Les cinéphiles, critiques et néophytes semblent s’accorder sur un point : les séries télévisées seraient aujourd’hui à l’apogée de leur qualités scénaristiques et esthétiques. On ne compte plus les passages de grands noms du cinéma du côté des séries : David Fincher, Danny Boyle, Martin Scorsese, Woody Allen, Baz Luhrmann, les Wachowski… Offrant des conditions de production avantageuses (budget conséquent, temps d’écriture important, calendrier de tournage allégé), les cinéastes n’hésitent aujourd’hui plus à effectuer ces voyages entre le petit et le grand écran autrefois mal vus par la profession. L’arrivée des services de vidéos à la demande, comme Netflix et Amazon, a rebattu les cartes pour ces réalisateurs en un temps où les studios seraient de plus en plus frileux à s’aventurer sur des projets audacieux. Et ce n’est pas Martin Scorsese et Woody Allen qui diront le contraire, les deux ayant signé des contrats sur le long terme avec ces plateformes et multipliant les interviews vantant leurs mérites.
Mais alors que l’innovation et l’originalité sont souvent associées à ces nouvelles productions, un phénomène croissant semble s’inscrire à contre-courant, celui du « revival », c’est-à-dire la production et la diffusion de séries ayant quitté l’antenne depuis plusieurs années. Cette nouvelle saison est, en général, une suite de l’intrigue avec le retour des personnages principaux et la majorité du casting original. Nous pouvons citer comme exemples le retour de Gilmore Girls sur Netflix, Twin Peaks sur la chaîne câblée américaine Showtime, celui programmé de Prison Break sur la chaîne américaine FOX, de La fête à la maison, Twin Peaks, X-File ou encore MacGyver. À l’heure où les séries font pour la première fois leur apparition au prestigieux Festival de Cannes, temple du septième art, Effeuillage a décidé de décrypter cette tendance où certaines séries sortent du placard pour trouver une seconde jeunesse, décortiquer les mécanismes pour essayer d’en comprendre les raisons et les enjeux.
C’est dans les vieux pots qu’on fait la meilleure soupe
Le « revival » d’une série repose avant tout sur des enjeux économiques. Tous les feuilletons choisis pour être remis au goût du jour partagent un point en commun : ils ont été un grand succès ou disposent d’une base très solide de fans (cas de Twin Peaks, flop à sa sortie, mais qui a vu une large communauté se fédérer autour d’elle, les nombreux fans de David Lynch la considérant comme une référence et mulpliant les évènements autour d’elle, notamment un festival annuel[1]). Les grandes chaînes américaines et les plateformes de streaming peuvent alors espérer un retour d’un public déjà séduit, ce qui sur le papier, laisse entrevoir l’espoir d’un succès « facile ». Et cette recette semble porter ses fruits. Avec une communication moindre, le premier épisode de la nouvelle saison de Gilmore Girls sur Netflix a réuni environ six millions d’abonnés[2], ce qui la place largement devant le précédent gros succès de la plateforme, Luke Cage (trois millions et demi de téléspectateurs)[3]. Au-delà des chiffres d’audiences, choisir de produire un « revival » au lieu d’une nouvelle série est ainsi un choix de sécurité pour les producteurs, grâce auquel les networks peuvent profiter de l’engouement du public pour vendre des produits dérivés des séries. En effet, après la signature d’un premier partenariat avec Hop Topic pour des objets autour de la création originale Stranger Things, la firme compte désormais poursuivre cette expérimentation en s’appuyant sur les « revivals »[4].
De plus, faire renaître une série adorée par le public a aussi comme bénéfice d’augmenter la notoriété d’une chaîne de télévision ou d’une plateforme de streaming et de lui faire gagner la préférence de ce même public ; ce qui est un point primordial face à l’offre toujours plus grande proposée aux spectateurs. Ces séries, bénéficiant déjà d’une renommée certaine, deviennent alors un argument pour fédérer ces communautés autour des services de la plateforme ou de la chaîne. Et les réseaux sociaux contribuent grandement à cette stratégie. En effet, à l’annonce de la production d’une nouvelle saison de « Gilmore Girls », la frénésie des fans s’est illustrée sur les réseaux sociaux. On a ainsi pu voir, en quelques heures, 47 000 tweets de fans de la série après que Lauren Graham, l’une des actrices principales, a confirmé le retour de Gilmore Girls sur Netflix[5].
