Comment financer l’information ? Besoin commun et réponses singulières des entreprises médiatiques

Effeuillage était à la 7ème édition des Assises Internationales du Journalisme et de l’Information, qui se déroulait à l’Arsenal de Metz du 5 au 7 novembre 2013. Professionnels, journalistes et historiens rendaient compte des bouleversements que connaît notamment la presse aujourd’hui, chacun essayant d’apporter son point de vue et ses solutions. Effeuillage vous propose de comprendre les enjeux financiers de la presse, question située au cœur du débat des Assises.

La conférence débute sur une assertion marquante de l’historien Patrick Eveno : « l’information en soi n’a jamais été rentable, sauf durant une courte période (1881-1914) ».  Au XIXe siècle, Emile Girardin invente  le modèle qui repose sur le prix bon marché, le divertissement (à travers des romans feuilletons) et la publicité. Ce modèle est toujours au centre des stratégies médiatiques de la presse alors que selon l’historien, il est dépassé. Les recettes publicitaires des journaux papiers baissent, et le modèle de la publicité sur internet n’est pas encore stable. L’accès payant aux contenus du web semble être le modèle qui fait consensus. Mais à l’heure où l’information se trouve partout gratuitement, comment amener le lecteur à payer ? Tous s’interrogent sur la plus-value qu’ils sont en mesure d’apporter : une mise en avant de contenus exclusifs, à l’instar de Médiapart, ou des formats radicalement différents comme ceux des Mook*.

La Revue Dessinée : un mook original en version papier et numérique

David Servenay est à la tête de La Revue Dessinée, un magazine trimestriel de reportages, documentaires et chroniques en bande dessinée. Vendue en librairie et sur internet, cette revue originale est réalisée par différents auteurs et dessinateurs. Son modèle économique est simple : au départ, la revue s’est lancée grâce à une levée de fonds et du crowdfunding*. Ce dernier élément a permis à la revue de se constituer un premier noyau d’abonnés, qui ont suivi le projet dès sa création et qui ont donc été plus faciles à fidéliser. Le prix de vente en librairie est fixé à 15 euros et la version numérique à 3,59 euros. Comment expliquer cet écart ? « Le prix devient décourageant s’il atteint 75% du prix papier » explique David Servenay, qui ajoute : « aujourd’hui nous sommes à 10 000 ventes papier et 400 ventes numériques pour un coût de fabrication de 90 000 euros par numéro. ». Un bilan positif pour La Revue Dessinée, qui a choisi d’innover en proposant un contenu intégralement en bande dessinée.

L’Express : la version numérique est-elle porteuse au niveau économique?

Comment s’articule le financement du papier et du web pour un hebdomadaire comme l’Express ? Son directeur adjoint, Eric Mettout, explique que le site s’autofinance, dans la mesure où les rentrées publicitaires et l’abonnement intégral papier et numérique équilibrent les coûts techniques et rédactionnels. L’équipe web est composée de 35 journalistes et 30 développeurs qui permettent un rythme de publication soutenu : 400 articles par semaine. Ce chiffre comprend des enquêtes et des reportages mais aussi beaucoup de brèves. Comme le souligne Patrick Eveno, l’Express ne rémunère pas tous les articles qu’il publie. L’autofinancement est donc relatif puisqu’il est permis par la non rémunération d’une soixantaine d’articles par semaine.

Malgré ce bilan plutôt positif, Eric Mettout souligne le fait que cela est loin de compenser les baisses de revenu du papier : « Le site de l’Express peut être considéré comme un relais de croissance mais pas comme un support porteur au niveau économique ».

Le Temps et Médiapart : la qualité et l’exclusivité comme condition du Paywall

Tout comme l’Express, le quotidien suisse Le Temps a choisi la formule du payant pour se financer. Son responsable numérique, Michel Danthe, explique que lorsque le site du quotidien est passé en Paywall*, le nombre de lecteurs a dramatiquement chuté. De 135 000 visiteurs uniques par mois sur le site, Le Temps est passé à 87 000. Malgré ce premier échec, Michel Danthe constate que le Paywall, s’il ne fait pas l’unanimité, commence à être une norme acceptée. Aujourd’hui il y a 178 000 abonnés, preuve de la réussite de ce modèle bi-média*. Pour que le lecteur accepte de payer, il faut cependant pouvoir lui proposer un contenu qu’il ne trouvera pas gratuitement : des informations exclusives, des analyses ou des sujets de fond.

C’est d’ailleurs en cela que Mediapart parvient à valider son modèle économique. Grâce à de nombreuses révélations exclusives de fraudes et autres « affaires » qui incriminent la classe politique (affaire Karachi ou Cahuzac par exemple), le pure-player sans publicité est parvenu à attirer 80 000 abonnés. Selon Edwy Plenel, le cofondateur de Mediapart, ce sont « les lecteurs qui payent pour l’indépendance du site ». Lors de la conférence, il est revenu sur un des choix qui permet à Mediapart d’être à l’équilibre : le choix de ne pas payer la TVA préconisée pour la presse en ligne (19,6%) mais celle réservée à la presse papier (2,1%). Selon lui, « la loi est en retard sur le droit ». Une commission d’experts commanditée par le ministère de la Culture et de la Commmunication défend en effet ce point de vue. Si cette proposition est appliquée, elle faciliterait considérablement le développement de pure-players qui suivraient ainsi le modèle promu par le  syndicat de la presse indépendante de l’information en ligne dont fait partie Mediapart (pour en savoir plus cliquez ici).

Si les formules payantes et les contenus éditoriaux décrits lors de cette conférence sont la preuve que la presse innove et cherche son modèle économique, cela ne semble pas suffire à Edwy Plenel. Il cherche avant tout à garantir l’indépendance des médias, condition sine qua non de la qualité éditoriale des contenus. Et pour cela, les subventions directes de l’Etat ne sont pas une solution. Depuis l’année dernière, elles sont rendues publiques mais les critères d’attribution restent opaques : 19 millions d’euros pour le Monde, 18 pour le Figaro, 10 pour Libération, 6 pour l’Express… Selon lui, « ces chiffres sont une des causes de la démobilisation de la presse ». Il défend au contraire une structure qui permettrait des aides indirectes : un statut de société de presse à but non lucratif, fonctionnant grâce à un système de donations défiscalisées. Un modèle qui permettrait peut-être aux médias de ne plus être détenus par des grands groupes industriels.

Maïa Boyé

Etudiante C3M 2013-2014

 

Lexique

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