Facebook et le Safety check : une innovation médiatique qui s’est imposée comme une évidence

Vendredi 13 novembre 2015, alors que les attentats étaient en cours dans les rues de Paris, une notification a fait son apparition sur la page Facebook des millions d’usagers situés aux alentours : le Safety check. Simple, efficace, l’application mise en place par le réseau social visait à vérifier l’« état de sûreté » de ses utilisateurs afin de le publier sur leur « profil « et d’en informer, par là-même, tous leurs « contacts ».

Au cours des 24 heures qui ont suivi le lancement de l’application dans la zone parisienne, plus de 5,4 millions de personnes auraient utilisé le Safety check pour rendre contre de leur état au moment du drame[1]. Et ce seraient plus de 360 millions de personnes dans le monde entier qui auraient été avisées du positionnement de leurs contacts au cours des attentats, selon CNN[2].

Il s’agissait de la première utilisation du Safety check par Facebook pour couvrir une catastrophe autre que naturelle. Cet outil avait en effet été lancé en avril 2015 lors du tremblement de terre au Népal[3].

Le logo

C’est avec habileté que Facebook a stylisé le logo de l’application. Plutôt que de choisir une couleur rouge, qui aurait plus instinctivement représenté un état d’urgence, le réseau social a fait le choix d’une couleur verte, donc plus douce, et donnant l’impression de rassurer plutôt que d’inquiéter. L’application semble ainsi ne pas être établie dans une volonté d’annoncer les catastrophes mais au contraire de les prévenir ou du moins d’éviter les angoisses infondées. Le choix de cette couleur correspond aussi probablement au premier objectif de Security check, celui pour lequel il a été conçu, à savoir couvrir les catastrophes en lien avec la nature.

Au sein du logo, un point d’exclamation (l’alerte) est entouré de trois cercles, symbolisant ainsi la couverture de l’événement sur un espace large et la propagation de l’effet que pourra provoquer cette alerte. Facebook paraît ainsi réutiliser le signe de la géolocalisation (une petite montgolfière, ou une flèche arrondie selon les perceptions) pour le styliser en l’adaptant aux circonstances – tout en arrondissant les angles plutôt que de les accentuer.

La géolocalisation

Utilisant l’information du positionnement de ses utilisateurs afin de cibler la notification du Safety Check, Facebook montre qu’il se sert des données de ses utilisateurs pour leur propre bénéfice. Ainsi semble s’opérer un renversement de la perception de l’outil de géolocalisation, maintes fois controversé au sein du réseau social. Alors que la géolocalisation sur Facebook pouvait être critiquée, car bien souvent imposée aux utilisateurs, cette même récupération de données devient soudainement et incontestablement un outil pour les utilisateurs, mis à leur service. Par le Safety check, la géolocalisation passe d’un outil de surveillance à un outil de prévenance.

On pourrait aller jusqu’à dire, si l’on reprend l’utilisation d’Olivier Aïm, chercheur au GRIPIC, qu’on assiste à un panoptisme inversé. Olivier Aïm s’inspire des théories développées par Michel Foucault dans Surveiller et punir pour définir le panoptisme, surveillance généralisée. Mais contrairement au panopticon classique que décrit Foucault, une surveillance de la population par l’Etat au travers d’une structure architecturale et institutionnelle, on pourrait ici dire que Facebook offre par son réseau la possibilité à la population de se surveiller elle-même ; occasion dont elle se saisit délibérément. Les citoyens deviennent dès lors « attentifs, ensemble », veillant sur la sécurité de leur prochain, et allant même jusqu’à l’indiquer eux-mêmes. En effet, l’application contient une fonctionnalité permettant d’avertir qu’un autre utilisateur est bien en sécurité, sous réserve de la confirmation de ce dernier.

Le Safety check est habile car il prend en compte la réalité de la hiérarchisation de l’actualité : plus un événement est proche de nous, plus il suscite notre intérêt. L’attention des dégâts collatéraux aux événements se porte instinctivement vers les personnes de notre propre entourage, et le succès du Safety check en est un bon exemple.

Et s’il y a eu polémique, c’est cette fois pour réclamer une ouverture et une systématisation du dispositif et non pour le discuter ou le dénoncer. La mise en place du Safety check pendant les attentats de Paris a entraîné des commentaires critiques sur le fait que Beyrouth n’avait pas bénéficié de la même action alors que des attentats s’y étaient produits la veille. Mark Zuckerberg s’est défendu de ces accusations en annonçant une évolution de l’application sur un domaine plus large. Il a en effet annoncé qu’il semblait désormais important pour Facebook de jouer un vrai rôle de support dans les catastrophes que pourrait désormais connaître la planète, qu’elles soient naturelles ou non.

Et en effet, le Safety check a – malheureusement – déjà été à nouveau utilisé après les attaques ayant eu lieu au Nigéria le 17 novembre 2015[4].

Facebook renforce ses positions et élargit son champ d’action en resserrant les liens entre sphère publique et sphère privée. L’individualité du profil de chacun se raccroche soudainement à un événement sociopolitique très large, en même temps que les collections d’informations individuelles donnent du sens à un événement local observé dans le monde entier. L’innovation médiatique s’est imposée sans discussion. Une fois- là, on a l’impression qu’elle était déjà là, qu’elle a toujours été là.

Chloé Letourneur - Étudiante C3M 2015-2016

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