« Le Petit Journal » : un vrai journal pour s’informer ?

« Le Petit Journal » est une émission diffusée sur Canal + tous les soirs après « Le Grand Journal » et avant le programme du soir de la chaîne cryptée. Cette émission a vu le jour en 2004 et fait aujourd’hui trente minutes, contre les cinq qu’elle comptait à l’origine. Ses audiences dépassent maintenant régulièrement celles du « Grand Journal » et se situent entre 1,5 et 1,8 millions de téléspectateurs[1].

Cette émission a aujourd’hui plus de 10 ans et beaucoup de succès. Elle est souvent citée par les journalistes spécialistes des médias comme l’exemple de ce que l’on appelle aujourd’hui l’infotainment. Ce mot anglais illustre une tendance qui provient des late shows et qui consiste à mêler information et humour, ou information et divertissement. Ce métissage peut prendre différentes formes, le maître du genre aux États-Unis étant Jon Stewart, dont l’émission « The Daily Show » existe depuis 1999.

« Le Petit Journal » semble alors être une adaptation de ce format déjà bien connu aux États-Unis. Mais il serait trop simple d’analyser cette émission seulement de cette manière. Les mutations de l’émission depuis 2011 montrent qu’elle cherche encore sa forme pour acquérir une certaine crédibilité au sein du paysage médiatique français. L’infotainment n’occupe pas la même place en France qu’aux Etats-Unis. « Le Petit Journal » a alors opéré une transformation de l’humour vers plus d’information et de fond.

La prise de distance et la satire à la base de l’émission

Ce qui a constitué le style de Yann Barthès et la base de l’émission était l’utilisation d’images diffusées sur d’autres chaînes, en commentant ce qu’il s’y passait. Souvent, cette technique lui permettait de mettre au jour des situations humoristiques qui ne sont pas visibles directement, ou de décrypter des situations drôles. Cela pouvait être le geste d’un homme politique qui était passé inaperçu, une répétition du même discours plusieurs fois, des images de coulisses, etc. Mais « Le Petit Journal » n’hésitait pas non plus à se moquer des journalistes, soit en les filmant en situation de tournage, soit en se moquant de certains sujets ou de certaines émissions. Depuis ses débuts « Le Petit Journal » pousse le téléspectateur à la prise de recul devant les images qui sont diffusées à la télévision, en montrant leurs conditions de préparation et de tournage.

A ses débuts, « Le Petit Journal » créait aussi ses propres images. Une des techniques privilégiées était le reportage sur le terrain, pour aller interroger des personnes dans la rue, dans la file d’attente d’un concert, à la sortie du cinéma, etc. L’émission empruntait alors la forme du reportage, du micro-trottoir, pour recueillir des avis, mais ceux-ci concernaient des sujets qui n’étaient pas jugés comme « sérieux ». Les questions concernaient des sujets légers comme leur star préférée ou leur avis sur un film.

Ce type de réappropriation des codes journalistiques à des fins humoristiques n’a pas fait l’unanimité au sein des journalistes.

Ces deux manières de s’amuser avec l’actualité (la reprise d’images en les commentant ou la création de sujets à visée humoristique) posent la question de la qualité informationnelle du programme, que tous ne reconnaissent pas au « Petit Journal ». Luc Chatel (le journaliste et non l’homme politique) disait de Yann Barthès, à l’occasion de la sortie de son livre Les Tartuffes du petit écran : « dans son émission, on ne recherche pas l’information mais juste des images qui, montées de manière plus ou moins honnêtes, sont susceptibles de faire sourire ou de créer le buzz. Je n’ai donc pas envie qu’il parle en mon nom ! Pas étonnant d’ailleurs que son équipe et lui aient des problèmes pour garder leur carte de presse. »[2]

« Le Petit Journal » : un contenu informationnel critiqué

Au fur et à mesure de l’allongement de l’émission, son contenu s’est également modifié. Le programme a gardé son principe de base, mais un décalage s’opère quelque temps avant l’autonomisation de l’émission en 2011. « Le Petit Journal » traite alors de plus en plus de politique. L’émission garde dans son contenu régulièrement des sujets sur les people, mais ceux-ci passent au second plan, alors que ce qui a fait le succès de Yann Barthès était au commencement « Le Petit Journal People ». Cette trace se retrouve également dans la « Minute Pop » assurée pendant la saison 2013-2014 par Ophélie Meunier, mais encore le « Village People », rubrique assurée pendant la saison 2014-2015 par Willy Papa

