ACCUMULER OU FAIRE LE VIDE : TELLE EST LA QUESTION

L’attitude de chacun vis-à-vis de son intérieur et des objets quotidiens a été bousculée cette année. Elle nous fait pencher entre une tendance au minimalisme, vieille d’une dizaine d’années, et un nouveau courant esthétique : l’accumulation. Le premier mouvement prône la dépossession. Que ce soit dans nos intérieurs, nos vêtements ou encore notre conscience. Avec le leitmotiv de « consommer moins mais mieux », les adeptes de ce courant se livrent à un changement de mode de vie plus responsable ; autrement dit une démarche « slow ». L’une des figures principales de cette pratique est la très connue Marie Kondo, qui s’est démarquée sur Netflix avec ses épisodes-tutoriels tri et rangement. À contrario, l’accumulation a fortement gagné en visibilité, donnant naissance à deux tendances à priori antinomiques. Mais qu’en est-il de ce côté obscur de la force, qui prône l’accumulation, le trop-plein et la futilité ? 

L’opposition est très claire entre la tendance Marie Kondo, cette Japonaise qui a atteint le paroxysme du désencombrement matériel devenu spirituel, et le « cluttercore », soit l’esthétique du désordre. Dans des temps aussi incertains, le matériel et les souvenirs dont il est l’empreinte nous rassurent. Ces deux styles de vie sont des mises en scène drastiquement différentes, mais pas uniquement : la manière dont on organise ses effets personnels en dit long sur nous, explique Marie Kondo dans ses ouvrages. Dans une interview pour le magazine 20 Minutes, elle confie : « Presque tous ceux que j’ai rencontrés ont constaté qu’une maison bien ordonnée apportait une étincelle de joie et améliore leur vie », en citant le titre de son guide de développement personnel (L’Étincelle du bonheur, 2016). Le phénomène Marie Kondo est loué par plus de 3,9 millions d’abonnés sur Instagram et ses posts dépassent les 20 000 likes quotidiennement, l’érigeant presque au statut de gourou spirituel.

Ce lifestyle érigé par l’essayiste japonaise est aussi louable sur le plan écologique. La jeune génération tient à ne plus consommer comme ses aînés ; une vraie réflexion sur les promesses écologiques et éthiques d’une marque se fait de plus en plus indispensable. Le contraste devient plus net : l’accumulation s’émancipe-t-elle de considérations jugées superficielles ou agit-elle comme simple ras-le-bol du confinement, sans considération d’ordre idéologique ?

Mathilde Serrell pour France Culture[1] écrit « Ordonné, concentré, vous ne gardez que ce qui vous procure de la joie, vous vous promettez de ne plus recommencer, et vous renouez avec ce qui importe ». Son « Art du rangement » (titre de son documentaire Netflix) est alors synonyme de développement personnel dans cette quête de l’harmonie spirituelle et utilitaire. L’enjeu de la préférence pour une tendance ou l’autre est claire : elle nous définit spécifiquement dans notre espace de vie et modèle nos revendications.

Mais Marie Kondo ne blâme pas ceux qui se retrouvent dans leur désordre qui leur offre un effet cocon. Toujours dans une interview pour 20 Minutes [2], elle explique : « Si vous estimez que vous êtes heureux et à l’aise dans un environnement encombré, de même pour votre entourage, alors ne changez rien ! ». Le « cluttercore », soit l’art de l’accumulation, a vu le jour sur Tiktok pendant le confinement du mois de mars 2020 ; il s’inscrit donc dans une perspective médiatique forte. Son objectif : accumuler le plus possible pour se sentir presque protégé et rassuré. 

Les personnes allergiques au rangement, au tri et à l’organisation s’y identifient volontiers et dévoilent ainsi des espaces beaucoup plus chaleureux et cosy.  Dans un article de Femme Actuelle intitulé « Cluttercore : la nouvelle tendance déco qui va faire hurler Marie Kondo » [3], il est expliqué que sur Tiktok, le hashtag « cluttercore » comptabilise plus de 4 millions de vues […]. On y voit des chambres débordantes d’affaires en tout genre ». Bien loin de l’épuration esthétique et de la sérénité millimétrée du minimalisme. 

Lors de la crise sanitaire et du confinement, les avis sont devenus plus tranchés. L’accumulation a permis de multiplier des présences matérielles qui remplacent les présences humaines dans cette période d’isolement. Beaucoup de personnes revendiquent des espaces chargés semblables à des cabinets de curiosité en vogue aujourd’hui. Il est clair qu’il s’agit d’une réaction à une esthétique épurée, mais celle-ci ne se définit pas uniquement en contre : c’est également une période d’intensification de la confection, du DIY : le “Do it yourself”, où l’envie de garnir davantage son intérieur de petits bibelots faits-mains nous gagne. Reste à savoir si ce mouvement est uniquement une conséquence du confinement ou s’il prend ses racines dans une tendance de fond idéologiquement opposée à ce que représente le minimalisme.

[1] Mathilde Serrell, « Phénomène Marie Kondo, le diable est dans les placards ?», France Culture, 2019
[2] Anne Demoulin, “Marie Kondo: «Le but du rangement est d’aller vers une vie meilleure»”, 20 Minutes, 2016
[3] « Cluttercore : la nouvelle tendance déco qui va faire hurler Marie Kondo », Femme Actuelle, 2020
Emilie Robin, Isaure Berger, Luna Fabresse et Célia Bertandeau, Étudiantes L3 Marque CELSA