de g. à dr. : Thierry Cammas (président-gérant MTV / Viacom France), France Zobda (présidente Eloa Prod), Olivier Houdé (professeur de psychologie, université Paris Descartes, Sorbonne), Bouchra Réjani (directrice générale Shine France), Elisabeth Durand (directrice de l’antenne de TF1), Christian Spitz (pédiatre, animateur Fun Radio) / © photo CSA – Marie Etchegoyen

LES JEUNES ET LES ECRANS – COLLOQUE TENU AU CSA

Mardi 9 décembre 2014, les étudiants de la promotion C3M étaient présents dans l’amphithéâtre Liard de la Sorbonne pour assister au colloque organisé par le CSA. Étaient réunis pour l’occasion des scientifiques, des producteurs et des patrons de chaînes qui, tout au long de la journée, ont débattu sur le thème « Les écrans et les jeunes : quelle place, quelle offre, quelles évolutions ? ».

C’est dans le cadre de la réflexion sur l’offre de programmes destinée aux 13-24 ans qu’elles mènent depuis 2013, que les conseillères Françoise Laborde et Mémona Hintermann-Afféjee ont animé cette conférence. L’étude « Quels écrans utilisent les 13-24 ans et pour quels usages ? » conduite par la direction des études et de la prospection du CSA a servi de fil rouge aux deux tables rondes de cette journée.

Les 13-24 ans, une « quasi-génération A »

L’étude du CSA constate une baisse tendancielle du nombre de contacts des jeunes avec la télévision par rapport au reste de la population française mais une hausse de leurs contacts avec Internet. Ainsi, les durées de consommation des contenus audiovisuels par les 15-24 ans restent deux fois supérieures à celles de l’ensemble de la population.

Face à ces chiffres, le CSA a posé le constat d’un renouvellement, voire d’une rupture, des pratiques des 13-24 ans face à leurs écrans et a interrogé la potentialité de cet usage générationnel à devenir la communication audiovisuelle de demain.

Thierry Cammas, directeur général de MTV Networks France, observe une relation très particulière et très intense de cette « quasi-génération A » aux contenus audiovisuels, qui se traduit par une hyper-immédiateté et un éloignement du mass-media. Pour lui, cette ère nouvelle du fast-forward suscite une inquiétude chez les professionnels de l’audiovisuel, celle de rater le meilleur contenu ou la meilleure information à adresser à ce jeune public.

« Ce n’est plus un rapport des écrans à moi mais de moi aux écrans »

C’est le constat très juste d’un élève du lycée Léonard de Vinci de Monistrol-sur-Loire dans un spot diffusé à l’occasion du colloque et dans lequel les élèves mettent en avant leur souhait de choisir les contenus télévisuels qu’ils consomment afin qu’ils ne leur soient plus imposés par les logiques de programmation.

Lorenzo Benedetti, président et fondateur du Studio Bagel, a également relevé cette tendance au snaking des jeunes générations, nouveau mode de consommation, souvent disparate, de formats courts mais à très forte valeur ajoutée, sur le modèle de Vice News par exemple. Les élèves du lycée Louis Armand à Paris qui ont été conviés au colloque ont eux aussi appuyé cette appétence pour les contenus de qualité en affirmant « aimer ce qui est payant ». Ils souhaitent également pouvoir donner leur avis sur les programmes, grâce à « des likes sur l’écran de télévision » par exemple.

Bibiane Godfroid, directrice générale des programmes de M6, partage leur avis. Pour elle, « les jeunes aiment les programmes dont on peut parler ». C’est d’ailleurs ce que met en avant l’étude du CSA selon laquelle près de 20% des 15-24 ans ont commenté un programme TV au cours des 12 derniers mois contre 8% de l’ensemble des 15 ans et plus. Ce sont les émissions de divertissement qui dominent les « discussions sociales », devant le sport. L’étude place également Twitter au rang de premier espace de résonance pour les contenus audiovisuels.