Ce déplacement vers le politique assure-t-il à l’émission un contenu plus informationnel, plus « sérieux » ? Les avis des politiques divergent, entre ceux qui accueillent cette émission avec humour et ceux qui la condamnent en disant qu’il ne s’agit pas de journalisme. Cela a été le cas de Nicolas Dupont-Aignan au moment de la campagne présidentielle de 2012 : « Faire de la démolition sous prétexte d’humour, ce n’est pas drôle et ce n’est pas juste.
Je ne veux pas passer pour un censeur, mais, comme Jean-Luc Mélenchon (leader du Front de gauche, NDLR), je n’ai plus envie d’autoriser la présence des caméras du “Petit Journal” dans les manifestations liées à mon parti, Debout la République. La plaisanterie a assez duré. »[3]

En restant focalisé bien souvent sur l’humour dans le traitement du politique, le contenu informationnel du « Petit journal » n’est pas évident. Cependant, en apportant des informations sur les coulisses de la politique et surtout de la communication politique, « Le Petit Journal » ne donne-t-il pas des clés de compréhension à ses spectateurs ? N’est-ce pas là alors une forme de journalisme ? Le décryptage se fait d’une autre manière que dans la presse écrite et dans certaines émissions politiques, et sur un ton différent, mais l’intention reste proche. « Le Petit Journal » fait de façon humoristique ce que font d’autres journalistes sur un ton plus sérieux. Cette façon de traiter le politique séduit un public large, et surtout un public jeune[4], parfois éloigné du politique. Yann Barthès le dit lui-même : « On a les mêmes images que les autres chaînes de télévision, mais on les regarde autrement. Notre job, c’est de décrypter ce spectacle de marionnettes »[5].

Mettre en cause le contenu informationnel du « Petit Journal » soulève des interrogations intéressantes. En effet, « Le Petit Journal », dans sa forme et dans son ton, pourrait être considéré comme la version audiovisuelle du Canard Enchaîné. Ce titre de presse très particulier utilise la satire et l’ironie, tout en parlant d’actualité. Mais cette forme s’adresse aux lecteurs déjà bien informés par d’autres biais, notamment la presse quotidienne nationale. Le Canard Enchaîné ne se lit pas seul, mais en complément du reste de la presse. Sans avoir connaissance des actualités qui y figurent, il est difficile de comprendre son humour. Il en va de même pour « Le Petit Journal » : l’émission reprend des informations ou des images d’autres médias, pour en dégager le côté drôle. Cet humour par le décalage est plus facilement compris si le public est déjà familier de ce que l’émission évoque. Ces deux médias mettent également l’accent sur le « off » ou sur les coulisses, en exploitant ce que d’autres journalistes laissent parfois de côté.

« Le Petit Journal » serait alors une émission qui se regarderait en complément des autres et non pas de façon indépendante ? « Le Petit Journal » n’offre pas un tour d’horizon complet de ce qu’est la vie politique. L’émission permet de comprendre les ressorts de la communication politique, mais ne va jamais dans le détail des programmes. Cela a été plus évident pendant la campagne présidentielle de 2012. « Le Petit Journal » a reçu Nicolas Sarkozy et François Hollande. Lors du passage des deux candidats, il n’était pas question de programme politique, mais de la manière dont chacun traitait les journalistes. Il était question de leur style, de communication politique, et ils ont accepté d’être suivis pendant 24H par une équipe du « Petit Journal »[6]. Il est alors beaucoup plus question de la campagne et de son fonctionnement que du bilan du Président de la République, par exemple. De plus, pendant toute la durée de la campagne, « Le Petit Journal » réalise des séquences parodiques intitulées « l’élection du CE ». Eric et Quentin incarnent des personnages candidat à la présidence du CE, qui sont en fait Nicolas Sarkozy et François Hollande en campagne. Ils reprennent ainsi les principaux défauts des candidats, leur manière de faire des images ou de s’exprimer, également pour dénoncer la façon dont se tient la campagne.

Malgré ce manque du côté des questions politiques, les émissions de divertissement montent en puissance, comme l’expliquent Pierre Leroux et Philippe Riutort dans un article paru en juin 2011 dans la revue Communication & Langages[7] : « Délibérément ignorées par les journalistes politiques à l’origine comme des concurrentes « indignes », ces émissions sont désormais observées et décryptées au même titre que les émissions politiques classiques. »

L’évolution de l’émission : vers plus de contenus informationnels ?

L’ancienne émission « Arrêt sur images », devenue aujourd’hui un site internet, critique souvent « Le Petit Journal », qui favoriserait une perte de valeur du politique à cause du traitement par le prisme de l’humour.

