Débat : les médias & la politique

Les Effeuilleurs se sont récemment penchés sur deux ouvrages qui questionnent le rapport entre les médias, la politique et la communication (à retrouver ici et ). Complétant ce triptyque, un débat opposant les deux auteurs, Juliette Charbonneaux et Thierry Devars, grâce à la médiation d’un de nos Effeuilleurs.

On le voit dans vos deux ouvrages, l’influence de la presse et des chaînes d’info en continu sur le politique a pris de l’importance ces dernières années. Est-ce que cela marque l’émergence d’un changement dans la manière de communiquer des femmes et des hommes politiques selon vous?

Thierry Devars : Par rapport à l’influence des chaînes d’information en continu sur le champ politique, oui il y a eu une accélération du temps médiatique avec laquelle les femmes et les hommes politiques doivent composer. Le fait de faire part d’une plus grande réactivité dans sa façon de communiquer et de composer avec une circulation accrue de l’information, ce qui était moins le cas peut-être précédemment, avec des médias plutôt centrés sur la télévision, sur la logique de rendez-vous du 20 heures notamment.

Qu’est-ce que la peopolisation des femmes et des hommes politiques a changé dans leur manière de communiquer ?

Juliette Charbonneaux : Ce qu’il faut dire au préalable c’est que ce n’est pas du tout un « nouveau phénomène », ça s’est construit dans le temps mais surtout sur une logique gagnant-gagnant, c’est-à-dire qu’aux médias revenait une audience accrue et aux personnages politiques revenait une aura démultipliée également avec une image de proximité par rapport au peuple qui était elle-même accrue. Mais ce qui a changé avec l’affaire Gayet c’est justement cette rupture de la logique gagnant-gagnant puisque c’est justement le candidat qui voulait effacer le côté privé qui va se voir pris dans cette logique de peopolisation à outrance et ce, malgré lui. Du coup, à partir de là je pense qu’il existe une réelle rupture en 2014 qui va induire deux façons de construire sa stratégie de communication politique par rapport à la médiatisation de sa vie privée : une stratégie qui va justement dans ce sens-là de peopolisation accrue en participant par exemple à l’émission de Karine Le Marchand, Ambition Intime. Donc d’abord, une stratégie d’accroissement de la proximité avec le peuple qu’on entend conquérir et de l’autre côté ce qu’on pourrait appeler une recherche de stratégie du silence ou de l’effacement, ce qu’a pu faire par exemple Emmanuel Macron en deux temps : d’abord en s’exposant dans Paris Match puis en s’apercevant qu’il a peut-être été trop loin, là nous avons un phénomène de retrait que l’on peut observer en ce moment même où nous parlons (ndlr : à l’hiver 2016) avec justement son refus de participer à l’émission dont je parlais à l’instant et puis également un refus des interviews à outrance qu’on peut observer chez d’autres candidats.

En quoi cette émission, Ambition Intime, vous semble-t-elle être le symbole de ce dévoilement ?

Juliette Charbonneaux : C’est un symbole à plusieurs titres : au niveau médiatique tout d’abord, nous avons une chaîne qui fait essentiellement du divertissement qui se met à traiter de la vie politique par un biais très particulier, il y a donc ici un premier changement. Et ensuite ça change du point de vue des choix stratégiques de communication politique de la part des candidats ou prétendants candidats qui vont faire le choix d’aller s’exposer de cette manière-là puisque c’est une vraie exposition dans la mesure où c’est la même personne qui allait interviewer des agriculteurs dans L’amour est dans le pré et qui leur posait des questions très intimes. Cette personne-là, qui a tout cet ethos derrière elle, va être amenée à questionner peut-être le futur président ou la future présidente de la République en leur posant, sur le même ton, le même genre de questions. Ça c’est un geste médiatique qui repousse encore plus loin les frontières entre vie privée et vie publique.

Comment ce traitement « peopolisé » de la politique par les chaînes d’information en continu se traduit concrètement au niveau de leur ligne éditoriale et de leur écriture?

Thierry Devars : Il y a un point qu’a évoqué Juliette Charbonneaux qui est très important c’est la logique du gagnant-gagnant. En effet, la BFMisation suppose un rapport de force déséquilibré entre le politique et les médias. Or, ce dont on se rend compte en s’entretenant avec des acteurs politiques comme les journalistes par exemple, c’est qu’on voit des ajustements réciproques notamment lors des meetings. On voit que l’entrée en scène d’un candidat va intervenir en fonction des intérêts propres aux audiences des chaînes d’information en continu.

Ça leur permet de remplir l’antenne en fait?

Thierry Devars : En tout cas c’est un centre d’intérêt certain pour une chaîne comme BFM TV, qui sans pour autant se réduire évidemment uniquement à la couverture de la vie politique, la place au centre de sa stratégie éditoriale.

Juliette Charbonneaux : Tout cela créé de nouveaux espaces de visibilité démultipliés puisque plus la chaîne créé des espaces de demande des politiques plus ça fait des espaces de visibilité potentiels pour ce qu’on pourrait appeler des seconds couteaux politiques (portes paroles des partis et des candidats, petits chefs de courants internes, etc.) qui vont trouver un espace d’expression qui leur était peu offert auparavant et donc pouvoir aussi, dans une perspective assez carriériste, pouvoir profiter de ce système médiatique là.

