FOCUS SUR LES REALITY GAME SHOWS LGBT DE LOGO TV (USA)

La chaîne américaine Logo TV, filiale de Viacom (MTV Networks), a été créée en 2005 afin de répondre à un public qui auparavant n’était pas défini ouvertement comme tel : les gays et lesbiennes. Elle propose des formats de téléréalité impliquant des candidats LGBT, diversifiant son offre initiale composée de séries et de documentaires. Empruntant à des formats bien installés, comme les dating et talent shows, ces programmes participent à l’exposition – et revalorisation ? – médiatiques des personnes homosexuelles et transgenres. La culture queer se banalise… en devenant un divertissement.

En 1973, aux Etats-Unis, a été diffusé le premier documentaire dans lequel les téléspectateurs ont pu suivre la vie quotidienne d’une famille américaine de classe moyenne supérieure, les Louds. An American Family constitue, pour de nombreux intellectuels tels que le philosophe français Jean Baudrillard ou l’anthropologue américaine Margaret Mead [1], le premier programme de télé-réalité en rupture avec une télévision de fiction. L’un des épisodes de cette reality serie a été témoin d’une transformation de la société américaine : un des enfants de la famille, Lance Louds, révèle devant dix millions de téléspectateurs américains [2], son homosexualité. Il devient alors l’icône télévisuelle de la libération de la parole des LGBT, dans un contexte où la bisexualité, l’homosexualité, la transsexualité et le transgenre sont communément associés à des maladies mentales.

La télévision américaine a joué un rôle essentiel dans la banalisation de ces sujets auparavant tabous à travers des émissions de téléréalité telles que Big Brother, Queer Eye et The A-List, notamment dans les années 2000. Intéressons-nous plus particulièrement à quatre émissions qui ont participé à la définition du reality game show : Curl Girls (2007), Transamerican Love Story (2008), RuPaul’s Drag Race (depuis 2009) et Finding Prince Charming (2016). Chacune met en scène une catégorie précise de la population LGBT : lesbiennes, transsexuels, drag queens et gays. Même si cette liste est sélective, ce focus sur des émissions de télé-réalité LGBT permet de saisir l’essentiel des enjeux liés à la sexualité à la télévision aux Etats-Unis.

Les participants de ces reality game shows, systématiquement désignés par leur caractéristique LGBT, s’affrontent dans le but de ne pas être éliminés jusqu’à finir vainqueur. Les contextes et arguments varient : des programmes ont tendance à valoriser l’amour au sein de ces « nouvelles sexualités » médiatisées (Finding Prince Charming et Transamerican Love Story), d’autres mettent plutôt le dépassement de soi et la prestation artistique au cœur du scénario (Curl Girls et RuPaul’s Drag Race). Chaque programme comporte entre 6 et 9 épisodes de 30 à 60 minutes chacun, avec une programmation en prime time.

Ces quatre programmes ont été diffusés sur une même chaîne satellite : Logo TV, filiale de Viacom (MTV Networks), créée en 2005 afin de s’adresser au public gay et lesbien. C’est elle qui diffuse aux Etats-Unis, depuis 2016, le Concours de la chanson de l’Eurovision. En 2016, plus de 50 millions de foyers américains [3] la recevaient, ce qui représente un public potentiel conséquent à conquérir. Le but pour Viacom est donc, dans un contexte de multiplication des chaînes au sein de son bouquet (Nickelodeon, VH1, MTV, Comedy Central, etc.), de toucher un public mieux identifié et plus fidèle. Le pari de Logo TV est en cours de réussite, puisque les audiences entre 2015 et 2016 ont bondi de 50% [4]. Cette augmentation de l’audience est à mettre en rapport avec l’adoption du mariage gay dans tous les états des Etats-Unis, le 26 juin 2015. La visibilité sociale et médiatique de la population LGBT augmentant, Logo TV a pu mettre à l’antenne des programmes originaux.

Le dating show LGBT, un format audiovisuel centré sur la rencontre amoureuse

– Transamerican Love Story (2008)

À Los Angeles, huit hommes sont en compétition pour tenter de conquérir le cœur et l’attention de Calpernia Addams, une actrice transgenre âgée de 36 ans, venue de Nashville. À travers des épreuves, les prétendants peuvent gagner un « date » avec Calpernia afin de tenter de la séduire. Le but du programme, selon l’équipe de Logo, est de favoriser les interactions sociales entre les hommes et le candidat transgenre, afin de lutter contre les stéréotypes. Plusieurs documentaires, au milieu des années 2000, ont traité la question du transgenre à la télévision : avec TransGeneration (2005), Sex Change Hospital (2007), les téléspectateurs ont pu suivre la vie d’un transgenre dans son quotidien.

