Les émissions de rencontre sont devenues un genre classique… récemment renouvelé par la création de formats innovants, mettant à l’épreuve différents talents pour trouver le grand amour.
Chaque année, de nouveaux formats de dating shows font leur apparition sur les chaînes du monde entier, preuve d’un succès international du genre. La naissance du genre remonte au lancement en 1965 de The Dating Game sur ABC aux États-Unis. Le concept de l’émission est simple : une « bachelorette » pose des questions à trois hommes desquels elle est séparée par un mur. Sur la base de leurs réponses, elle choisit celui avec lequel elle ira en rendez-vous. Depuis cette émission fondatrice, les formats de dating se sont multipliés et diversifiés. L’apparition de nouveaux formats chaque année laisse à penser que ce genre est un filon inépuisable. Parfois sulfureux à l’image de l’Île de la tentation (Temptation Island) et alors relégués en deuxième partie de soirée ou sur des chaînes secondaires, les formats de dating peuvent également revêtir un caractère plus authentique et feel-good recueillant un large public familial et pouvant faire l’objet de prime time comme L’Amour est dans le pré (Farmer wants a wife) diffusé depuis 2005 sur M6.
Dans un marché regorgeant de format de dating shows, les auteurs de format et les producteurs doivent sans cesse renouveler le genre et ses mécaniques. Pour se démarquer des dating shows des premières heures, ces formats parient par exemple sur l’interactivité (Love Island avec la création d’une application dédiée) ou sur l’expérience sociale (Love is blind, Too hot to Handle, Dating Around). Parallèlement, une autre tendance semble se dessiner sur le marché des formats de dating, avec la création de concepts hybrides mêlant les codes et mécaniques du genre et ceux des talent shows musicaux.
The Bachelor presents : Listen to your heart (Next Entertainment, 2020), Flirty Dancing (Second Star, 2019), Falling in Dance (CJ ENM, 2019), Love at first song (CJ ENM, 2019) ou encore Love Song (Tern TV, 2020) sont les représentants de cette nouvelle garde. La promesse de ces formats se retrouve dans leur titre. Il ne s’agit plus de savoir si le coup de foudre existe (Love at first sight) mais si deux inconnus peuvent tomber amoureux à la première chanson (Love at first song) ou à la première danse (Love at first dance). Si l’insertion d’activités de ce type n’est pas une nouveauté, dans cette nouvelle génération hybride, elles deviennent l’élément central, la performance scénique incarnant le climax de l’émission. Là où l’activité participait au rapprochement des candidats, ici elle devient le cœur de la narration.
Une tendance inspirée des succès au box-office ?
Sous les applaudissements du public, Rudi et Matt montent sur scène. La tension monte, alors que grâce au montage, Rudi évoque ses espoirs face caméra. « I hope after that performance he feels the way I feel. He’s what I want ! He’s what I wanted from day dot. And I like him more than I did on the first day. And I’m not going to give up on him because he’s scared of what’s to come. I’m gonna fight ». Les premières notes de guitare se font entendre, on reconnaît le titre de Lady Gaga et Bradley Cooper, Shallow. Les jeux de regard, les sourires, fusent entre les deux candidats [1] .
Rudi et Matt était l’un des duos stars de la première saison de The Bachelor presents : Listen to your heart, spin-off du format original Bachelor diffusé sur ABC au printemps 2020. Dans une villa en Californie, vingt célibataires – 10 hommes, 10 femmes – recherchent l’amour. Mais cette fois-ci, un twist musical est ajouté au concept maintes fois revisité. Les vingt célibataires sont des musiciens et chanteurs. Les dates se transforment en dates musicaux : lors des rendez-vous, les célibataires doivent chanter ensemble ou jouer d’un instrument. La tension du show passe également par l’opposition entre le ressenti lors des performances sur scène – l’alchimie tant recherchée – et les sentiments qui se développent hors-scène. La recherche du grand amour est ainsi couplée à une compétition musicale. Les cérémonies d’élimination se transforment en concert, jusqu’à la performance finale où le couple vainqueur se voit offrir l’opportunité de réaliser une tournée et d’enregistrer un album.
Les références à A Star is Born sont nombreuses dans The Bachelor presents : Listen to your heart. À travers cette reprise de la chanson thème du film par Matt et Rudy mais aussi les communications commerciales et interviews autour du programme. Dès le trailer, la couleur est annoncée : une candidate affirme « It’s just like a real Star is Born ». Lors d’interviews, Chris Harrison, le présentateur de l’émission, pitch le concept comme la rencontre entre The Bachelor et A Star is Born, ajoutant que c’est la performance de Bradley Cooper et Lady Gaga aux Oscars 2019 qui a donné l’idée aux équipes du Bachelor de créer une telle émission[2] . Pour les dating/dance shows, La La Land semble être tant une source d’inspiration qu’un argument de vente. Le trailer de Falling in Dance, format développé par le groupe sud-coréen CJ ENM, utilise notamment la bande originale, très reconnaissable, du film hollywoodien[3] . Du côté de Flirty Dancing, on ne se cache pas non plus. Dans un article du New York Times, Mike Yurchuk, producteur exécutif de l’adaptation américaine, indique ainsi que le programme a été inspiré en partie par le film La La Land[4] .
