Le hashtag à la télévision : de nouveaux enjeux communicationnels

Banalisé sur les réseaux sociaux, le hashtag (le mot-dièse, #) a migré sur les écrans de télévision. Il ne s’agit pas seulement d’une décoration, qui signifierait la modernité du programme et de la chaîne. Car le hashtag tente d’instaurer un nouveau lien entre la télévision et ses publics, il cherche à modifier la relation entre le média et ses téléspectateurs. « Réagissez », « intervenez », « répondez » : autant de formules qui accompagnent généralement le lancement d’un hashtag dans un programme télévisé. Autant de marques d’insistance sur la dimension participative proposée au spectateur dans l’expérience télévisuelle. Le public serait désormais acteur à part entière d’un programme, puisqu’il est incité à s’exprimer en entrant dans la grande « conversation » des réseaux sociaux. Mais au-delà des fausses évidences, que promet et promeut vraiment le hashtag ?

Du mot-dièse à l’image-dièse

Le hashtag à la télévision est un signe emprunté. Sa présence amène à s’interroger sur la nature de l’objet médiatique recréé hors de l’espace numérique. Sur l’Internet, la fonction première du hashtag est de baliser un grand nombre d’informations produites par une multitude de sources. Cela est rendu possible par son caractère d’hyperlien ; en cliquant sur le hashtag, l’internaute est immédiatement redirigé vers l’ensemble des informations thématisées. En sortant de l’espace numérique, le hashtag est donc privé de cette fonction, puisque le téléspectateur ne peut pas cliquer sur son écran de télévision. Il ne peut pas avoir directement accès aux conversations autour d’un programme, ce que permet habituellement le signe hashtag-hyperlien sur les réseaux sociaux.

C’est donc un nouvel objet médiatique qui est créé à la télévision : il repose sur les mêmes codes visuels, tout en étant en réalité de nature très différente. En intégrant l’espace télévisé, le hashtag se mue pour ainsi dire en simple « image du mot-dièse », ou « image-dièse », c’est-à-dire en un signe dont la seule fonction est de renvoyer à un imaginaire participatif associé aux réseaux sociaux. En voyant le mot-dièse à l’écran, le téléspectateur initié est censé comprendre instantanément l’injonction implicite du programme télévisé à intégrer une conversation sur Twitter. Le hashtag à la télévision n’est plus une balise hyperlien, mais une interface communicationnelle entre un programme et son public.

Réhabilitation du hashtag

Il revient au téléspectateur la tâche de réactiver la notion de « tag » (puisque le # est figé à l’écran) en s’en saisissant pour le diffuser sur Twitter via son smartphone, son ordinateur ou sa tablette pendant qu’il regarde l’émission. Expliquons ce phénomène qui va se concrétiser par un glissement d’un média à un autre : l’image-dièse est reconnue par le téléspectateur (si tant est qu’il soit suffisamment initié), elle l’incite à devenir internaute, et le télénaute (le téléspectateur-internaute) transforme le mot-dièse en véritable hashtag en l’amenant sur la plateforme numérique. L’un ne peut se faire sans l’autre, et la réalisation de l’un entraîne nécessairement celle de l’autre. Le programme « Danse avec les stars » sur TF1 en 2014 a particulièrement mis l’accent sur le hashtag #DALS, incrusté à l’écran lors des moments-clés des émissions. Chaque spectateur qui choisit d’intégrer le hashtag #DALS à son tweet, conformément à la stratégie de TF1, s’inclut symboliquement dans une communauté numérique de fans que le hashtag contribue à regrouper sur Twitter. La conversation est censée pouvoir alors commencer. Car intégrer un hashtag dans un tweet, c’est nécessairement s’inscrire dans un dispositif qui repose sur le partage, la reprise et le commentaire. C’est un geste performatif, au sens où J.L. Austin l’a défini. Ici, dire, ou plus exactement écrire, c’est faire ; de la même manière que dire « je le jure » c’est accomplir un acte, écrire #DALS c’est faire migrer le programme de la télévision aux réseaux sociaux.

Quand le téléspectateur intègre le programme télévisé

En recréant le hashtag sur Twitter, le télénaute permet la thématisation des réactions de l’ensemble des téléspectateurs connectés. Il favorise ainsi un recueil exhaustif d’informations facilement consultables et quantifiables (enjeu essentiel pour le diffuseur et le producteur ), et participe à l’unification des publics derrière un même hashtag. La communication intermédiatique repose alors sur la confrontation de deux entités artificielles ; d’un côté un programme, qui recoupe une réalité bien plus complexe (compromis entre un diffuseur, des producteurs et des annonceurs), et de l’autre un public connecté constitué d’une multitude de télénautes, et faisant par conséquent abstraction de tous les autres. L’information de masse ainsi produite, supposée refléter l’avis de la majorité du public connecté, peut donner lieu à des traitements différents ; mais tous visent à attester de l’inclusion du téléspectateur dans le contenu télévisé. Dans le cadre de « Danse avec les stars » par exemple, les tweets diffusés par les internautes-téléspectateurs avec le hashtag officiel de l’émission peuvent ainsi être repris par le programme afin d’illustrer les prestations les plus commentées et les moments-phares du programme. Dans d’autres émissions, c’est l’ensemble du déroulement narratif qui est modifié par l’implication des internautes sur Twitter. A l’occasion de sa onzième saison, la Nouvelle Star a ainsi proposé à ses téléspectateurs de voter pour un candidat directement sur Twitter, en se servant du hashtag #NSvote. Quant à la fiction courte What Ze Teuf, diffusée en décembre 2013 sur D8 puis D17, elle reposait sur la participation des internautes, les scénarios de chaque épisode étant inspirés des tweets de la veille.

Le hashtag à la télévision implique ainsi la création de différents objets médiatiques, constitués au cours de trois migrations successives : de l’Internet à la télévision tout d’abord, avec la récupération d’un mot-dièse dans un programme télévisé ; de la télévision à Twitter ensuite, avec les mutations simultanées du spectateur en internaute et du mot-dièse en véritable hashtag ; de Twitter au contenu même du programme enfin, avec la récupération de l’information balisée par le hashtag pour modifier le contenu du programme. Toute la complexité de l’acte de communication réside ainsi dans la nécessité et la spécificité de ces trois étapes. Elle se confronte par conséquent à un certain nombre de limites susceptibles de l’entraver, qu’elles soient techniques (difficulté d’adaptation des contenus), ou d’usage, l’ensemble du public n’étant pas forcément familier des réseaux sociaux.