Télé-réalité et chaîne généraliste : une love story impossible?

Après avoir connu un grand succès dans les discours
 des professionnels de la télévision et dans les discussions des téléspectateurs, le terme « téléréalité » est désormais utilisé avec plus de parcimonie. D’abord parce que son sens est devenu confus. Mais aussi et surtout, parce que ce genre a tellement été critiqué que les décideurs sont devenus prudents.

La téléréalité est une hybridation, à la croisée des chemins entre le divertissement, le jeu, le magazine. La multiplication des programmes a renforcé la complexité et chacun est susceptible d’avoir une vision différente de cette catégorie télévisuelle. Le CSA retient deux définitions de la téléréalité, l’une restreinte et l’autre plus large. La première « cantonne la téléréalité au périmètre des émissions dites d’en- fermement » alors que la seconde élargit son cercle aux « émissions qui placent des personnes anonymes ou des faits du quotidien dans des situations artificielles créées pour l’émission dans le but d’observer la réaction des participants.

Un genre séduisant mais mal-aimé

La naissance de la téléréalité française remonte au lancement de Loft Story sur M6 en 2001, même si des formes embryonnaires existaient déjà dans les années 80 et 90 avec des émissions comme Perdu de vue et Psy-show. Loft Story provoque l’effet d’une bombe en déstabilisant à la fois les repères des téléspectateurs et les habitudes des chaînes. Le genre est attirant car il ouvre un champ de possibilités quasi infini pour les diffuseurs, la créativité étant celle des formes mais aussi du marketing et de la communication. Reste que sa dimension marketing et sulfureuse met mal à l’aise bon nombre d’acteurs des médias, dont France Télévisions qui décide de rester à l’écart.En dix ans, la notion s’est dispersée, tant dans les formats diffusés que dans les vocables utilisés. Rappelons que lors du lancement de Loft Story, le dossier de presse caractérisait l’émission comme une « fiction réelle interactive ». Trois mots contradictoires. Aujourd’hui, les discours officiels des chaînes privilégient des termes moins connotés tels que : jeu, série-réalité ou encore télé-coaching. Cette tendance s’explique par la décennie télévisuelle qui vient de s’écouler. Les programmes de téléréalité ont souvent rassemblé les téléspectateurs et attiré le jeune public mais ils ont aussi été la cible de vives critiques. Ils ont rapidement été associés à la notion de « télé-poubelle » et ont véhiculé une image négative. Une mauvaise publicité dont les chaînes préfèrent évidemment se passer. A fortiori, les chaînes généralistes qui cherchent à fédérer, à rassembler un public large et familial. Alors, est-il encore possible à l’heure actuelle de produire des formats de téléréalité sur une chaîne généraliste ?

Un casse-tête : rajeunir l’audience

Depuis l’arrivée des chaînes de la TNT, les cartes ont été redistribuées. Le marché télévisuel est encore plus concurrentiel. La plupart de ces « petites chaînes » ont choisi d’avoir un ciblage plus précis (jeune, féminin…). Elles n’ont donc pas les mêmes contraintes fédératrices que les chaînes historiques et généralistes. Les chaînes historiques se trouvent, elles, face à un défi de taille : continuer à rassembler le plus grand nombre de téléspectateurs tout en renouvelant leur public, un des plus grands dangers pour une chaîne étant d’avoir un public vieillissant qui ne se renouvelle pas.L’exemple de France Télévisions est à ce titre intéressant. Longtemps, le groupe s’est refusé à proposer des émissions de téléréalité. Le mot était tabou, Patrick de Carolis affichant un rejet total de ce concept. Mais, en 2010, avec l’arrivée du nouveau PDG, Rémi Pflimlin, la donne semble changer. Rémi Pflimlin tient un discours ambigu. Lors de sa prise de fonction, il déclare « n’avoir aucune opposition de principe à la téléréalité si le programme respecte l’individu et la diversité » . En septembre 2011, soit un an après cette déclaration et quelques semaines après un été marqué par L’Étoffe des héros sur France 3 ou encore 5 touristes sur France 2, il clame haut et fort dans un numéro de Stratégies qu’il ne fera « jamais de téléréalité ». Que doit-on penser de ce discours si ambivalent et à géométrie variable ?
 

Face à un concept devenu tentaculaire le service public semble hésitant.

Face aux bonnes audiences de ces programmes sur les autres chaînes, et dans l’optique d’un renouvellement nécessaire de l’audience, comment résister à la tentation et au glissement vers la téléréalité? La prudence de FTV est accrue par les quelques tentatives, qui se sont soldées par des échecs. C’est vrai pour le programme Une semaine sans… qui n’a pour l’instant donné lieu qu’à deux numéros – Une semaine sans les femmes et Une semaine sans électricité – et à des résultats d’audience décevants, comme pour L’Étoffe des héros, initialement programmé en primetime puis rapidement relégué en deuxième partie de soirée.Si, effectivement, ces programmes ne sont pas de la téléréalité d’enfermement, il n’en reste pas moins que ce sont des programmes qui s’en inspirent et s’en rapprochent fortement. La principale différence est que FTV a tenté de faire une téléréalité plus sociale voire sociétale, une démarche donc plus en adéquation avec les valeurs du groupe et la nature même du service public. Avec un risque évident : complexifier la lisibilité du programme et gommer la partie divertissante du genre. Les formats proposés n’arrivent à séduire ni leur public habituel ni un nouveau public potentiel. Ce type de programme est préempté jusqu’à présent par les chaînes privées historiques (TF1 et M6), qui elles-mêmes se voient aujourd’hui concurrencées dans ce domaine par les chaînes de la TNT comme NRJ12, alors que M6 délègue à W9 ses programmes les moins consensuels et familiaux.Compte tenu de cette nouvelle concurrence, les chaînes se doivent d’innover et de proposer de nouveaux formats, peut-être plus fédérateurs, et de nouvelles écritures. France 2 emprunte cette voie en proposant Le jour où tout a basculé, premier programme de « scripted-reality » en France. Bertrand Villegas, de l’agence The Wit, définit le format ainsi: « c’est un genre venu d’Allemagne, c’est brut et mal filmé comme un reportage, c’est passionnant comme une fiction, ça parle des sujets qui nous concernent comme des talk-shows ».
 
 
Pour prolonger : Romain Aquino, Mémoire de Master 1 :
« Quand la télévision devient écologique : le recyclage des jeux télévisés.
 L’exemple de Tournez Manège », 2010.