Cependant, depuis son autonomisation, l’émission est en constante évolution. Certains passages reprennent les recettes qui faisaient le succès de la chronique : séquences humoristiques sur les politiques, micro-trottoirs, commentaires d’images de célébrités … Mais d’autres passages bénéficient d’un traitement plus dense avec un rythme plus lent. C’est le cas lorsque Yann Barthès évoque des sujets très sérieux, ce qui arrivant moins souvent lorsqu’il était au « Grand Journal ». Ces sujets sont souvent réalisés par Martin Weil, arrivé dans l’équipe en 2013, et qui n’hésite pas à aller faire des sujets dans des pays en guerre.. Lors de ces sujets, le ton humoristique est rarement de rigueur. Ainsi, l’actualité internationale fait aujourd’hui l’objet d’un traitement plus long, avec des reportages sur place, reconnu par les analystes des médias comme étant de qualité. [8]

Le fait que l’émission ait gagné en durée favorise ce genre de sujets, et Yann Barthès et son équipe n’hésitent plus à aller faire « du fond ». Si bien que parfois le changement de ton est difficile à négocier entre « l’instant Président » qui vise à se moquer de François Hollande et un sujet sur le traitement des homosexuels en Ouganda.

C’est donc une décision forte que Yann Barthès et Laurent Bon ont prise, comme pour revenir sur le mauvais souvenir de 2012 où la moitié des cartes de presse de l’équipe du « Petit Journal » n’avait pas été renouvelée. Yann Barthès veut gagner en légitimité, tout en gardant les ingrédients qui ont fait son succès : l’humour. Ce qui explique la présence d’Éric et Quentin, qui illustrent l’actualité en en grossissant le trait, ou de Catherine et Liliane, qui commentent l’actualité de manière humoristique.

De ce fait, en gagnant de l’importance l’émission a également gagné en contenu informationnel, notamment en ce qui concerne l’actualité internationale. Comme si le contexte médiatique français et les différentes critiques adressées à l’émission avaient poussé ses créateurs à s’adapter, à s’éloigner légèrement du modèle original du « Daily Show » de Jon Stewart pour créer leur propose forme d’infotainment à la française.

Avec une actualité politique toujours plus théâtralisée et la campagne de 2017 déjà presque lancée, « Le Petit Journal » aura beaucoup à faire avec l’actualité française. Mais il serait étonnant qu’ils abandonnent les sujets de Martin Weill, même si ceux-ci occasionnent des changements de tons parfois difficiles à négocier, entre l’humour et des sujets graves. « Le Petit Journal » continuera sans doute à chercher son équilibre, en tant qu’une des émissions pionnières de l’infotainment en France.

Paola Paci

[1] SALLÉ Caroline, sur lefigaro.fr,  “Le Petit Journal a dépassé le grand”, publié le 12 mars 2015. http://www.lefigaro.fr/medias/2015/03/12/20004-20150312ARTFIG00016-le-petit-journal-de-canal-a-depasse-le-grand.php, dernière consultation le 12/04/2015

[2] SÉNÉJOUX Richard sur Telerama.fr, “ Luc Chatel : “sous ses abords de rebelle branché, Yann Barthès est d’un total conformisme” http://www.telerama.fr/medias/luc-chatel-sous-ses-abords-de-rebelle-branche-yann-barthes-est-d-un-total-conformisme,89024.php, dernière consultation le 12/04/2015

[3] TOURNIER Pascal, sur leparisien.fr “Les politiques jugent le Petit Journal”, encadré figurant après l’article “ Yann Barthès “On rit des puissants, pas des faibles””, 07/10/2013, dernière consultation le 12/04/2015

[4] RENOU-NATIVEL Corinne sur lacroix.fr, « Les ados découvrent l’actualité par « Le Petit Journal » de Canal + », http://www.la-croix.com/Famille/Parents-Enfants/On-en-parle/Les-ados-decouvrent-l-actualite-par-Le-Petit-Journal-de-Canal-2014-05-01-1144219, dernière consultation le 12/04/2015

[5] BESSON Philippe, sur Leparisien.fr, « Yann Barthès « On rit des puissants pas des faibles » », publié le 7 novembre 2013 http://www.leparisien.fr/magazine/grand-angle/yann-barthes-on-rit-des-puissants-pas-des-faibles-07-11-2013-3295369.php. Dernière consultation le 14/01/2015

[6] http://www.dailymotion.com/video/xpif5b_nicolas-sarkozy-au-petit-journal_news

[7] LEROUX Pierre, RIUTORT Philippe, « Les émissions de divertissement : de nouveaux lieux de valorisation des petites phrases ? » in Communication et langages N°168, juin 2011, page 72

[8] Emmanu124, sur lexpress.fr “Martin, le Tintin génial du Petit Journal de Canal”, publié le 21/10/2013, http://www.lexpress.fr/culture/tele/martin-petit-heros_1292542.html#, dernière consultation le 12/04/2015