Le « slow média » : un remède à l’instantanéité ?

Construit à l’encontre des imaginaires de l’immédiateté et de l’instantanéité qui caractériseraient nos sociétés occidentales modernes, le discours slow a peu à peu envahi différents espaces (art, gastronomie, architecture, etc.) avant d’atteindre les médias.

Le slow média : un nouveau concept

L’expression slow media se traduit par des modes de production journalistiques et médiatiques (mais aussi à des pratiques) « plus lents ». Face à un discours fantasmé sur la rapidité nouvelle des médias, le mouvement prône une utilisation plus modérée des outils informatiques et favorise la presse papier dotée d’une plus grande durée de vie.

Inspiré par le mouvement slow food (visant à produire et consommer différemment les denrées alimentaires) le terme s’est vu appliqué aux médias pour la première fois en 2002 . Dans le cas de la presse et la télévision, plusieurs exemples de médias considérés comme slow – si l’on en croit le manifeste rédigé en Allemagne – ont vu le jour. On note entre autres les mooks (contraction des mots « magazine » et « book ») tels que Feuilleton, XXI, Desports, 6 Mois ou Charles, mais aussi des émissions dites de slow TV. Une mise en avant du qualitatif sur le quantitatif qui prendrait à contre-pied la génération « connectée », vivant uniquement dans l’instant.

L’imaginaire d’une information pérenne : l’exemple des mooks

De fait, pour les médias hétérochrones, c’est-à-dire les médias dont le temps de diffusion n’est pas égal au temps de réception (la presse papier entre autres, est un média hétérochrone, contrairement à la radio), il est particulièrement aventureux d’aborder la question de la lenteur. En se rapprochant du format livresque, offrant dans leurs numéros des articles au long cours sortis du flux de l’actualité, les mooks ont questionné la notion même d’actualité. Ils sont des objets qui se collectionnent : le nouveau numéro ne remplace pas le précédent, il se pose à côté.

Un concept réducteur ou l’avenir du journalisme ?

Si des signes du monde du livre transparaissent dans la presse papier, si la périodicité est plus étendue, peut-on parler de lenteur ? Le danger de ce type de discours est la création d’une dichotomie, d’une pensée binaire entre ce qui relèverait du fast et ce qui relèverait du slow. Cela réduirait l’analyse des médias à deux concepts : celui de la rapidité et de la lenteur.

Cependant, le terme slow est vecteur de fantasmes chez les journalistes. Le slow media manifesto précédemment évoqué fait explicitement référence à un journalisme de qualité, à un support dont transpirerait la valeur de l’écriture. Un renouvellement des mythes professionnels des journalistes s’opère à travers ces créations médiatiques. Alors que la profession est en mutation, un discours sur le journalisme « à l’ancienne » préconisant le monotasking (le fait de faire une seule chose à la fois, à l’inverse du multitasking) est un instrument créateur de repères. Car dans la lenteur prétendue, il faut également voir le temps que le journaliste passe sur le terrain, le temps qu’il passe à la rédaction de son article. Contre le journalisme dit « de bureau » s’oppose un journalisme d’enquête. L’expression slow media possède en cela une prétention de communication : tout comme le mot « mook », nous y retrouvons une volonté d’afficher un processus, un souhait de transparence des pratiques professionnelles des journalistes et c’est sans doute là que se situe son réel intérêt.

RAUGH Jennifer, The Origin of Slow Media : Early Diffusion of a Cultural Innovation through Popular and Press Discourse, 2002-2010, Transformation n°20

Le manifeste est disponible en anglais à cette adresse : http://en.slow-media.net/manifesto (date de consultation : 18 novembre 2014)

Marion Philippe, « Narratologie médiatique et médiagénie des récits », in Recherches en Communication n°7, 1987.

Ugo Moret