Pour être en phase avec le jeune public, penser les programmes au-delà de l’écran TV est donc devenu le nouvel enjeu du travail de producteur pour Bouchra Rejani, directrice générale de la société de production Shine France. Cette dernière produit notamment de nombreux programmes pour TF1 qui selon Elisabeth Durand, directrice de l’antenne de la chaine, a fait des discussions en direct mais surtout sur les réseaux sociaux, sa spécificité. Pour elle, la notion de partage est primordiale. Pour rassembler les jeunes autour de la télévision, il faut penser en termes de communauté de fans. Pari notamment réussi avec l’élection de Miss France sur TF1 qui a suscité, samedi 6 décembre, un million et demi de tweets.

Quid de l’après-programme jeunesse

L’enjeu de ce colloque était d’interroger les professionnels de l’audiovisuel sur ce qui est proposé aux jeunes à la télévision à partir de 12-13 ans, dès lors qu’ils sortent de l’univers « balisé » des chaînes et des programmes pour enfants.

France Zobda, productrice pour Eloa Prod, est catégorique sur ce sujet, il n’y a pour elle aucune prise de conscience de la part des chaînes quant au manque chronique de programmes à destination de la jeunesse française, constat qu’elle dresse face à la baisse de la fiction et à la hausse de la télé-réalité qui est devenu le programme majoritairement proposé au jeune public. Deux raisons principales sont évoquées quant à la sur-représentation de la télé-réalité : une raison conjoncturelle qui incite les chaînes à diffuser un format aux coûts de production relativement bas à destination d’un public peu rentable et peu monétisable et une raison plus structurelle, qui impose la télé-réalité comme le genre le plus compatible avec les conversations médiatique et générateur d’UBM (Unité de Bruit Médiatique). Et pour Rodolphe Belmer, président de Canal +, bien qu’attirés par ces programmes, les jeunes éprouveraient également un malaise face à ce genre télévisuel. Il voit en ces jeunes téléspectateurs, qui téléchargent essentiellement du cinéma et des séries américaines, un public en quête de modernité et de programmes « aux valeurs de production du spectacle ». La télévision n’offrant pas de fenêtre pour ces genres nouveaux, le jeune public s’est tourné vers Youtube, média endogène qu’on ne peut pas zapper. Il est devenu le principal concurrent des chaînes et talonne TF1 en termes d’audience sur les 15-24 ans. C’est pour retenir ces « futurs abonnés » que Canal + fut le premier à investir Youtube avec un MCN (Multi Channel Network) et le rachat du Studio Bagel qui lui permettent de détecter les nouveaux talents qui performent sur la toile et de les intégrer à ses émissions.

C’est à la fin de la journée que chacun s’est demandé si la solution ne se trouverait pas du côté des jeux vidéos. Le président de France Télévisions, Rémy Pfimlin, semblait convaincu des leçons à tirer du succès d’Ubisoft qui développe un univers touchant à l’imaginaire aux travers de ses jeux vidéos et en fait une consommation individualisée. France Télévisions semble avoir amorcé le processus avec le projet Anarchy, qui demeure néanmoins au stade de l’expérimentation. Pour Nicolas Copperman, président d’Endemol France, ce projet qui s’inspire de l’univers en hyper-arborescence des jeux vidéos et propose des histoires à base d’hyper-choix va dans le bon sens. Mais ce dernier insiste également sur la nécessité d’aller chercher les talents et les histoires dans tous les modes d’écriture pour ne pas enfermer ce jeune public, qui ne veut pas la même chose au même moment, dans des cases.

Selon l’étude « Quels écrans utilisent les 13-24 ans et pour quels usages ? » du CSA, les contenus les plus plébiscités par les jeunes seraient les programmes musicaux et le sport pour les 18-24 ans et l’actualité des personnalités pour les 15-17 ans. La télé-réalité n’entre pas dans ce palmarès et ne fut que peu évoquée par les lycéens ayant participé à cette réflexion. Pourtant, les professionnels présents ont très vite axé le débat autour de cette problématique. Peut-être peut-on y voir le symptôme de la faiblesse de l’offre à destination de ce public.

Manon Marcillat