audience : vers une évolution des règles du jeu

A l’heure de la multiplicité des supports médiatiques sur Internet, le poids économique et symbolique des médias en ligne dépend de leur visibilité et de leur fréquentation. La mesure quantitative et qualitative de ces internautes est primordiale pour pouvoir se positionner comme un média attractif pour les annonceurs et pour construire des stratégies éditoriales efficaces. Au vu de ce contexte médiatique en ligne actuel, Jeanne Billau, ancienne étudiante du Master Innovation et Création de Contenus Médiatiques, s’est attachée à montrer comment le contenu informationnel en ligne se façonne face au pouvoir accordé à la mesure d’audience dans un contexte de mutation des mesures, des organisations, des écrans et des technologies ? Des travaux de recherche récompensés par le prix du mémoire digital décerner par Arctus en janvier 2015.

Le Panel Médiamétrie/Net Ratings, une référence au sein du marché publicitaire en ligne

Depuis sa creation, le Panel Médiamétrie/Net Ratings – outil de mesure de l’audience sur Internet – s’est affirmé avec l’évolution du marché de la publicité. Il fournit mensuellement les résultats d’audience d’Internet et permet donc d’identifier les sites les plus visités par les Français.

Si les rouages de cet outil de mesure s’avèrent en apparence complexes, il n’en reste pas moins primordial aujourd’hui dans l’économie des médias d’information en ligne. Créé par les deux sociétés de mesure d’audience des médias audiovisuels et interactifs Médiamétrie et Nielsen, cet outil s’appuie sur l’analyse de la navigation de plus de 22 000 internautes représentatifs de la France. Ainsi, à la différence de Google Analytics par exemple, le Panel Médiamétrie/NetRatings permet non seulement de mesurer quantitativement le nombre de personnes visitant un site mais aussi de les identifier et d’analyser leur façon de consommer le site. Il offre aux entreprises médiatiques comme aux annonceurs la possibilité de dresser le portrait de leurs internautes et donc de leur présenter un contenu mieux ciblé, voire personnalisé.

Ce panel se distingue également par sa technicité. Il s’appuie en effet sur le meter de Nielsen, un outil de mesure de la navigation extrêmement précis. La fiabilité de cette méthodologie est aussi reconnue par le Centre d’Études des Supports de Publicité. La précision de cet outil l’instaure dès lors comme une véritable référence pour les médias en ligne, mais aussi et surtout pour les annonceurs en quête du site qui sera le plus fréquenté et sur lequel il pourra afficher sa publicité. A cet effet, Jeanne Billau identifie une « course à l’audience » entre les médias en ligne qui vont alors mettre en place diverses stratégies afin de faire gonfler, parfois artificiellement, leurs chiffres.

Une remise en cause de la course a l’audience

Parmi elles, le co-branding consistait en l’agrégation de sites au sein d’une même entité médiatique pour en augmenter le nombre de visiteurs uniques et donc l’importance au sein du paysage Internet français. Ainsi, le groupe Le Figaro a racheté jusqu’en 2013 des sites au contenu aussi différent qu’ Evène, Explorimmo, ou encore Sport 24, lui permettant ainsi de peser sur la scène Internet par le nombre de visiteurs qu’il rassemble en combinant deux sites. Or, si le co-branding pouvait s’avérer payant, il restait néanmoins régi par certaines règles fixées par Médiamétrie. Sur les sites par exemple, les logos de deux marques issues du co-branding devaient être visibles et être de la même taille. Cette technique apportait cependant une forme d’opacité dans l’appréhension des données du panel dans la mesure où le groupe « parent » n’était pas obligé d’apparaître sur les sites « co-brandés ». Certains groupes ont également recours aux « pop-under », ces pages qui apparaissent sans que l’internaute ne les sollicitent mais qui restent comptabilisées par le panel. Face à ces stratagèmes de gonflement artificiel, Médiamétrie décide fin 2013 l’arrêt de la mesure du cobranding. Si cette décision rend la mesure plus lisible, elle affecte également l’expérience utilisateur. En effet, l’arrêt de la mesure du co-branding a obligé les médias en ligne d’abandonner cette pratique et donc de modifier l’interface de leurs sites afin d’accroître la visibilité pour les internautes, de leur identité.

Ainsi, des groupes media tels que le Nouvel Obs ont décidé – au lieu de fragmenter leur audience en autant de sites du groupe, comme le propose Médiamétrie – d’apposer le logo du groupe Nouvel Obs sur le header de tous les sites dont le groupe est propriétaire. Cela n’a pas été sans conséquence puisque l’équipe de Rue89 s’est mise en grève contre ce changement qui pour eux signifiait une perte d’indépendance et brouillait les frontières éditoriales.

Vers la fin de la mesure d’audience Internet ?

En prenant le cas de la grève du pureplayer Rue89 de 2013, Jeanne Billau explique comment la fin du co-branding remet en question la pertinence de la mesure d’audience du web telle qu’elle existe aujourd’hui. En 2013, la « Mobilisation contre le changement du haut de page » refusait la modification du header de Rue89 parce qu’elle mettait en danger l’identité même du média, et donc l’existence du site. Cette crainte est alors partagée avec les lecteurs de Rue89 ; Jeanne Billau souligne d’ailleurs le bouleversement qu’a entraîné cette scission chez les internautes, qui mettent aussi bien en avant les bugs techniques qui s’en suivent que la perte de l’indépendance éditoriale et qui affectent alors leur « expérience web ».

Ainsi, faut-il mettre fin à une mesure d’audience qui met en avant les grands groupes au détriment des entités les plus petites dont la consommation n’est plus reflétée ? S’il existe aujourd’hui quelques solutions alternatives pour ne plus faire de l’audience le seul déterminant dans le succès d’un site, comme le brand content, ou le native advertising, la nature fluctuante du l’information en ligne et surtout l’absence d’un modèle économique viable et pérenne pour la publicité en ligne ne permet pas d’outils de mesure parfaits et globaux. Médiamétrie/NetRatings montre qu’aucun acteur n’a pour l’heure trouvé le moyen de stabiliser le marché et l’économie de l’information en ligne tout en tenant compte de la réalité d’une expérience web.

Pour plus d’informations : Jeanne Billau, Le Panel Médiamétrie NetRatings : comment l’évolution des règles de mesure d’audience d’Internet façonne le marché de l’information en ligne, mémoire d’Information et Communication, préparé sous la direction du professeur Véronique Richard, CELSA, 2014, 99p.

Khady So