Retour sur Anarchy, premier projet transmédia de France 4

Le 18 décembre 2014, s’achevait Anarchy, le premier projet transmédiatique signé France 4. Pendant plus de deux mois, la chaîne a diffusé les huit épisodes d’une fiction dont le script découlait des inventions des internautes. A l’occasion de la diffusion du premier épisode, Effeuillage exposait en novembre dernier les spécificités du projet. Aujourd’hui, quel bilan tirer de l’expérience Anarchy ? Quelles sont les retombées de ce mode d’écriture sur France 4 ?

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Un dispositif médiatique important

Anarchy a été le premier projet transmédia à apparaître dans la grille des programmes de France 4. Anarchy se développe en effet au sein de plusieurs médias. Dans un premier  temps, la fiction au scénario catastrophe a fait l’objet de 8 épisodes diffusés tous les jeudis à 22h50.

Anarchy est surtout présent sur Internet, à travers son site officiel http://anarchy.nouvelles-ecritures.francetv.fr/, mais aussi sur les réseaux sociaux Facebook et Twitter. Anarchy est également présent sur Google +, mais l’activité y est nulle. Sur Twitter, deux comptes officiels sont consacrés à Anarchy, @Anarchy, relayant l’actualité des différentes plates-formes exploitées, et @Anarchy_aide, créé dans le but d’accompagner l’internaute dans son appropriation des outils de création. Anarchy est également présent sur Scribblelive [http://www.scribblelive.com/Event/Anarchy_Production]. Cette plateforme permet à l’internaute d’accéder à l’actualité de l’univers fictif d’Anarchy par le biais d’un fil d’informations délivrées « en direct ». Cet outil est très similaire à Twitter dans sa logique de distribution de contenus caractérisée par une logique d’immédiateté mais n’impose pas de limite de caractères. Les possibilités d’écriture sont beaucoup plus importantes. Scribblelive permet également d’établir des sondages.

Anarchy, c’est également de la vidéo. Le compte officiel sur Dailymotion [http://www.dailymotion.com/anarchy_NE] comprend 33 vidéos et fait apparaître 8 abonnés et près de 3300 vues. Sur le compte Youtube [https://www.youtube.com/user/anarchyF4/] sont hébergées 120 vidéos, vues plus de 34 000 fois. La chaîne Anarchy est suivie par une centaine d’abonnés. Ces sites d’hébergement sont un moyen pour Anarchy de proposer à l’internaute un contenu vidéo varié. En dehors des épisodes de la série diffusée sur France 4, on y retrouve les rubriques de Bruno Duvic (journaliste à France Inter), des interviews de personnages fictifs ou réels, une série de portraits dans une playlist intitulée « L’histoire du jour », mais aussi un flash d’infos. Tous les mardis, jeudis et vendredis à 18h30, ces vidéos étaient diffusées et reprises sur le site officiel.

Anarchy a également bénéficié d’un espace particulier au sein du média radio. Diffusé tous les jeudis à 17 heures, Le Journal du Chaos revenait sur l’actualité fictive de l’univers Anarchy, à la manière des autres émissions d’informations de l’antenne. Anarchy bénéficie également d’un espace en presse. Le Monde, partenaire du projet, a en effet consacré quelques articles au projet. A la différence de France Inter cependant, le caractère fictif d’Anarchy y est clairement annoncé. Si le site du titre de presse reprend les aventures des personnages de fiction sous la forme de feuilleton, Le Monde propose également des interviews réelles d’universitaires et de professionnels de l’économie et de la sociologie pour analyser les enjeux des notions mises en avant dans la révolution économique et politique d’Anarchy. La fiction se mêle à la réalité en s’immisçant dans les espaces médiatiques. La force d’Anarchy repose sur la crédibilité du scénario.

La vraisemblance au cœur du projet

Sur France Inter, Le Monde comme sur les plates-formes Internet du projet, les informations sont très crédibles. Si l’actualité qui est écrite s’inscrit dans l’univers de fiction d’Anarchy, il serait difficile hors-contexte de décerner le vrai du faux à la seule consultation des contenus,. La vraisemblance repose ici sur l’utilisation d’éléments issus du réel qui sont ensuite modelés par les contributeurs du projet. Ces références au réel sont dans un premier temps visibles dans les formats adoptés. Les émissions d’informations audio et vidéo sont semblables à ce que l’on retrouve au quotidien et se fondent parfaitement dans l’univers médiatique actuel. Ainsi, les flash infos sont présentés sous la forme d’émissions plateau, animés par un journaliste commentant les sujets du jour dont les vidéos apparaissaient en juxtaposé à la droite du présentateur pendant qu’un bandeau d’informations défilait en bas de l’écran. Ces flash infos étaient également rythmés par un générique qui assure l’identité sonore du format, et dont les extraits encadrent les sujets et reportages. Ici, le format adopté est similaire à celui du journal télévisé classique sur plateau des chaînes d’informations en continu. Le Journal du Chaos était quant à lui présenté par le journaliste Bruno Duvic, qui assure notamment la revue de presse de la matinale de France Inter en semaine. C’est une voix connue des auditeurs, une voix assimilée à la présentation de véritables informations, qui est exploitée pour la fiction Anarchy et qui participe ainsi au flou autour de la véracité des faits.

