CE QUE RÉVÈLE LA PRESENCE DU « OFF » A LA TELEVISION

Tel un gage d’exclusivité, la mention « off » fleurit aujourd’hui dans un  paysage médiatique en quête de transparence. Qu’on le retrouve en Une de nos quotidiens[1] comme sur nos écrans, ce nouveau « label » fonctionne comme une étiquette qui viendrait marquer l’originalité d’une production médiatique. Même si, à l’inverse de l’estampille, cette mention n’est délivrée par aucune institution ou organisme, elle fonctionne comme si elle avait le don de certifier «l’origine contrôlée » du message produit par le média. Chargé de connotations positives  (l’honnêteté, l’authenticité), le « off » s’inscrit dans la tendance qui consiste à valoriser le « parlons vrai »

Le « off », une pratique qui s’institutionnalise

Bien que très présent, le « off » reste complexe à définir. En effet, s’il s’agit d’une pratique aussi vieille que la presse, l’imaginaire qu’il entretient, lui, n’a cessé d’évoluer. D’après sa traduction littérale, la formule « off the record »,  désigne toute déclaration tenue à l’abri des enregistrements. On pense alors au bouton « off » du magnétophone ou encore au témoin lumineux « On/ Off air» du studio d’enregistrement. Par conséquent, comme l’indique la préposition anglo-saxonne, en plus de s’exprimer à l’abri des micros, l’interlocuteur s’exprime également « hors » de son statut de personnage public. Ce dispositif permet de contourner des règles strictes de confidentialité pour aborder de façon plus libérée des sujets embarrassants ou même soumis au secret.

C’est donc son statut informel et naturellement obscur qui va avant tout caractériser cette pratique médiatique : le journaliste n’est contraint par aucun engagement « institutionnel », aucune règle, aucun protocole.

Bien loin des pratiques de communication « informelles » et « planquées » de l’univers journalistique, la définition du « off » s’est en effet considérablement élargie et affranchie des vieux clichés. Le « off » s’insinue lentement mais sûrement dans les grilles de programmation. Les chroniques et émissions « Off, Secrets et Coulisses », «  C’est Off », « Le Off de maître Domenach », sont autant de preuves que les cœurs des chaînes battent aujourd’hui à l’unisson pour ces trois petites lettres qui inspirent les mécaniques les plus prometteuses. Plus que jamais, le « off » s’inscrit dans une logique d’institutionnalisation, de reconnaissance. Le dispositif jusque-là considéré comme secret est désormais pleinement assumé et réglé pour devenir une pratique télévisuelle courante qui s’ancre dans les habitudes du spectateur. Dompté par la télévision, il est désormais mis en scène, calculé ; il prend des airs de chef d’orchestre d’une transparence organisée.

Le « off », moyen de faire « authentique »

Dans la mouvance de la « télévision prismatique »[2], le « off » participe au projet de monstration totale de la télévision.  En effet, en intégrant les codes de la télévision, ce dernier s’épanouit dans la mode du « off caméra » ou du « hors-champ », c’est-à-dire celle d’un dispositif rendant visibles toutes les images qui échappent traditionnellement à l’espace retransmis à l’écran. Proche de la logique « panoptique », il se présente comme un dispositif séduisant, qui permettrait au téléspectateur méfiant d’enfin « tout voir et tout entendre ». Car malgré l’obstacle matériel que  représente les limites de l’écran, le « off » promet au public que rien ne lui sera caché, qu’il pourra passer de caméra en caméra, de micro en micro, jusqu’à se glisser en coulisses. C’est dans ce nouveau rapport à la spatialisation de la scène télévisuelle  que le « off » puise sa force.

Le « off » s’efforce d’exhiber les entrailles du plateau télévisé dans le but de le rendre prétendument transparent. Mais il tend également à se tenir « hors » de ce dernier. Ainsi on dira d’une séquence qu’elle est « off » lorsqu’elle aura lieu en dehors du plateau, c’est-à-dire en dehors de l’espace traditionnellement destiné à être filmé. De plus en plus d’émissions jouent et mettent en scène le « off » pour casser l’image de la « scène télévisuelle » et ainsi déconstruire la représentation d’une émission mécanisée et préparée qui manquerait d’authenticité. A l’image de programmes tels que La Parenthèse Inattendue sur France 2, Fais-moi une Place sur France 5 ou encore Stars au Grand Air sur TF1, la nature bucolique et la vieille maison en brique viennent remplacer l’espace nécessairement plus anonyme et plus artificiel du plateau.

Les émissions « off » : une place grandissante dans le PAF actuel 

Du talkshow au télé-crochet, on l’a compris,  l’expérience du « off » propose aux téléspectateurs le projet utopique d’une caméra qui ne s’arrêterait jamais de filmer. Qu’il s’agisse de l’émission phare de D8, Touche Pas à Mon Poste, en access prime-time, du talent show Danse avec les Stars en prime-time sur TF1 ou encore de la Parenthèse inattendue, qui fut diffusée en deuxième partie de soirée sur France 2,  il devient difficile pour une production de passer à côté des séquences « off ». De quelques minutes à une émission entière, les « scènes secrètes » amusent et étonnent des téléspectateurs qui découvrent leurs stars sous un nouveau jour, celui de l’intimité. On remarquera d’ailleurs que c’est lors des « séquences off », présentées dans la chronique de Jean-Luc Lemoine, que l’émission de talk « Touche Pas à Mon Poste » enregistre son pic d’audience[3]. Lors de cette chronique, où sont déterrées toutes les « petites phrases » des chroniqueurs, la production insiste sur les effets de réel en mettant en scène un langage léger, voire volontairement grivois, afin de simuler une conversation brute, cueillie sur le vif.  Le « off » devient dès lors l’occasion de mettre l’accent sur des situations de malaise ou de ridicule comme pour signifier « venez constater par vous-même ce qui va se passer sans médiation, sans truquage »[4].

En répondant à des besoins déterminés du public et plus largement de la société, le « off » a trouvé une stabilité, dans la durée, en tant que dispositif assumé et en tant que genre. Né à l’orée de deux problématiques communicationnelles grandissantes aujourd’hui, la transparence et l’intimisation de l’espace public, le « off » est devenu une pratique médiatique reconnue socialement des deux côtés de l’écran.

Le « off » s’est donc au fur et à mesure des années institutionnalisé. Cette pratique est devenue un moyen pour attirer un public avide d’images « inédites » en jouant sur l’imaginaire de l’authenticité. Etant à l’origine de fortes audiences, le « off » semble être de plus en plus utilisé dans les émissions de télévision actuelles, et cette tendance pourrait encore grandir.

Sophie Badie

[1] _ « Le Off en politique », Libération Week End, vendredi 14 novembre 2014

[2] _ Transparence et Communication, Jean-Jacques Boutaud 2006, L’Harmattan

[3] _ L’article « Touche Pas à Mon Poste signe un nouveau record d’audience» Melty.fr, le 4/10/13.

[4] _ J-Claude BONDOL, Tous les temps mènent au présent : l’obsession de l’expression de la co-temporalité énonciative dans le discours de la télévision