Quand alchimie et compétition ne font pas bon ménage
À l’heure du numérique, des réseaux sociaux et des applications de rencontre, il serait de plus en plus difficile de trouver le vrai amour. Partant de ce constat, Flirty Dancing, produit par Second Star et diffusé d’abord sur Channel 4 au Royaume-Uni, propose de retrouver les façons traditionnelles de se faire la cour et de trouver le grand amour sur la piste de danse. Dans son format initial, deux célibataires se rencontrent pour la première fois lors d’une chorégraphie préparée à l’avance et réalisée dans des lieux tels que la Tate Gallery et une ancienne serre victorienne. À la suite de leur performance, les deux partenaires choisissent s’ils veulent se revoir en allant au rendez-vous organisé par la production.
L’adaptation américaine a fait le choix d’introduire un aspect compétitif en instillant une hiérarchie candidat/prétendant : un candidat danse avec deux prétendants et décide ensuite avec lequel des participants il veut avoir un rendez-vous romantique, un non-sens pour beaucoup. Anya Soler du Michigan Daily commence son article de cette manière: « Three singles enter. One couple leaves. Yes, this is exactly how dystopian “Flirty Dancing” feels on a first viewing. »[5] L’adaptation voit ses audiences diminuer à chaque nouvel épisode allant jusqu’à une reprogrammation sur la case du dimanche soir. Alors que le premier épisode rassemblait plus de trois millions de téléspectateurs, les deux derniers épisodes n’ont pas dépassé la barre du million. Interviews trop scénarisées, chorégraphies trop montées et tournées en plus d’une prise, multi-caméra et resserrement en plan cinéma au lancement de la chorégraphie sont autant d’aspects qui dénaturalisent le concept original fondé sur l’authenticité.
Les participants semblent trouver l’alchimie recherchée avec les deux prétendants. Le choix final s’apparente alors plus à une décision arbitraire qu’à un choix guidé par une quelconque rencontre fatale. Ce n’est pas tant la compétition entre participants qui met à mal le format, The Bachelor Presents : Listen to Your Heart a réussi à conserver des audiences stables tout au long de sa diffusion, mais la hiérarchisation et la forme même du programme. Composé d’unitaires, le programme n’offre pas le temps à la romance de se développer pour que le public s’attache à l’un des duos.
Le feuilletonnant, clé du succès ?
Love at First Song, bien que développé par la firme sud-coréenne CJ ENM, a été d’abord diffusé au Vietnam sur Vietnam Television 3 (VTV3) en 2018. Lors de sa première saison au Vietnam, Love at First Song a récolté la meilleure part d’audience et a permis d’augmenter les audiences de la chaîne jusqu’à 30% en comparaison avec l’émission programmée précédemment au même horaire.
Des chanteurs amateurs choisissent une chanson qu’ils souhaitent interpréter. Selon leur choix, ils se retrouvent assignés à un partenaire qu’ils ne rencontrent pas et préparent un duo chacun de leur côté. À la fin de la préparation, ils réalisent une performance, toujours sans se voir, devant un public et un jury. Les deux participants sont séparés par un rideau qui se lève s’ils réussissent à séduire l’audience. De même, les deux participants sont placés sur deux podiums qui se rejoignent uniquement si le jury le permet par leur vote. L’aventure ne s’arrête toutefois pas là, les duos ayant réussi le défi s’entraînent au Camp Love. Une compétition est alors lancée entre les couples établis lors de la première phase. Des options ont été posées pour ce format aux États-Unis, Espagne, Portugal et Danemark et le programme a déjà été diffusé en Malaisie et en Corée du Sud.
A-t-on ici affaire à une combinaison parfaite du dating et du talent show ? Son caractère feuilletonnant offre la possibilité de voir les couples évoluer sur le long terme et les relations se développer sur scène. La compétition ici ne semble pas entacher la promesse du programme et ceux qui seront laissés pour compte le seront sur la base d’un jugement juste et non de l’arbitraire. Un programme rafraîchissant non rattaché à une franchise marquée socio-culturellement comme le Bachelor. Aux Etats-Unis, des grands noms de l’industrie musicale et de l’entertainment ont parié sur le programme : John Legend et le producteur d’American Idol Simon Lythgoe. Ce dernier indiquait dans une interview pour Variety :« Ayant travaillé sur certaines des plus grandes compétitions de chant dans le monde comme American Idol ou Pop Stars, c’est le premier format que j’ai vu en une décennie qui est un hybride unique ayant tous les bons ingrédients pour un énorme succès international. Et plus important, ‘Love at First Song’ a le potentiel de lancer le prochain grand duo comme Tim & Faith, Sonny & Cher ou Jay Z & Beyoncé. ».[6]
Dorénavant, il reste à attendre cette adaptation américaine ainsi que celles prévues sur les marchés européens où le show a été « optionné » pour découvrir si le succès sera au rendez-vous.
Cette tendance de format se construit autour d’une même question : une histoire d’amour peut-elle naître entre deux inconnus grâce à la musique ? Les mécaniques et le mélange des genres diffèrent selon les programmes. Ces shows hybrides offrent un vent de fraîcheur au genre du dating. Tendance vouée à disparaître prochainement ou nouvel Edorado ? Ces hybridations aux formes multiples pourraient fleurir sur les marchés nationaux dans les années à venir.