– Finding Prince Charming (2017)

Treize hommes sont réunis dans une villa à Los Angeles pendant plusieurs semaines dans le but de trouver l’amour. Chaque semaine, le Prince Charmant, Robert Sepulveda Jr., un décorateur d’intérieur âgé de 34 ans, choisit avec quel prétendant il souhaite partager un moment intime (un date). Les éliminations se font au cours de la cérémonie des « cravates noires » (qui remplace celle « de la rose » dans la version hétérosexuelle) : chaque prétendant ayant reçu une cravate noire est qualifié pour l’étape suivante. À la fin de la saison, le Bachelor Gay doit choisir avec qui il veut construire sa vie amoureuse.

Ce programme est novateur pour plusieurs raisons : d’une part, il met en lumière les homosexuels masculins. Les participants, venus pour conquérir le Prince Charmant, peuvent tomber sous le charme de leurs concurrents. Par exemple, dans l’épisode 1, Eric et Brodney, se séduisent mutuellement. Dans le cadre des émissions du Bachelor pour les hétérosexuels, les participantes ne sont pas amenées à se séduire ainsi entre elles. D’autre part, ce programme est un espace de libération de la parole gay à la télévision américaine, dans un programme construit pour s’affranchir de toute pression et de tout préjugé sur la « norme hétérosexuelle ». La différence est nette avec d’autres programmes américains qui, tout en offrant une visibilité inédite à des homosexuels, ont continué à reposer selon une approche comparative potentiellement clivante. Durant les années 2000, la télévision américaine a diffusé de nombreux programmes où le téléspectateur devait deviner la sexualité des candidats, tout comme devaient le faire les candidats entre eux. Dans Boy meets Boy (2003), un candidat homosexuel devait choisir parmi 15 candidats (7 hétérosexuels et 8 gays) son prétendant favori. S’il choisissait un gay, il remportait la compétition. S’il choisissait un hétéro, ce dernier gagnait la récompense de 25 000 $. Le programme Finding Prince Charming est en rupture avec cette idée de clivage hétérosexuels / homosexuels.

Les clichés ne sont pour autant pas tous abandonnés. Finding Prince Charming met en scène un homme musclé, âgé de 34 ans, au physique très avantageux et à la carrière exemplaire. Cela entretient donc le stéréotype du principe même du Bachelor : un homme séduisant, au sourire éclatant avec une silhouette de rêve dans un costume cravate. Pourquoi Logo TV n’a-t-elle pas mis à l’antenne un programme de dating avec un candidat au profil moins stéréotypé Bachelor ? Si le programme témoigne d’une ouverture d’esprit dans l’intégration de candidats LGBT à la télévision, il reste néanmoins limité par l’entretien de stéréotypes autour du gay chic.

Fortement inspirées du Bachelor (2002), les deux formats mettent en scène une dizaine de prétendants masculins en compétition afin d’obtenir le cœur de la star du programme. Et tous deux ont été tournées à Los Angeles, en Californie. La Californie est une terre de stars et de personnalités fortunées. Cela soulève la question du public visé : doit-on comprendre qu’il est préférable de vivre en Californie pour vivre une histoire d’amour LGBT ? Un transgenre du Nevada ou un gay du Texas se sentira-t-il concerné par ces dating show ? Et même, le sont-ils vraiment ?

Les critiques de presse gay ont été assez vives, considérant le programme du Bachelor Gay « soporifique », sans intérêt, entretenant le cliché du gay à la carrure de mannequin [5]. Les audiences témoignent de cette déception du public, puisqu’en moyenne, Finding Prince Charming n’a réuni que 150 000 téléspectateurs. [6]

Des talent shows qui mettent à l’honneur les drag queens

– Curl Girls (2007)

Six jeunes lesbiennes passionnées de surf s’affrontent pour tenter de gagner un voyage à Hawaï. À travers des épreuves de compétition autour du surf, les jeunes femmes développent des relations amicales, offrant ainsi des moments de télévision insolites. Pour la première fois, les téléspectateurs assistent à la sociabilité de lesbiennes au sein d’un jeu. Non seulement l’homosexualité médiatisée, pour une fois, n’est pas masculine, mais en plus on ne trouve ici aucun homme parmi les évaluateurs sollicités pour juger les surfeuses.

– RuPaul’s Drag Race (depuis 2009)

Quatorze drag queens s’affrontent afin de remporter The Crown (La Couronne) qui sacralise la Reine des drags des Etats-Unis, 100 000 $ et des produits cosmétiques provenant de partenaires de l’émission. Pour y parvenir, RuPaul, la star des drag queens, leur impose des défis pour évaluer leur potentiel de Reine. Cela passe par des shootings photos, un combat de « lecture » dans lequel chaque drag queen doit pointer du doigt les défauts de chacune, ou encore la confection de costumes selon un thème imposé. Ces épreuves permettent de donner des récompenses et des avantages aux candidates. Lorsque deux drag queens sont en ballotage, RuPaul les départage avec une ultime épreuve : le LypSync Battle. Durant 3 minutes, les 2 candidates doivent danser et simuler des paroles avec leurs lèvres sur une chanson connue. La meilleure des 2 performances permet à son auteur de rester, tandis que l’autre est éliminée. La finale se déroule avec le même schéma, un ultime LypSync Battle pour la couronne.