Et comme l’affirme Ted Sarandos[6], PDG de Netflix, Gilmore Girls est l’une des séries à succès du network, réussite qui se mesure également par le nombre de tweets diffusés et relayés à propos du show.
Nostalgie, quand tu nous tiens
Pour atteindre le présupposé succès, les producteurs misent largement sur la nostalgie. Et sans le savoir, cette stratégie des studios peut être rapprochée des travaux de la chercheuse Katharina Niemeyer[7], pour qui la nostalgie est la recherche dans le passé de quelque chose que l’on n’a jamais eu ou que l’on a perdu. Ici, nous nous intéressons plus particulièrement à ce qu’elle appelle la « nostalgie des temporalités », autrement dit le passé auquel on ne peut plus accéder. Ce concept de nostalgie est particulièrement lié à l’espace : « The good old times, the good old spaces ». La nostalgie aujourd’hui est associée à un sentiment plutôt positif.
Les producteurs des « revivals » et leurs équipes marketing l’ont bien compris. C’est à ce titre que les campagnes de communication vont être organisées autour de ce sentiment[8], de cette volonté de ranimer la flamme des fans à grands coups médiatiques. On peut, par exemple, citer Gilmore Girls où l’un des décors phares du show, le « Luke’s Diner », a été reconstitué dans une centaine de cafés du nord des Etats-Unis pour le lancement de la nouvelle saison. Par ailleurs, les équipes marketing ont aussi créé un festival pour les fans de la série, dans la ville même ayant inspiré le lieu où se déroule l’intrigue, au cours duquel les participants ont assisté à différentes animations autour de l’univers du show. Mille trois cents personnes ont participé à ce festival en plus des membres du casting. Au-lieu de multiplier les campagnes de communication et d’affichages classiques comme peut le faire Netflix pour d’autres programmes, la firme a préféré ici refuser tout matraquage pour se concentrer uniquement sur la base solide de fans, leur enthousiasme se propageant sur la toile et participant ainsi à une communication issue du public lui-même.
Netflix ne s’arrête ainsi pas là et déploie cette stratégie basée sur la nostalgie sur le digital. Tout d’abord, à travers les réseaux sociaux où les membres du casting partagent abondamment les coulisses des tournages sur leurs réseaux personnels. De plus, Netflix a diffusé sur le Facebook officiel de la série Gilmore Girls des résumés des saisons précédentes avant le début du « revival ». Ces vidéos d’une minute reviennent sur les éléments importants de la saison, le tout commenté par Kirk, un personnage phare de la série. Chacune d’entre elles ont été vues plus de six cent mille fois. Il ne s’agit alors absolument pas de renier le matériau originel, bien au contraire. Pour que les fans reviennent, il faut avant tout leur rappeler à quel point ils aiment cette première série.
Les nombreux exemples récents de « revivals » de séries semblent aujourd’hui se prolonger avec la poursuite d’œuvres cinématographiques sur le petit écran (X-Men, L’Arme fatale, Limitless). Les « revivals » ne sont pas des cas isolés, mais bien une nouvelle tendance qui semble s’affirmer dans l’industrie cinématographique, une manière probablement pour les studios d’alterner prises de risque et choix plus raisonnables, avec une communauté établie. En jouant avec la nostalgie, les stratégies communicationnelles mises en œuvre autour de ces formats visent clairement les aficionados de ces shows, tout en créant un manque auprès du nouveau public, le sentiment d’avoir raté une série culte (au moment de la sortie de Gilmore Girls, les précédentes saisons étaient tout autant mises en avant sur la plateforme Netflix). Et ce ne sont pas les acteurs, à l’image des héros de Prison Break, Wentworth Miller et Dominic Purcell, souvent restés dans l’ombre après leur grand succès télévisuel, qui vont se plaindre de cette tendance…