Quand les centres de formation «vendent» le journalisme d’investigation avec la maîtrise de technologies intrusives. Étude comparative des discours de légitimation.

À l’occasion du colloque international du GIS, Gilles Labarthe est intervenu afin de présenter une de ses recherches actuelles. Il y analyse les discours portés par les écoles de journalisme et le recours aux technologies intrusives à l’occasion de travaux d’investigation.

Désormais, ces technologies intrusives font partie intégrante des formations en journalisme, aussi bien en France qu’aux États-Unis. L’apparition de néologismes – tels le drone journalism, voire la désignation de dronaliste – liés à l’usage de ces nouvelles pratiques est symptomatique de cette évolution. Les formations axées sur ces technologies se développent afin de répondre à une multiplication de la demande. C’est le cas de l’Université du Missouri et de son Drone Journalism Program.

La réflexion de Gilles Labarthe porte sur les fondamentaux du journalisme dans le domaine de l’investigation. Elle questionne le caractère intrusif de certaines pratiques rendues possibles par de nouvelles techniques telles que les caméras cachées ou les drones. Il existe une tension entre l’usage de ces technologies et les règles déontologiques de base. Ainsi, il est nécessaire de questionner les nouvelles frontières de l’identité professionnelle des journalistes.

Gilles Labarthe étudie les discours tenus au sein des centres de formation sur l’emploi actuel de ces techniques intrusives dans le cadre du journalisme d’investigation. Il adopte pour cela une approche socio-ethnographique des discours de légitimation. Au sein de ces formations, ces nouvelles techniques sont présentées comme permettant plus d’immédiateté et d’efficacité et entraînant une nouvelle dimension de la verticalité. On constate que ces outils, considérés comme l’avenir de la profession par ces formations, font tout de même l’objet d’un discours double. Notamment, la caméra cachée semble être l’objet idéal pour investiguer, procurant un effet dramaturgique, comme une pratique d’édition filmique. Mais elle est aussi un outil conflictuel qui instaure un rapport de tension et une rupture de confiance avec les sources, voire un possible hiatus vis-à-vis de la question du respect des lois en matière de récolte de l’information.

Gilles Labarthe est chercheur à l’Université de Neuchâtel. Ses travaux portent sur le journalisme d’investigation, les pratiques et les écritures journalistiques, la formation au journalisme ainsi que l’usage des nouvelles technologies par les journalistes.

Effectivement, ces nouveaux outils vont à l’encontre d’une des règles de base de la déontologie journalistique : le respect, la sécurité et le contrôle des sources d’information. Pourtant les formations académiques spécialisées en font la promotion, mettant en avant leur utilité publique et le fait qu’elles permettent, entre autres, d’atteindre des lieux inaccessibles et de filmer en cachette, et ce, afin de satisfaire un intérêt public prépondérant.

L’investigation comme pratique journalistique mérite donc d’être questionnée. Quelles nouvelles contraintes pèsent sur les journalistes ? L’investigation ne trouve-t-elle pas son origine dans un re-centrage d’une fonction des journalistes ? Quelles sont les conséquences de ces nouvelles techniques sur la manière dont les journalistes définissent leurs pratiques ? Il semble donc nécessaire, selon Gilles Labarthe, de favoriser aussi une réflexion sur les remparts contre ces pratiques.

Guillemette Pinon