De même, les articles du site officiel du projet reprennent certains codes journalistiques au profit de la vraisemblance. Dans la forme comme dans le fond, les contributeurs exploitent les codes de l’écriture journalistique sur Internet. Les titres ne font en aucun cas référence au projet de fiction Anarchy. Ainsi de  « La détresse des Français à l’étranger » [http://anarchy.nouvelles-ecritures.francetv.fr/2014/11/01/la-detresse-des-francais-a-letranger.html], de « Paris : les magasins d’électroménager pris d’assaut »[http://anarchy.nouvelles-ecritures.francetv.fr/2014/11/01/paris-les-magasins-d-electromenager-pris-d-assaut.html] ou encore de « Classico, le casse-tête de Laurent Blanc » [http://anarchy.nouvelles-ecritures.francetv.fr/2014/11/05/classico-le-casse-tete-de-laurent-blanc.html]. Les articles sont illustrés de photographies déjà existantes, et non créées pour ce projet. Ils sont également introduits par un nuage de tags reprenant les mots-clés de l’actualité en question. Ces mots-clés sont cliquables et renvoient vers les articles concernant la thématique. La ressemblance avec la presse en ligne s’inscrit également à la fin des articles, puisque le site donne des conseils de lecture en proposant des sujets connexes, introduits par la phrase « A lire aussi ».

Les articles sont très souvent ancrés géographiquement : ils font référence à des lieux précis et réels, comme ici avec le Forum des Halles à Paris. Le projet est également marqué par la création de médias fictifs comme France BreakingNews ou encore France Indé. Dans son travail d’imitation, Anarchy est un véritable pastiche des titres de presse d’information en ligne.

Ainsi, alors qu’une « Grande votation citoyenne » se profilait au sein de l’univers, le dispositif mis en œuvre sur les plates-formes officielles était très similaire à ce que proposent les médias pendant les véritables journées électorales. Sur Twitter et Scribblelive notamment apparaissaient les taux de participation ou encore des récits d’envoyés spéciaux dans des bureaux de vote fictifs. Le vote était d’ailleurs introduit par la phrase : « Si vous n’avez pas accès à un bureau de vote physique, votez ici ».

Anarchy se démarque alors par l’ambiguïté des formats proposés mais aussi par ses clins d’œil à l’actualité. Par exemple, dans le monde d’Anarchy, François Hollande nomme un économiste au poste de Premier Ministre après la démission de Manuel Valls. Anarchy fait alors implicitement référence à l’arrivée en août 2014 de l’ancien banquier Emmanuel Macron au Ministère de l’Économie, des Industries et du Numérique, et dont la nomination avait été largement commentée en raison même d’un parcours professionnel présumé en contradiction avec les idéaux du Président de la République.

De même, dans le Flash Info du 4 novembre 2014, toujours dans cette optique de jeux avec des éléments d’actualité réels, les auteurs d’Anarchy se sont réapproprié les éléments du scandale révélé en 2012 autour des comptes bancaires non déclarés de l’ancien ministre du budget, Jérôme Cahuzac. Ainsi le sujet consacré aux réactions – fictives – de l’ancien ministre face à la situation de la France d’Anarchy est nommé « Cahuzac en avance sur son temps », faisant ainsi référence à la fraude fiscale qui ne le mettrait pas dans l’embarras dans le scénario catastrophe d’Anarchy. Le pastiche est aussi satire : le ton employé joue sur la connivence avec l’internaute autour de codes et de situations qu’il reconnaît. A cet égard, les vidéos de la chaîne Youtube sont d’ailleurs classées dans deux catégories : « People et blogs » et « Humour ». La proximité avec le contributeur repose sur le sens partagé du détournement.

Le participatif, clé du succès

Anarchy a tenu ses promesses dans la construction d’un monde parallèle en collaboration avec les internautes. Jusqu’au 30 octobre 2014, date de son lancement, le scénario était en effet bien pauvre : la France est plongée dans une crise économique sans précédent après être sortie de la zone euro. L’écriture de la suite revenait aux internautes. Aux téléspectateurs, Anarchy promettait le contrôle du destin du projet par une formule percutante : « C’est le chaos, entrez dans l’histoire ».

L’expérience achevée, force est de constater que cette entrée dans l’histoire s’est faite en trois temps. D’abord sur les plates-formes web, qui ont permis au lecteur de suivre le processus d’écriture en direct, en découvrant un contenu riche, mais surtout les coulisses et les rouages de la série télévisée. Cette entrée dans l’histoire se fait également dans l’appropriation de l’outil par les internautes qui deviennent eux-mêmes scripteurs. Enfin, par leur contribution, les participants entrent dans l’histoire du projet. Ils sont ceux qui ont construit Anarchy, qui l’ont porté jusqu’à la fin.

