Séries télévisées: les fausses évidences du « modèle » américain

Les séries américaines sont-elles vraiment le modèle à suivre pour faire de l’audience ?

Le palmarès concernant la télévision des 69e Golden Globes, décernés le 15 janvier 2012 à Hollywood, ne manque pas de poser des questions sur l’industrie télévisuelle américaine et sa perception : en France, il est de bon ton de comparer les séries télévisées américaines et celles françaises au détriment de ces dernières.

Or, les chaînes du câble et du satellite ont remporté haut la main la très grande majorité des prix, alors que, il ne faut pas l’oublier, ce sont les networks (à peu près l’équivalent de nos chaînes hertziennes) qui fédèrent le plus de téléspectateurs aux États-Unis. Les Golden Globes, prix décernés par l’association des critiques de la presse étrangère à Hollywood, semblent ainsi en décalage avec la réalité des pratiques médiatiques des Américains, qui sont en définitive assez peu nombreux à avoir réellement regardé les programmes primés.

Ce type de palmarès est porteur d’une vision biaisée, mais il est nécessaire de revenir sur les spécificités de la télévision américaine pour le comprendre, de mettre à distance les discours généralement tenus dans les médias français et de ne pas tirer de conclusion hâtive sur ce qui pourrait apparaître comme un modèle depuis la France.

Les deux visages du système américain de production

La télévision aux États-Unis est fondée sur la complémentarité de deux modèles économiques : celui des networks (d’accès gratuit pour le public et financés par la publicité) et celui du câble et du satellite (d’accès payant soit via un abonnement à un bouquet contre un prix modéré pour le câble classique, soit via un abonnement particulier relativement cher pour les chaînes premium comme HBO ou Showtime). À cette différence de modèle économique répondent aussi des systèmes de production de séries télévisées divers : aux networks les séries comptant des saisons de 24 épisodes, diffusées hebdomadairement de septembre à mai ; aux chaînes du câble les saisons de huit à treize épisodes, diffusées par conséquent sur un laps de temps compris entre deux et trois mois. Il s’agit là de séries comme Dexter, Mad Men, Breaking Bad, The Wire.

Le palmarès de la dernière édition des Golden Globes est dominé par les chaînes du câble (classique et premium). Il n’est pas étonnant que les journalistes de la presse étrangère à Hollywood aient préféré ces séries qui sont, pour des raisons évidentes de temps de développement, d’écriture et de tournage plus long, d’une qualité supérieure à bon nombre des productions des networks.

Depuis la montée en puissance d’HBO à la fin des années 1990 et au début des années 2000, il est désormais classique de saluer une série de network de qualité en disant qu’elle atteint le niveau du câble.

C’est le cas de The Good Wife, série de CBS diffusée en France sur M6, qui est d’ailleurs l’unique nomination de network dans la catégorie des séries dramatiques de cette année avec Madeleine Stowe pour Revenge.

Les comédies, îlot de résistance à l’invasion du câble

La seule catégorie à être épargnée par cette mainmise est celle des comédies (catégorie qui regroupe sitcoms, séries comiques et séries musicales) et il est intéressant de se pencher sur cet îlot de résistance : le comique repose forcément sur une connivence et une forme de ritualisation des situations, qui ne peuvent se construire, dans le rapport au public, que sur la durée. Or, dans la configuration actuelle, seules les séries de networks, par leur régularité de programmation, peuvent créer ce sentiment de proximité avec le public. Lorsque l’on regarde les séries comiques produites sur Showtime et HBO, l’on voit rapidement que les procédés comiques utilisés diffèrent et sont davantage fondés sur une forme d’humour tournant autour de la sexualité, permise notamment par la différence de législation concernant la protection du public entre les networks historiques (ABC, CBS et NBC), soumis à la loi contre l’indécence, et les autres chaînes qui n’ont pas à l’appliquer.

Cette rupture entre les séries dramatiques et les séries comiques doit être extrêmement présente à nos esprits au moment même où en France nous faisons les yeux de Chimène à la fiction américaine : le discours de Canal +, par exemple, est souvent de « réussir à faire aussi bien que les Américains ». Les discours largement entendus chez les « amateurs » français sont que la fiction française n’est pas à la hauteur de celle produite aux États-Unis et des palmarès comme ceux des Golden Globes semblent accréditer cette thèse puisque, en ce qui concerne les séries dramatiques (genre massivement produit en France, au détriment des comédies délaissées de ce côté-ci de l’Atlantique), seules des productions d’exception sont promues.

En France, cette séparation entre ces deux types de comédies se retrouve. La série Fais pas ci, fais pas ça, diffusée sur France 2 depuis 2007, est devenue un rendez-vous attendu, fondé principalement sur le comique de situation et la stature de ses acteurs. Le succès public et critique est au rendez-vous. À l’autre bout du spectre, nous pouvons citer Platane, série d’Éric Judor sur Canal + qui renouait ainsi, en 2011, avec la tradition de H. Les audiences, à l’échelle de la chaîne, étaient plutôt décevantes et peuvent peut-être s’expliquer par cet « humour de câble ».  Alors que le format de Fais pas ci, fais pas ça a été largement vendu à l’étranger, que la cinquième saison est en cours de tournage et qu’un film est envisagé, le renouvellement de Platane pour une seconde saison a été beaucoup plus problématique. Cette résistance des séries comiques aux modes de production du câble et du satellite ne peut manquer d’interroger et montre peut-être le nécessaire recentrement critique sur les networks et les chaînes hertziennes.

Palmarès des 69e Golden Globes

Meilleure Série Dramatique

  • American Horror Story (FX)
  • Boardwalk Emipre (HBO)
  • Boss (Starz)
  • Game of Thrones (HBO)
  • Homeland (Showtime)

Meilleure Actrice dans une série dramatique

  • Claire Danes – Homeland (Showtime)
  • Mireille Enos – The Killing (AMC)
  • Julianna Margulies – The Good Wife (CSB)
  • Madeleine Stowe – Revenge (ABC)
  • Callie Thorne – Necessary Roughness (USA Network)

Meilleur Acteur dans une série dramatique

  • Steve Buscemi – Boardwalk Empire (HBO)
  • Kelsey Grammer – Boss (Starz)
  • Jeremy Irons – The Borgias (Showtime)
  • Bryan Cranston – Breaking Bad (AMC)
  • Damien Lewis – Homeland (Showtime)

Meilleure Série Comique ou Musicale

  • Enlightened (HBO)
  • Episodes (BBC2 – Showtime)
  • Glee (FOX)
  • Modern Family (ABC)
  • New Girl (FOX)

Meilleure Actrice dans une série comique ou musicale

  • Laura Dern – Enlightened (HBO)
  • Zooey Deschanel – New Girl (FOX)
  • Tina Fey – 30 Rock (NBC)
  • Laura Linney – The Big C (Showtime)
  • Amy Poehler – Parks & Recreation (NBC)

Meilleur Acteur dans une série comique ou musicale

  • Alec Baldwin – 30 Rock (NBC)
  • David Duchovny – Californication (Showtime)
  • Johny Galecki – The Big Bang Theory (CSB)
  • Thomas Jane – Hung (HBO)
  • Matt Leblanc – Episodes (BBC2 – Showtime)