Startups et grands médias : je t’aime moi non plus

Les menus de La Cantine sont toujours de saison, au coin d’un passage des grands boulevards parisiens se cache ce haut lieu de rencontre pour la communauté médiatique et digitale ainsi que pour les adeptes du coworking. Le soir de la remise du prix « Startups 4 News » organisée par le GEN, on y servait le gratin du monde des médias pour débattre de la synergie entre les startups et les groupes médiatiques.

8 octobre 2012, Paris. Une soirée morne et pluvieuse. Sauf à La Cantine, pleine à craquer de professionnels et de curieux des médias qui attendent impatiemment de découvrir le lauréat du concours Startup for News organisé par le Global Editor Network (GEN). Ce réseau international a été lancé au printemps 2011 cette compétition qui a vu s’opposer 20 startups innovantes dans le domaine des médias devant 400 éditeurs du monde entier. Ces derniers ont dû choisir le projet le plus convaincant et le plus innovant. C’est dans cette ambiance sportive et conviviale que nous passons donc cette soirée d’octobre froide.

On annonce enfin le Lauréat : il s’agit de Teleportd, représenté par Léon Buchard, l’un des créateurs. Il s’agit d’un agrégateur de photos tirées de différents réseaux sociaux (Instagram, Twitter) qu’il indexe, répertorie et classe par thèmes pour les mettre à la disposition de ses clients, notamment les médias d’information.

Philippe Couve, animateur de la soirée, profite de cette nomination pour interroger les intervenants sur leur vision et leur expérience de l’innovation dans les médias. Qu’est ce qui pousse les entreprises médiatiques à innover ? Comment se fait cette innovation ? Et surtout quelles sont les raisons qui poussent les entreprises à aller chercher l’innovation d’une manière plutôt qu’une autre ?

« Comment France Télévisions gère et génère-t-elle l’innovation ? »

« Pas très bien » selon Eric Scherer (chargé prospective et futur média à France Télévision).

Il y aurait une « grande méconnaissance des enjeux autour des nouveaux médias » au sein des groupes. En effet, la nouveauté de la semaine ne serait pas l’arrivée de D8 mais celle des chaînes Youtube et de la Google TV, alors qu’il y a à peine deux ans, Internet était complètement ignoré par la télévision. Aujourd’hui, France Télévisions travaille beaucoup avec les startups et multiplie les appels d’offre, cette collaboration avec des entreprises extérieures est naturelle pour un organisme public comme France Télévisions. Normal de se tourner vers des experts des nouveaux médias puisque le nouvel élan porté en particulier par la social TV pourrait bien sauver la « télévision de papa ».

En revanche, les producteurs et réalisateurs de contenus sont à la traîne dans ce domaine, ce qui est un véritable problème pour les diffuseurs. Eric Scherer encourage donc les startups à investir ce vide, pour le bien de tous.

« Et au Monde.fr, fait-on appel à des entreprises extérieures ? »

Au Monde.fr, on tente de créer de l’innovation en interne plutôt que de faire appel à des sociétés extérieures. La difficulté qu’ont les médias à s’adapter aux nouvelles technologies et aux nouvelles pratiques culturelles vient surtout du manque de temps disponible au sein des entreprises médiatiques pour porter une réflexion de fond sur le sujet. Les médias sont des entreprises de production de flux qui nécessitent un travail constant et où la prise de recul n’est pas aisée. C’est pourquoi au Monde.fr, chaque journaliste dispose d’un temps dédié à la réflexion. De plus, l’open-space privilégie l’échange et permet ainsi d’éviter un modèle de think tank trop coupé des problématiques et de la réalité du métier. Ce système de temps et d’espace mis à disposition de ceux qui font le journal au quotidien permet d’avoir des recherches menées par des gens qui ne sont pas étrangers à la réalité du terrain. Souvent, en pratique, les innovations apparaissent comme une réaction à chaud. On rencontre un problème, on le règle. Pour Alexis Delcambre du Monde.fr, il est important de « garder une logique de startup ».

La question du recrutement est soulevée par le public : en quoi est-il affecté ? Alexis Delcambre précise que les profils mis en valeur sont ceux qui « maîtrisent des compétences nouvelles, réseaux sociaux, data, visuels… » même s’ils ne font que compléter les qualités journalistiques habituellement requises.

« En tant que pure player, comment Rue89 se positionne-t-il ? »

Yann Guégan, responsable de l’innovation de Rue89, remarque lui aussi, que le fait de ne pas séparer les journalistes et les développeurs peut être très fécond.

Il y aurait cependant une grande frilosité du journal vis-à-vis des startups.

Par ailleurs, depuis son rachat par Le Nouvel Obs le statut de Rue89 est ambigu, plus tout à fait une startup, il est considéré par son groupe comme un laboratoire.

A la fin du tour de table, on retient surtout un décalage de temporalité entre les startups et les grands groupes qui ne facilite pas toujours leur collaboration. Lorsqu’une chaîne de télévision fait appel à une startup et organise un rendez-vous un mois plus tard, on ne sait pas si les mêmes personnes seront toujours en poste, si le modèle sera toujours valable ou même si l’entreprise existera encore.

L’innovation consiste avant tout à optimiser des outils existants. « On n’invente rien » dit Léon Buchard.

Le danger est de voir ces nouveaux outils comme des menaces et non comme des opportunités à saisir. C’est une erreur de croire que l’on peut aller à contre-courant des nouvelles technologies, ce sont elles qui influent sur les médias, et non l’inverse.