LE GÉNÉRIQUE DE SÉRIE TÉLÉVISÉE, HISTOIRE D’UNE ÉVOLUTION ENTRE CRÉATION ET MARKETING

Utilisé à l’origine pour désigner les auteurs et les équipes travaillant pour un programme dans les années 1950, le générique a rapidement adopté différentes formes pour remplir de nouvelles fonctions distinctes. Les deux principales sont la contextualisation de l’épisode dans une œuvre de fiction globale et la fidélisation du public. Les concepteurs de séries lui consacrent une attention grandissante, attirant le regard des téléspectateurs, des médias mais aussi celui des marques. Eléonor Silva, chargée de mission presse et réseaux sociaux à l’Ambassade de France au Brésil, a enquêté sur le sujet pour son mémoire de master au CELSA. Elle retrace ici les points forts de sa recherche.

Le binge-watching

Le binge-watching est une expression qui désigne le fait d’enchaîner des épisodes de séries TV sans pause. L’usage de l’expression a été popularisé avec l’avènement de la VOD en ligne: dans une enquête menée par Netflix en 2013, 61 % des abonnés à la plateforme ont dit qu’ils pratiquaient régulièrement le « binge-watching ». Le fait de rendre l’ensemble des épisodes d’une saison immédiatement disponible et la mise en place d’un enchaînement automatique entre les épisodes favorisent particulièrement cette pratique sur Netflix.

On observe aujourd’hui dans les fictions des chaînes du câble américain une tendance à l’allongement et la complexification de leurs génériques. Pour comprendre ce phénomène, il est essentiel de prendre en compte les nouvelles pratiques de consommation, notamment le binge-watching – le fait de regarder un grand nombre d’épisodes d’une série à la suite. L’enchaînement de plusieurs épisodes rend moins intéressante et beaucoup moins utile la séquence d’ouverture. Alors comment en créer une assez captivante pour empêcher le téléspectateur de la zapper ? Les producteurs de fiction sous-traitent parfois cette question à des entreprises qui se sont spécialisées dans la conception de génériques. Eric Verat, scénariste, en parle dans son livre Génériques ! Les séries américaines décryptées [1] :

« Aujourd’hui, les génériques s’imaginent et se composent en majorité dans les open-spaces de petites firmes spécialisées. Savoir convaincre en quelques secondes, un exercice qui se rapproche bien plus de la publicité, discipline rigoureuse où aucun plan ne doit être gâché. »

La séquence d’ouverture est devenue un outil marketing

Cette liberté dans la conception de la séquence d’ouverture a donné naissance à des génériques comme celui de Game Of Thrones, qui ancre la fiction dans une situation géographique, historique et symbolique. Mais aussi au générique dit « complémentaire », tel celui dAmerican Horror Story, série diffusée depuis 2011. Ryan Murphy, son créateur, dévoile le générique quelques jours avant la sortie de la nouvelle saison. Si l’on décortique plan après plan la séquence d’ouverture, il est possible de réécrire l’histoire de la saison, des thèmes principaux abordés aux combats qui auront lieu, jusqu’aux moindres détails sur les personnages. Les téléspectateurs ont donc tout intérêt à être attentifs, quitte à revoir le générique sur internet pour essayer de le comprendre.

Au-delà de servir l’intrigue générale, d’autres producteurs de fiction prennent le parti de détourner la séquence d’ouverture à chaque épisode, la rendant ainsi plus attractive. La série Les Simpson en a fait sa marque de fabrique, notamment en changeant à chaque épisode ce que le personnage de Bart écrit au tableau, et le « couch gag » où l’on voit la famille Simpson qui s’assied sur son canapé d’une manière toujours différente. Mais la série ne s’arrête pas là ; elle aime s’inscrire dans un contexte de création audiovisuelle plus large, en imitant d’autres génériques de séries comme celui de Breaking Bad, ou encore en invitant d’autres cinéastes à le revisiter, comme Guillermo del Toro.

Les marques reprennent les codes du générique pour toucher leur public cible

Les créateurs des Simpson ne sont pas les seuls à chercher à détourner le générique. On trouve aussi des spectateurs qui publient sur Youtube des montages de différents épisodes d’une ou plusieurs séries, de playlists et blind tests de bandes originales de séries, ou encore de détournements du générique, à l’image de celui de Game of Thrones revisité avec la même version de Friends. Ces transformations dans la conception et la forme du générique suscitent aussi l’intérêt de médias comme Melty, Konbini et le blog séries de Télérama, qui proposent des analyses, décryptages où des analystes passionnés tentent de comprendre la signification et symbolique de chaque plan des génériques.

Les chaînes ont su tirer parti du potentiel « viral » de ces génériques et ont compris leur impact sur les spectateurs, leur influence en terme de fidélisation et l’effet de communauté qui en découle : qui ne reconnaît pas le générique de Friends à l’écoute des trois premières secondes ? C’est le cas de HBO, dont toutes les séries sont estampillées du même premier plan, le logo de la chaîne, sur un écran noir, accompagné d’un son de zapping suivi d’une musique angélique. La chaîne s’est donc créée son propre « générique » qu’elle appose à toutes ses séries, et qui a aujourd’hui une force dans l’imaginaire collectif des spectateurs de séries après plusieurs décennies de succès mondiaux, de Sex & the City à Game of Thrones.

Bruce Richmond, vice-président d’HBO, décrit ce phénomène en le rapprochant du réflexe de Pavlov. À l’image du chien qui salive quand il reconnaît la pièce ou la personne qui lui donne à manger, le téléspectateur saliverait en entendant l’introduction du logo HBO, sachant que ce qui va suivre sera d’une qualité certaine.

Et HBO n’est pas seule à vouloir produire cette réaction ; en effet, les marques de grande distribution, comme de mode, ont aussi trouvé en ces séries virales des moyens de toucher des cibles jeunes qui délaissent la télévision linéaire et qui sont moins exposées de ce fait à leurs discours publicitaires. Certaines utilisent ainsi les génériques de séries afin d’introduire leur produit, et plus que s’inspirer de l’esthétique de certaines scènes d’ouverture, s’en approprient parfois même le sens. Hootsuite par exemple reprend les codes du générique de Game of Thrones, en présentant « A game of Social Thrones » qui insinue une sorte de guerre du trône entre les différents réseaux sociaux tels Facebook, LinkedIn, Snapchat, ou encore Google, mais qui se présente comme le moyen d’avoir accès à toutes les données pour les maîtriser. En somme, un service de sous-traitance de management de réseaux sociaux qu’elle propose aux professionnels.

Le générique est ainsi devenu un outil pour non pas encadrer l’œuvre audiovisuelle mais la compléter, voire devenir une œuvre à part entière qui symbolise la série et donne lieu à de multiples appropriations de la part de téléspectateurs. Cette viralité a été remarquée par les chaînes et les marques, qui font leur possible pour que la qualité des séries qu’elles diffusent soit associée à leur nom. Mais pour maintenir un bénéfice pour les deux partis, séries et marques, il faut savoir maintenir un fragile équilibre. Dans un monde où le cap du merchandising sur les paquets de céréales a été franchi depuis bien longtemps, reste à savoir si cela, à terme et à outrance, ne décrédibiliserait pas l’image de marque de la série télévisée.

[1] VERAT, Eric, « Spécialistes », in Génériques ! Les séries américaines décryptées, Les Moutons électriques, 2012, p.103

ELEONOR SILVA

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