Interview de Bryan Pirolli : le journalisme de voyage ou la délicate indentité de la profession journalistique

Bryan Pirolli est journaliste et doctorant à l’Université Sorbonne Nouvelle (Paris 3). Américain expatrié à Paris, il est blogueur[1] et rédige des articles pour divers sites tels que Time Out Paris ou encore CNN Travel. Il a présenté dans le cadre du colloque organisé par le GIS Journalisme un aperçu des recherches qui constituent la thèse qu’il soutiendra en décembre 2015 à la Sorbonne Nouvelle intitulée Pluralité et extension du journalisme de voyage : nouveaux acteurs, nouvelles pratiques, nouvelles attentes.

Depuis quelques années, l’univers de la prescription touristique est révolutionné par Internet et l’usage des nouvelles technologies. Les institutions du journalisme de voyage, telles que le fameux Guide Michelin en France, ont vu apparaître de nouveaux acteurs : des blogueurs indépendants proposent leurs propres sites ou écrivent pour d’autres titres de presse en ligne, jusqu’aux plateformes de préparation et réservation de séjours, type TripAdvisor, où les internautes sont invités à produire des commentaires de recommandation.Bryan Pirolli s’intéresse à la figure du journaliste de voyage qui vit actuellement une crise identitaire de sa profession face à la concurrence des pratiques amateurs vers lesquelles les internautes se tournent de plus en plus. Il constate que les journalistes de voyage sont réticents à l’idée d’investir les réseaux sociaux, alors même qu’aujourd’hui utilisateurs et prescripteurs sont sans cesse invités à échanger sur leurs expériences grâce à ces outils. Échanges qui sonnent comme un gage de transparence.Bryan Pirolli voit pourtant dans ce qui semble être un conflit entre journalisme traditionnel et « prescription 2.0 » une complémentarité essentielle qui permet la légitimation des deux pratiques.

Effeuillage : Dans vos recherches vous invoquez les commentateurs mais vous n’avez pas mentionné, lors de votre présentation, le fait que ceux-ci peuvent souvent être payés pour donner des avis positifs ou négatifs et donc biaisés.

Bryan Pirolli : Dans ma thèse j’en parle. C’est une question énorme. Je peux vous envoyer ma thèse si vous voulez, elle est presque terminée !

C’est une question de fiabilité car sur un site comme TripAdvisor on en sait très peu sur ces gens. Récemment en Italie, en Angleterre, en France je pense aussi, il y avait des questions autour de ces commentaires, et ce que j’ai essayé de faire dans ma thèse était de demander à des voyageurs : « comment faites-vous confiance aux critiques écrites par on ne sait pas qui exactement ? »Ces personnes m’ont répondu que si elles utilisent TripAdvisor, c’est parce qu’elles cherchent une écriture correcte et des indications sur qui sont ces personnes qui écrivent, d’où viennent-elles (car sur TripAdvisor est marquée la provenance de l’auteur du commentaire : Américain, Français,…).

Enfin, il y a tout ce système de lecture des critiques qui m’a frappé dans l’étude car les utilisateurs sont tous au courant du fait qu’il peut y avoir des commentaires payés sur les sites, achetés par exemple en Inde ou dans d’autres pays où des gens fournissent des commentaires. Mais en même temps, si sur deux-cents ou trois-cents commentaires quinze sont faux, il y a quand même ces deux-cents commentaires et quelques qui restent fiables, plus authentiques.

E : Vous faisiez la comparaison avec le journaliste traditionnel auquel on ferait confiance par définition, parce qu’il détient un savoir que nous n’avons pas. Dans le régime actuel, où l’on est toujours dans la vérification, la confiance n’est-elle pas rompue entre le voyageur et le journalisme de voyage ?

B.P : Comparons avec le fait d’acheter une voiture. Est-ce qu’on va lire juste un commentaire en ligne autour d’une voiture, ou prendre l’article dans le Figaro qui affirme que cette nouvelle automobile marche très bien, et l’acheter tout de suite ? Non.

C’est un peu la même chose pour le voyage. Comme je vous l’ai montré lors de ma présentation, il y a tous ces sites comme TripAdvisor, des blogs, le Guide Michelin ou le Monde. Ce n’est pas que les utilisateurs n’ont pas confiance dans un site ou dans un autre, c’est juste que la vérification est quasi obligatoire maintenant car les gens ne se contentent pas d’un seul avis. Même s’ils suivent un blogueur en qui ils ont confiance, lorsque celui-ci conseille un restaurant, les gens vont quand même vérifier sur TripAdvisor pour savoir si c’est bon ou si quelque chose a changé. Au moins avec une voiture, quelque soit le modèle qui sort, ça ne va pas changer pendant l’année.

