Projection et débat : l’expérience interdite

Dans le cadre d’Effeuillage, la revue qui met les médias à nu,  le CELSA a accueilli ce mardi 15 janvier la projection du documentaire inédit L’expérience Interdite, suite du programme choc de France 2 Zone Xtrême : le jeu de la mort.

La projection fut suivie d’un débat avec Christophe Nick, producteur du documentaire, Yves Jeanneret, directeur de la chaire Innovation dans la communication des médias du CELSA, ainsi que les réalisateurs Thomas Bornot et Christophe Bouquet.

En présence de la directrice du CELSA Véronique Richard, d’enseignants-chercheurs, de professionnels des médias et de nombreux étudiants du CELSA, cette projection/débat fut l’occasion d’apporter un nouveau regard sur l’électrochoc médiatique du Jeu de la Mort.

L’Expérience Interdite : récit de l’après jeu de la mort.

Contrairement aux accusations lancées par de nombreux journalistes et psychologues après la diffusion du Jeu de la Mort, les équipes du réalisateur Christophe Nick ont procédé à un réel suivi psychologique des candidats ayant participé à l’émission. En effet, le cahier des charges de l’expérience de Milgram demande une attention rigoureuse des cobayes avant, pendant et après son déroulement.  Que ce soit au moment du tournage ou après sa diffusion un an plus tard, les candidats ont rencontré à plusieurs reprises les acteurs du programme. Ainsi, le documentaire L’Expérience Interdite réalisé par Thomas Bornot et Christophe Bouquet recoupe les témoignages de nombreux participants du jeu de la mort, qu’ils soient allés au bout ou non de processus de torture. Ces témoignages sont complétés par la remarquable analyse du psychanalyste Boris Cyrulnik et la critique au vitriol sur la démoralisation des programmes de télé-réalité par le philosophe Bernard Stiegler.

Libérer la parole des candidats-cobayes

L’Expérience Interdite donne pour la première fois la parole aux candidats, dont les témoignages sont parfois loin des conclusions faites par une grande majorité des éditorialistes et chercheurs. Le documentaire propose un nouveau regard psychologique et social sur le jeu de la mort qui même si « il est devenu culte » pour Christophe Nick, reste extrêmement controversé.

Le seul regret en regardant ce documentaire de 50 minutes, est celui qu’il n’ait jamais été diffusé, car il constitue le complément essentiel à la bonne compréhension du travail des équipes de Christophe Nick. Il offre une réponse indispensable aux critiques sur la potentielle « torture psychologique » des candidats. Pour la plupart, l’expérience aura servi de déclic dans leur vie, l’opportunité de s’interroger sur leur comportement, y compris pour ceux qui ne sont pas allés au bout du processus.  Autre point important du documentaire, ce sont les candidats eux-mêmes qui réfutent l’idée d’une altération de leur vie sociale après la diffusion du programme. Aucun d’entre eux n’a subitement été exclu de son entourage ou subi une dépression. Mais ils reconnaissent pour certains avoir pris des décisions comme changer d’emploi ou de train de vie et globalement ne regrettent pas d’avoir participé à l’expérience.

Stéréotypie et emprise : clés de voute des plateaux de télévision

La projection fut suivie d’un débat entre les intervenants et le public qui donna l’occasion de revenir sur les questions autour de l’emprise des médias.

Si le producteur  Christophe Nick reconnaît la dimension polémique intrinsèque à l’expérience de Milgram, le chercheur Yves Jeanneret ne considère pas pour autant le jeu de la mort comme une reproduction scientifique de cette expérience. Pour lui le protocole est fondamentalement différent et ne prend pas en compte la présence du public lors du tournage, public qui après le premier candidat va être au courant de la supercherie pour les suivants et donc pousser les cobayes à la faute.

Le réalisateur de L’Expérience Interdite Christophe Bouquet revient ensuite sur sa volonté de déconstruire les stéréotypes véhiculés par certains candidats lors du tournage. Grâce aux interviews, il souhaite montrer leurs vrais visages, bien plus humains que ceux de personnes qui déclenchent simplement des décharges électriques.

En accord avec les déclarations de Boris Cyrulnik, Yves Jeanneret évoque le besoin d’appartenance au groupe et l’emprise forte de la télévision sur les individus. Si le candidat ou les membres du public ne se lèvent pas c’est par crainte de rompre l’ordre établi. Un plateau de télévision n’a rien de réel, il implique des centaines de personnes, c’est une véritable machine médiatique qu’il parait impossible d’entraver à soi tout seul, c’est là que réside l’emprise de la télévision sur les individus. Pour conclure la conférence, Christophe Nick confirme cette vision en déclarant que « tous les pros savent que l’on peut faire faire n’importe quoi à n’importe qui sur un plateau de télévision ».

Prochainement sur Effeuillage, la revue qui met les médias à nu :

Une interview vidéo de Camille Jutant, chercheuse en sciences de l’information-communication, ayant assisté à l’enregistrement de l’expérience et auteure d’une enquête sur « l’engagement interprétatif des membres du public ».

Un reportage vidéo sur la projection/conférence l’Expérience Interdite avec interviews des protagonistes.