Anarchy : la fiction participative et « transmédia » signée France 4

« C’est le chaos, entrez dans l’histoire ». C’est armé de cette formule percutante et pleine de promesses qu’Antonin Lhote, journaliste à France Télévisions Nouvelles Écritures, a présenté au CELSA le nouveau projet de France 4, Anarchy. Diffusé le 30 octobre 2014, le premier épisode de la série a marqué le point de départ d’une production qui se développe à la télévision, mais aussi sur Internet, à la radio et sur papier. L’occasion pour Effeuillage d’analyser la première fiction « transmédia » de France Télévisions dans une série d’articles.

France Télévisions à l’heure du transmédia

France 4 et le laboratoire du groupe, France Télévisions Nouvelles Écritures, proposent un projet « transmédia » inédit pour la chaîne, dont l’originalité repose sur la combinaison de différents médias au profit du développement d’une intrigue.

Imaginez : le chaos règne en France après qu’ait été prise la décision de sortir le pays de la zone euro. Face à la crise économique, les Français doivent vivre avec une somme maximale de 40 euros par semaine. Le mystère reste entier quant au contenu de la fiction, et pour cause, il n’existe pas encore.

Jusqu’au 30 octobre 2014, le site officiel d’Anarchy (www.anarchy.fr) n’affichait que peu de contenu, un display épuré qui en dit pourtant long sur le projet. Le logo d’Anarchy, le visuel et la phrase signature du programme étaient apposés sur un fond uni blanc, accompagnés d’une formule annonçant « Le 30 octobre sur vos écrans ». La multiplicité des « écrans » met alors en avant la particularité de cette fiction. Anarchy se développe bien sur France 4, mais contrairement aux programmes télévisés traditionnels, le média télévision ne constitue pas le coeur du déroulement de la série. En effet, le site Internet constitue la plateforme la plus importante du projet. Il permet aux internautes de créer des personnages et de développer leurs péripéties à partir du scénario catastrophe de départ. A la suite d’une sélection et en fonction des points gagnés par les contributeurs, les meilleures histoires font l’objet d’une adaptation sur France 4. En parallèle, une équipe de rédacteurs produit un journal quotidien d’informations relatant les événements du jour. A terme, le scénario créé par l’ensemble de ces contributeurs sera retranscrit dans un roman.

Le jeu comme élément clé de la contribution

L’écriture participative de la fiction passe alors par l’exploitation d’une technique particulière, celle de la gamification. Le site s’appuie sur des codes ludiques pour pousser les internautes à la contribution. L’enrichissement du scénario catastrophe se présente sous la forme d’un jeu de simulation où les contributeurs inventent leurs personnages et écrivent leur histoire. En dehors de l’aspect divertissant, la contribution est encouragée par le gain de points et par une récompense, la perspective de voir sa fiction reprise et adaptée dans les autres médias de l’univers Anarchy.

Le tournage des épisodes et l’écriture du roman dépendent donc de la participation des joueurs. Le projet repose entièrement sur leur créativité. Les contenus sont en partie gérés par les internautes, qui perçoivent l’influence qu’ils exercent sur le contenu dans les formats télévisés et romancés. Malgré l’originalité d’Anarchy, ce n’est pas la première fois que le public français a la possibilité d’adapter le contenu d’une fiction selon ses envies. A titre d’exemple, le 13 avril 2013, M6 proposait aux téléspectateurs plusieurs fins alternatives à un épisode de la série américaine Hawaii 5-0. Le dénouement diffusé a été sélectionné au terme d’un vote sur l’application 6play, sur le site et sur les pages Facebook et Twitter de la chaîne. Mais à la différence d’Anarchy, les internautes n’ont eu aucune véritable influence sur les contenus des épisodes, dont le scénario avait été écrit en amont. A l’inverse, la mini-série participative française What Ze Teuf, produite pour le compte de BNP Paribas, se rapproche du projet de France 4. Comme Anarchy, What Ze Teuf n’a pas suivi la chaîne de production traditionnelle. Diffusés sur D8 du 2 au 20 décembre 2013 les 15 épisodes de la série ont été tournés sur un temps d’écriture et de production très court – à raison d’un épisode par jour – en fonction des suggestions des téléspectateurs sur Twitter et sur le site officiel du programme.

Mais Anarchy est le premier projet français à accorder une place aussi importante au jeu et à la simulation. Contrairement aux exemples précédents, Anarchy comprend une part de réalité ; le projet est un scénario chaotique inspiré par l’idée de sortie du pays de la zone euro défendue par certains politiques. Anarchy traite de problématiques susceptibles de concerner les contributeurs en rassemblant, en toute crédibilité, les caractéristiques d’une catastrophe économique.

Si les plates-formes Anarchy sont stimulantes et divertissantes, elles s’inscrivent aussi dans l’ouverture d’un débat autour de questions politiques, économiques et sociales au sein des chaînes du service public.

Vers une nouvelle forme de télévision ?

            Anarchy marque surtout la prise en compte d’une réalité des comportements du public français face au média télévision. La deuxième vague de l’étude Screen 360 de Médiamétrie montre que près de 2 internautes sur 3 utilisent un autre écran en regardant la télévision[1], et met alors en évidence la tendance au multitasking face au petit écran.

En faisant le pari du participatif, Anarchy est également le signe de l’émergence d’une nouvelle forme de création au sein des fictions télévisées. L’implication du téléspectateur dans le processus de production est néanmoins importante et pourrait menacer le projet en cas de perte d’intérêt des contributeurs. Au-delà des risques, force est de constater que les outils de création mis à la disposition des joueurs au sein de la plateforme Internet sont le signe de l’amorce d’un changement du statut du téléspectateur, qui devient un véritable acteur de la fabrication du programme, dont le travail d’amateur revêt tous les aspects d’une contribution professionnelle.

Anarchy est donc une fiction « transmédia » née au coeur de France 4, décrite comme la chaîne innovante d’un groupe majeur du secteur audiovisuel, France Télévisions. Le projet relance la réflexion autour d’un possible renouveau de l’expérience télévisuelle et des modèles de création, où le programme est fabriqué par et pour les téléspectateurs.

Ce nouveau projet participatif parviendra-t-il à séduire internautes et téléspectateurs ? Suivez l’aventure Anarchy à travers les prochaines analyses des Effeuilleurs.

crédits photo http://www.france4.fr/emissions/anarchy

Khady So

[1]             Étude Screen 360 de Médiamétrie conduite du 30 avril au 19 mai 2014 http://www.mediametrie.fr/comportements/communiques/screen-360-les-francais-adoptent-le-multi-ecrans-pour-enrichir-leur-experience-tv.php?id=1088