La relation particulière avec les contributeurs et l’importance de leur rôle dans l’écriture de la fiction sont soulignées sur le site officiel notamment. Le header affiche ainsi : « Vos textes sur Anarchy : un roman de 200 pages chaque jour ». Cette phrase, inscrite sous le logo Anarchy, est visible et permet d’insister sur le rôle primordial qu’ont joué les internautes dans leur participation dans la pérennité du projet. Anarchy n’existerait pas sans eux. Ici, l’engagement tenu est souligné par la mention d’un chiffre important qui marque le caractère prolifique des contributeurs. Ce chiffre et la promesse qu’il contient sont pour Anarchy un moyen de communiquer sur le succès apparent de son pari. Ainsi, et comme promis au début de l’expérience, les réalisations des auteurs amateurs sont prises en compte, mises en valeur par un système de points et de récompenses : leurs personnages peuvent être élus « personnage de la semaine » et peuvent être adaptés à l’écrit, au sein des articles, du roman ou encore à la télévision (en contrepartie d’une rémunération minimum de 40 euros dans le cadre de contrats de cession de droits d’auteur). L’expérience s’est donc conclue par une récompense attribuée aux meilleurs contributeurs. Le participant dont la contribution a été jugée la plus riche a d’ailleurs été mis en avant dès la fin de l’expérience dans une vidéo où il revient sur son usage du dispositif médiatique.

La participation des internautes est une dernière fois sollicitée lors de la « Grande votation citoyenne » qui boucle l’expérience. L’anarchie laisse alors place à une prise de décision par voie démocratique qui s’adresse aux contributeurs et à leur capacité à se fédérer autour de situations qu’ils ont eux-mêmes bâties. Anarchy s’achève comme elle a débuté, par la prise de parole de ses contributeurs.

Le poids des internautes impliqués dans l’écriture d’Anarchy est mesurable. En guise de clôture, le site officiel dresse un bilan chiffré. On dénombre plus de 2600 auteurs, près de 200 textes  envoyés quotidiennement et surtout 11 290 écrits mis en ligne chaque jour[1]. Ce nombre de collaborateurs est honorable pour une première expérience et ce bilan marque l’engagement littéraire fort des auteurs dans le développement de l’œuvre.

Le succès de ce projet transmédia s’est notamment concrétisé par le titre de meilleure opération de Social TV hors prime time 2014, décerné par un jury composé de représentants de Médiamétrie, France Info, Orange, Prisma Presse, CB News, APPS TV et Satellifax, au cours des prix de la Social TV et des dispositifs de communication numérique (ou SMA), organisés par le cabinet NPA Conseil. Anarchy, projet transmédia innovant au cœur d’une chaîne de service public, a été salué par la profession. Cependant, la faible performance des épisodes télévisés amène à nuancer ce succès de l’expérience.

Anarchy : une expérience prometteuse marquée par l’échec du format télévisé

Si Anarchy axe sa communication sur le succès du participatif, les audiences des diffusions des contenus sur France 4 sont occultées, alors même que l’adaptation des contributions à l’antenne constituait un des points les plus importants de la promesse de départ.

L’échec apparent d’Anarchy sur France 4 pourrait s’expliquer par le fait que le programme n’ait pas été assez mis en avant dans la grille des programmes de la chaîne. Dès le premier épisode, Anarchy a en effet été programmé en semaine en deuxième partie de soirée. Cette position dans la programmation pose question au sein d’une chaîne de la TNT déjà en difficulté comme France 4.

En effet, France 4 perd de l’audience : entre novembre 2013 et novembre 2014, sa part d’audience a diminué de 0,4 points[2]. France 4 est la seule chaîne de la TNT à avoir enregistré une baisse aussi importante. Cependant, alors qu’Anarchy aurait bénéficié d’une plus grande visibilité au sein des plus grandes chaînes du groupe France Télévisions destinées à un public plus large, cet échec peut aussi s’expliquer par le fait qu’Anarchy s’adresse à un public particulier, par son utilisation et son appropriation des plates-formes d’écriture sur Internet. Anarchy avait prétention à marquer le début d’une évolution certaine du mode de conception et de consommation de la série à la télévision ; mais cette révolution ne semble avoir touché qu’un public très sélectif.

Si le projet Anarchy a éveillé l’attention par son format transmédiatique au cœur d’une chaîne de la TNT et a sans doute su tirer profit de l’effet vitrine de France 4, le média télévision n’a pas été pleinement exploité. La dimension télévisuelle d‘Anarchy s’est effacée au profit du dispositif transmédia mobilisé sur Internet et à la radio. C’est un paradoxe qui pose nécessairement problème. Aujourd’hui, ce sont les diffuseurs de télévision qui ont la puissance nécessaire pour orchestrer des opérations transmédiatiques ; mais si la télévision n’en tire pas bénéfice, qui financera encore ce type d’innovation annoncée comme l’avenir des médias ?

Khady So