J’ai une anecdote à ce sujet : un jour je suis allé dans un restaurant à Paris, recommandé par un blogueur que je suis et qui a toujours de bons conseils. J’étais content de le tester, d’y aller avec des amis, mais le jour même où nous y sommes allés il y avait un changement de propriétaire. J’ai d’abord pensé que le blogueur s’était trompé car le service était lent et la nourriture pas top. Ce n’est qu’à la fin du repas que le propriétaire nous a annoncé qu’il venait d’acheter le restaurant. J’ai alors compris que le blog n’avait pas été mis à jour. Si je lis sur TripAdvisor qu’il y a récemment eu un changement de manager dans un restaurant, cela m’aide à faire un choix. Donc on ne va pas sur TripAdvisor pour chercher des bons conseils mais plutôt pour contextualiser d’autres conseils. Car un journaliste de voyage peut dire qu’une croisière est géniale mais cette croisière en hiver va être autre chose. Sur TripAdvisor on cherche des commentaires qui nuancent un peu les articles des journalistes de voyage qui ne peuvent pas tout faire non plus.

E : Concernant la tension entre l’amateur et le journaliste professionnel que vous avez évoquée lors du colloque, pensez-vous que l’amateur tende à remplacer le professionnel, ou sont-ils complémentaires ?

B.P : Dans ma thèse j’utilise plus le mot « complémentaires ». TripAdvisor, les blogs et même Wikitravel, Booking.com et ces autres sites d’achat sont tous là pour compléter les journalistes qui complètent eux-mêmes les non-professionnels. Là où cela devient un peu plus flou, c’est lorsqu’il y a certains blogueurs qui se prennent pour des journalistes, qui font la transition dirons-nous ou « prennent la place des journalistes ». Mais dans tous les entretiens que j’ai faits avec des blogueurs, il y avait très peu de blogueurs qui ont dit « je veux devenir journaliste, je veux publier pour le New York Times, ou le Monde, ou le Guardian ». C’est en fait une attitude assez restreinte. Donc je pense qu’il y a une complémentarité entre toutes ces sources d’information.

E : Pensez-vous qu’on puisse comparer ce qui se passe dans le milieu du voyage et du tourisme, à ce qu’il se passe avec la méfiance qu’aujourd’hui le public peut avoir envers des critiques d’art ou de cinéma par exemple ?Le public peut ressentir une forme d’élitisme chez ces journalistes qui connaissent tellement bien leur sujet qu’ils finissent parne plus parler pour les lecteurs mais leurs pairs. Dans le milieu du voyage les gens se tournent-ils vers des non-professionnels car ils savent qu’ils ont le même type d’expérience qu’eux ?

B.P : Oui je traite un peu de cela dans mon étude, parce qu’un journaliste qui habite à Paris depuis dix ans et qui fait des articles      perd un peu l’innocence que peut avoir un touriste qui vient à Paris pour la première fois. La Parisien peut être blasé par sa ville alors que pour le touriste tout est magique. Il y a donc une perte d’étincelle, de joie dans le reportage journalistique. J’ai eu des entretiens avec des journalistes qui, pour certains, sont un peu blasés, qui font leur travail dans une forme de routine. D’ailleurs, ils ne vont pas partager tous les petits endroits qu’ils aiment bien car un bon journaliste de voyage cache toujours ses propres secrets.

La structure d’un voyage viendra plutôt d’un journaliste, les éléments essentiels, et puis tout ce qui est « atmosphère » et « magie » vient des blogueurs et des non-professionnels. Par exemple un sujet comme la rénovation de l’aéroport Charles-De-Gaulle ,ce n’est pas un sujet très « sexy » pour un blogueur. Il fera plutôt des sujets sur le shopping, les cafés et les pâtisseries… Donc il faut quand même des journalistes pour rédiger autour de tout ce qui relève de l’aspect pratique d’un voyage, même si ce ne sont pas les choses qui font rêver les touristes. Ou par exemple, le Louvre. On ne trouve pas de sujet sur le Louvre dans les blogs parce que personne ne veut écrire sur ce sujet lambda. Mais le Louvre existe tout de même. Quelles sont les nouvelles expositions ? Que s’y passe-t-il ? Ce sont plutôt les journalistes qui complètent ces expériences touristiques en faisant des articles et des sujets sur les musées. Aussi, un billet sur la Tour Eiffel est « nul » pour les blogueurs. Mais il y a tout de même des choses qui changent, il y a des news autour de ce monument, des actualités qui sont rapportées par les journalistes.

[1]          (Where is Bryan ?)

Pierre Nguyen Ba