Créée en 2009, RuPaul’s Drag Race est un véritable succès d’audience : une dixième saison est en production, plusieurs émissions dérivées ont pu être développées (3 numéros de RuPaul’s Drag Race All Stars et 3 numéros de RuPaul’s Drag U), un record d’audience pour le final de la saison 9 [7], et une communauté très présente sur les réseaux sociaux. Ces données traduisent la montée en puissance de la culture queer dans les médias audiovisuels américains. La figure du gay, entretenue à la télévision par des outings de stars ou de personnages de séries, n’est plus vraiment un sujet de discussion ou d’étonnement.

Selon l’écrivaine canadienne Scaachi Koul, le succès de RuPaul’s Drag Race est à « double tranchant » [8] : sur le côté lisse de la lame, l’émission génère de l’audience grâce aux moyens de production importants (costumes sophistiqués, un plateau de télévision transformé en défilé de mode), à un animateur charismatique (RuPaul a remporté deux Emmy Awards en 2016 et 2017 du meilleur animateur d’une émission de téléréalité) aux formules célèbres, très souvent reprises sur les réseaux sociaux (« Don’t Fuck it Up », « Escape from Elimination », « Do the Lyp Sync FOR YOUR LIFE ! ») ainsi qu’à un casting de drag queens très étudié, dans lequel chaque candidat est mauvaise langue et critique les autres prétendantes.

En revanche, le côté tranchant est lié à l’expansion de l’émission et à la mise en lumière de nouvelles stars drag queens : compte tenu de son audience grandissante, Viacom a décidé en 2016 de diffuser des épisodes de RuPaul’s Drag Race sur sa chaîne VH1 ainsi que sur Netflix. Cette stratégie de multiplication des supports de diffusion pose quelques soucis pour les téléspectateurs de la première heure. En effet, de nombreux abonnés sur Twitter ont pointé du doigt cette expansion à des chaînes plus généralistes d’un programme fortement identifié LGBT. Quand, sur VH1, les producteurs de RuPaul’s Drag Race ont invité sur le plateau Wendy Williams, des commentateurs se sont empressés de rappeler qu’elle avait tenu des propos transphobes dans son émission Wendy Williams Show. Cette extension de la diffusion vers VH1 pourrait dénaturer l’identité queer du programme. Certains craignent une divergence du format confronté au « mainstream » [9]. Laurie Ouellette fait état de cette inquiétude de la banalisation de cette communauté dans les médias actuels :

« À première vue, la téléréalité du XXIe siècle semble être devenue un environnement accueillant, voire festif pour les personnes LGBT, qui sont très visibles, intégrées et autoreprésentatives. En réalité, la télévision les stigmatise davantage, elles sont présentées comme des monstres, des bêtes de spectacles ou des victimes, et non comme des amis, des compétiteurs ou bien des conseillers ». [10]

Les formats télévisuels LGBT portent en leur sein leur propre contradiction : en montrant des personnes habituellement oubliées des plateaux de télévision, elles leur accordent une place et une reconnaissance. Mais elles en font aussi, nécessairement, un spectacle.

[1] PILARD Philippe, Frederick Wiseman, chroniqueur du monde occidental, Le Cerf et Corlet, Paris, 2006
[2] RUOFF Jeffrey, An American Family : a Televised Life, University of Minnesota Press, Minneapolis, 2002
[3] 50 079 000 de foyers. Chiffre donné par BroadcastingCable en janvier 2016.
[4] Voir article de Jethro Nededog, « MTV2 and Logo TV Chief reveals how he rejuvenated the channels in 3 steps », 28 mai 2015.
[5] Voir LES FABIAN BRATHWAITE, « How do you make perfect gay reality show », 7/03/2017
[6] À noter cependant que le dernier épisode a cumulé 3 millions de téléspectateurs, toutes plateformes confondues, générant ainsi une bonne assise de la communauté LGBT sur le net. Voir PETSKI Denise, « RuPaul’s Drag Race All Stars & Finding Prince Charming push Logo to Ratings records », 29 septembre 2016
[7] 8,2 millions de téléspectateurs cumulés sur toutes les plateformes de visionnage. Voir PETSKI Denise, « RuPaul’s Drag Race All Stars & Finding Prince Charming push Logo to Ratings records », 29 septembre 2016
[8] Voir KOUL Scaachi, « How the success of RuPaul’s Drag Race is a double-edged sword ? », 15 octobre 2016
[9] Dans l’idée de banalisation du programme.
[10] Voir OUELLETTE Laurie, A companion to reality television, Wiley Blackwell, Oxford, 2014
ARNAUD PONTOIZEAU, ETUDIANT DU MASTER MEDIAS ET MANAGEMENT 2017-2018