Il n‘y aura jamais de late show à la française et ce n’est pas grave.

Antoine de Caunes devait revenir à la télévision française avec un late show, à la française. L’Émission d’Antoine , sur Canal+, est un programme de télévision diffusé tard, mais qui ne répond à aucun des codes du late show. Tant mieux. Chaque année des tentatives maladroites d’adaptations de ce format sont enterrées. Et pourtant, il y a toujours des prétendants à la quête du late show. Michael Youn aspire à en animer un sur M6 et le fait savoir. Pourquoi tant d’acharnement alors qu’Arthur, Jean-Luc Lemoine, ou encore Mustapha El Atrassi ont tous échoué ? La télévision française s’est construite dans l’admiration du modèle américain, Canal + reprenant par exemple le créneau de programmation exigeante de HBO.

Retour sur un des trois fantasmes américains qui parcourent l’univers télévisuel français avec les grands shows comiques à la Saturday Night Live et la présentation de cérémonies : les late shows.

Un late show, c’est un programme du soir, à partir de 23h30. Certes. Mais c’est surtout un présentateur, davantage performeur que journaliste, seul à seul avec un invité, lors d’interviews écrites et répétées, entrecoupées de happenings. Le présentateur, souvent issu du milieu de la comédie, assume une fonction tribunitienne en introduisant son émission par un éditorial où il livre son point de vue sur l’actualité, travaillé avec des auteurs de télévision. Les invités, qui ne se considèrent pas comme des artistes maudits, mais comme des professionnels du divertissement, se prêtent à des danses, sketchs ou chants. Le late show est un format institutionnalisé – le Tonight Show Starring Johnny Carson a été diffusé de 1962 à 1992 – qui a structuré l’imaginaire télévisuel nord Américain. Les late shows répondent à une fonction de transgression dans le cadre d’un écosystème médiatique où la parole critique est réduite et peut coûter cher dans une société aussi judiciarisée.

L’idée d’un late show à la française est presque aussi vieille que la télévision française. Il convient de reconnaître que ce fantasme d’animateur s’est systématiquement heurté aux réalités télévisuelles et culturelles françaises. Le meilleur exemple, c’est Ce soir avec Arthur : globalement, impossible de reprocher à ce programme de ne pas savoir faire de la télé à l’américaine, l’émission était un copier-coller exact du Late Late Show de Craig Ferguson. Pourtant, après deux saisons sur Comédie+, l’émission s’arrêta après trois diffusions sur TF1, ne réussissant à réunir qu’entre 1,2 et 1,4 million de téléspectateurs. Arthur avait pourtant un avantage pour lui, son expérience d’homme de scène qui lui confère un profil assez proche des animateurs de late shows étatsuniens.

Il faut d’abord comprendre que le late show est le résultat d’une histoire longue et d’un rapport au comique complètement différent. Il est possible de s’approprier un conducteur, mais pas une culture étrangère, et ses références sans les retravailler Le premier niveau de critique que l’on peut adresser aux adaptations de late show, c’est le manque de moyens. Aux États-Unis d’Amérique, des dizaines d’auteurs écrivent les séquences, qui sont ensuite testées avant d’être répétées et, enfin, diffusées. En France, ce métier est bien moins développé et considéré. Ensuite, le deuxième niveau de critique consiste à reprocher aux Français d’être de culture latine et française. Ainsi, contrairement aux étatsuniens, les invités français ne sont pas préparés quand il s’agit de rire de soi ou bien de tenir un rôle à contre-emploi pour une séquence précise. Aux États-Unis, l’acteur continue à jouer un rôle lorsqu’il fait la promotion d’un film, alors qu’en France, il s’agit de mettre au jour la véritable personnalité du comédien. En outre, le rire n’est pas le même des deux côtés de l’Atlantique. Là-bas, un humour bon enfant insistant sur l’auto-dérision, ici, des traits d’esprits brillants et méchants.

Au delà de ces niveaux de critiques généralement adressées par les analystes médias en France[1] aux adaptions de late shows en France, il faut saisir la fonction du late show, qui s’est construite au fil des décennies, pour comprendre qu’il n’est pas possible de reprendre tel quel un concept pour l’appliquer en France. Un late show est un espace de liberté spécifique, codifié et restreint. La place et le statut de l’animateur étant très différents, d’une part, un journaliste et d’autre part, un acteur aidé par des auteurs, le ton ne peut pas être le même.

La télé française sait faire des programmes avec une grande liberté de ton, à toutes heures et selon le format qui convient le mieux à sa culture, celui du dîner. On pense tout de suite à 93, faubourg Saint-Honoré ou à C à vous[2], mais la forme du repas est encore plus profondément inscrite dans la culture française. Un late show se caractérise par un tête-à-tête entre le meneur du spectacle et l’invité alors que les émissions françaises sont construites autour de plusieurs invités et d’un animateur, parfois appuyés par différents chroniqueurs.

Ainsi, il faut accepter que le renouveau passe par une compréhension de nos codes culturels et leur assomption. Ce nonobstant, il faut aussi reconnaître les très nombreuses qualités des late shows et transposer ce qui est transposable. Avoir recours à des auteurs de télévision et valoriser leur travail et leur statut en institutionnalisant leur parcours est une des voies possibles pour faire monter en qualité les programmes français. Thierry Ardisson a ainsi recours à des auteurs pour son émission Salut Les Terriens et un groupe est présent pour ponctuer l’émission de virgules musicales, mais il conserve ses fondamentaux : des plateaux composés de personnalités très différentes et un humour de punchlines, fin et agressif.

Les late shows peuvent aussi nous faire réfléchir sur le statut de l’animateur en France, qui est bien souvent un journaliste. L’évolution de la télévision française passera, à n’en pas douter, par une diversification du recrutement des animateurs, notamment vers le spectacle. Hanouna animait des soirées de mariages, il ne faisait pas des piges pour les pages saumon du Figaro. En ce qui concerne la qualité éditoriale des late shows, qui proposent parfois de vrais regards critiques sur l’actualité, comme John Oliver dans Last Week Tonight, des émissions comme le Petit Journal en France, ont su s’en inspirer intelligemment.

Fantasme télévisuel américain pour animateurs français, le late show doit irriguer par sa qualité d’écriture et son sens du spectacle les émissions françaises. Toutefois, il n’est pas question d’être jaloux d’une liberté de ton réservée aux CSP+, une fois par semaine, vers minuit, quand les enfants sont couchés et que les bons bourgeois dorment. La liberté de ton à la française est permanente.

[1] Late Show : comment ne pas se planter ? GQ magazine, Juillet 2015 http://www.gqmagazine.fr/pop-culture/gq-regarde-la-tele/articles/les-late-shows-francais/27077

[2] 93, faubourg Saint-Honoré, diffusé sur Paris Première, 2003-2007, mardi deuxième partie de soirée

C à vous, diffusé sur France 5 depuis 2009 en quotidienne access prime time

Hugo Roëls - Consultant junior marques et médias Think-Out