Ne faut-il pas voir dans cette sur-médiatisation des politiques, dans cette accélération du temps de communication politique, une dégradation de la parole politique ? Car elle se retrouve uniquement calée sur le temps médiatique et plus du tout sur le temps long de l’action politique.

Thierry Devars : Il y a toujours des effets positifs et négatifs. Les effets positifs, et c’est ce que disait Juliette, c’est un élargissement des espaces réservés à la parole politique avec plutôt une diversification des modes d’expression. Il faut vraiment évaluer en fonction des formats qui sont réservés aux politiques. Et en contre-parti il y a une banalisation de la parole politique qui, à force d’envahir l’espace médiatique, devient inaudible et parfois peut faire l’objet de polémiques sur sa qualité et sa valeur.

Juliette Charbonneaux : Il peut y avoir un effet de saturation du fait de ce qu’on appelle la logique de la petite phrase, c’est-à-dire que finalement le côté démocratisation de l’information joue, il y a plus d’espace donc il y a plus de personnes potentiellement qui peuvent avoir accès à la vie politique et à son expression. Mais de l’autre côté ce qu’on peut voir, du côté des journalistes pour le coup, c’est le fait de faire commenter, de produire du commentaire sur ce qui a pu être dit le matin même sur les chaînes d’info, qui circule ensuite sur le bandeau et est repris sur les sites de la presse internet etc.

Face à ces nouvelles tendances, comment on peut inscrire son message politique dans le temps ? Comment peut-on, aujourd’hui, rendre sa parole rare ?

Thierry Devars : Je ne pense pas qu’il y ait de recette qui soit directement offerte à la connaissance du personnel politique lui-même, je crois qu’il y a une phase d’interrogations sur, justement, les ajustements à opérer quant à l’accélération du temps médiatique, cet effet de saturation et aussi d’obsolescence de l’information et de la parole politique. Peut-être que cette question du temps long, qui continuera à se poser en communication politique, se situe moins du côté de la communication en tant que tel que de celui de l’action politique et du politique lui-même qui est un peu passé sous silence par rapport à cette logique des petites phrases.

Juliette Charbonneaux, vous avez écrit sur le couple franco-allemand et sur Angela Merkel, que pouvez-vous nous dire sur sa manière de communiquer ? Depuis notre point de vue en France, elle semble ne pas baigner dans cette peopolisation du politique que nous connaissons.

Juliette Charbonneaux : C’est toujours une logique de responsabilité partagée, entre médias et politiques. Côté médiatique il faut faire attention au modèle allemand, c’est-à-dire comment les médias français participent de l’institution de ce qu’est un « modèle allemand » avec Angela Merkel en tête de proue. Ensuite, ce qu’on peut dire c’est qu’à côté de ce phénomène, la responsabilité des médias français dans l’attention portée à cette figure qui serait pure et sans tâches par rapport à tout ce qu’on peut incriminer à nos politiques français. La tradition en Allemagne n’est pas la même, il y a une logique médiatique différente avec un tabloïd très connu qui est Bild, qui occupe déjà le champ donc du coup les autres quotidiens, magazines sont dans une logique de différenciation radicale et vont avoir moins le désir ou l’envie d’aller chasser sur le terrain du people. Après, du côté de la communication politique d’Angela Merkel, c’est vrai que c’est quelqu’un qui n’a jamais joué cette corde de la vie privée au contraire, jusqu’à ne pas prendre le nom de son mari pour que ça reste également dans le cadre de l’intimité. C’est pour ça que je parle donc de responsabilité partagée.

Nous vivons en ce moment ce que certains journalistes politiques qualifient de crise de régime, est-ce que la façon qu’on eut les chaînes d’info de traiter les crises politiques, comme les démissions du gouvernement par exemple, n’a pas influé sur le sentiment que la vie politique est forcément sensationnelle ?

Thierry Devars : Je pense que nous assistons à une série de paradoxes aujourd’hui, l’idée qu’on a par exemple jamais eu autant de médias, de dispositifs consacrés à la vie politique, le fait qu’on a souvent assigné à la communication un pouvoir presque magique en matière de démocratie et pour autant on s’aperçoit que les taux d’abstention restent très forts à certaines occasions et que la défiance vis à vis du politique est grande, donc on a déjà ce premier paradoxe là. Quant au traitement de la vie politique par les chaînes d’information en continu elles ne sont pas seules responsables, je pense que c’est un système global de mise en scène et de mise en récit de la vie politique. Ça existe depuis longtemps mais là ce sont des principes qui sont accentués et qui font que le politique perd du crédit et les téléspectateurs doivent être mis face à leurs propres responsabilités, d’aimer voir la politique saisie sous cet angle-là, cet angle du récit, du sensationnalisme.

Juliette Charbonneaux : Pour aller dans le même sens, effectivement, ce sont des codes qui sont peut-être accentués par les chaînes d’information mais qu’on peut aussi constater au niveau de la presse écrite et de la sémiotisation de comment on présente les choses en termes de duel. On a des couvertures people qui titrent « Ils se séparent ! » avec une grande ligne de fracture entre deux acteurs politiques, on va retrouver au niveau de la séparation des écrans une manière de construire la dualité de manière sémiotique qui construit un imaginaire du duel très fort et qui circule dans beaucoup d’espaces diversifiés.

Florian de Jésupret, Etudiant Médias & Management 2016-2017