Rencontre avec Michel Boyon

 Président du CSA de 2007 à 2013, Michel Boyon est intervenu auprès de la promotion C3M le 11 janvier 2012 : enjeux de la TNT, transformations que pourrait engendrer la télévision connectée, élections présidentielles. 
 
 

Qu’en est-il de la situation économique des entreprises audiovisuelles françaises aujourd’hui ?

La télévision est un média très cher car les coûts de fabrication sont très élevés. Pour des chaînes de télévision qui ont eu l’habitude de vivre confortablement avec les revenus publicitaires, l’apparition de la crise économique en 2008-2009 a remis en cause leurs ressources économiques. Les revenus publicitaires ont fortement diminué, ce qui a entraîné une baisse du capital des chaînes. En 2010 et en 2011, l’économie s’est un peu redressée avec le rétablissement des ressources publicitaires. Mais les agences médias qui ont pris l’habitude, pendant la crise, d’obtenir des écrans de publicité à moindre coût, sont réticentes à payer plus cher. L’équation économique n’est donc pas facile aujourd’hui pour les télévisions privées. Seule la télévision publique s’est sort bien financièrement, grâce à la subvention compensatoire donnée par l’État, qui est plus importante que le montant que le service public aurait pu obtenir avec la publicité dans ce contexte de crise financière.

Peut-on parler d’une évolution de nos pratiques de consommation télévisuelle ?

Malgré un jugement souvent très sévère du public envers la télévision, elle n’a jamais été autant regardée : 3h47 par jour et par personne. Cependant, le public commence petit à petit à regarder la télévision autrement avec la « catch up TV » par exemple. Mais ce phénomène est à relativiser : il ne représente que 4 minutes en moyenne par jour. La télévision crée des habitudes et le public ne change pas si rapidement qu’on ne le croit sa manière de la regarder. La télévision crée des habitudes et le public ne change pas si rapidement qu’on ne le croit. Cependant, il est vrai que les jeunes générations regardent moins la télévision. Statistiquement, sur la tranche d’âge 18-25 ans, la consommation quantitative de la télévision est moindre, mais il faut noter que le décalage n’est pas très important contrairement à ce que l’on pourrait penser parce qu’en réalité cette génération a la capacité de faire plusieurs choses en même temps. De plus, il apparaît aussi que lorsque les 18-25 ans vieillissent, entre 25 et 35 ans, ils reprennent des habitudes plus classiques de consommation télévisuelle. Il faut donc faire attention aux idées toutes faites sur l’évolution des manières de consommer la télévision et être très prudent dans ses prévisions.

Quels sont les enjeux à venir concernant la télévision?

Nous passons d’un système national à un système beaucoup plus ouvert grâce à Internet, qui permet de recevoir des images du monde entier. Ce phénomène d’ouverture va prendre une grande importance avec la télévision connectée, les fabricants pensent que d’ici quatre ans, la totalité des télévisions vendues seront connectables à Internet. Il y a de la place pour des chaînes plus ciblées, plus créatives et plus complémentaires. Avec la télévision connectée, l’utilité sociale des chaînes audiovisuelles diminue. Et dès lors qu’il devient possible de regarder des programmes étrangers sans passer par les chaînes de télévision classiques, les recettes publicitaires risquent de diminuer fortement. De plus, les images qui arrivent d’Internet ne font l’objet d’aucune régulation, ce qui pose particulièrement problème dans notre système audiovisuel français extrêmement réglé.

Concernant l’attribution des six nouvelles fréquences de la TNT, pensez-vous que ces nouvelle chaînes trouveront un modèle économique?

Le marché publicitaire global consacre un tiers de son budget au média télévision et ce chiffre n’a pas baissé depuis dix ans. Si le marché publicitaire ne subit pas de nouvel effondrement, on peut se dire qu’il y a de la place pour de nouvelles chaînes. Il y a de nouveaux annonceurs qui arrivent sur le marché de la télévision, ce qui va probablement permettre d’augmenter le chiffre d’affaires global et continuer à faire vivre de nouvelles chaînes. Financièrement il n’y a pas de place pour de nouvelles chaînes généralistes mais il y a de la place pour des chaînes plus ciblées, plus créatives et plus complémentaires.

Comment se passe le décompte du temps de parole pendant les élections présidentielles ?

La France a un système de décompte des interventions des personnalités politiques et des partis politiques à la télévision et à la radio très régulé depuis 1969. La loi de 1986 a posé le principe selon lequel il devait y avoir un suivi et un équilibre du temps de parole des personnalités politiques. C’est une des contreparties de la gratuité des fréquences. Avant 2007, les présidents intervenaient peu dans les médias mais Nicolas Sarkozy était beaucoup plus présent sur les médias audiovisuels. Se pose alors une question délicate sur la prise en compte ou non de ses interventions médiatiques.

Le conseil d’État a donc modifié sa jurisprudence disant que certaines des interventions du Président devaient être comptabilisées dans le temps de parole. On distingue deux types d’interventions : celles en tant que partisan de l’UMP, qui sont décomptables, et celles en tant que Président du pays, qui ne sont pas décomptées (bien que sa présence médiatique soit un fait politique ayant des effets sur l’équité du vote).