Le magazine Causette joue avec deux genres : les femmes et la presse féminine. Il est écrit pour les femmes, il leur parle d’elles mais il parle aussi du reste de la presse féminine. De ce point de vue, il se construit en contre-genre.
C’est à la veille de la journée de la femme en 2009 que Causette investit les kiosques. Si on l’achète au rayon presse féminine, on ne trouve dans ses pages rien du contenu habituel de ces magazines : ni maquillage, ni photo de mode, ni régime… ni publicité à outrance ! Causette a pour ambition de s’adresser « non pas à des consommatrices mais à des êtres sociaux doués d’intelligence et de subjectivité ». Son fondateur, Greg Lassus-Debat, poursuit : « Nous n’avons pas la prétention de dire aux femmes comment s’habiller ou comment être belles, nous ne sommes pas faiseurs de tendances mais journalistes. Avec Causette, nous souhaitons opérer un retour au réel. »
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Reprendre le flambeau de la presse féminine engagée
Elle et Marie-Claire ont joué un rôle important dans le combat pour les droits et la condition des femmes tout au long de la seconde moitié du XXe siècle et continuent aujourd’hui à remplir ce rôle. (Par exemple la campagne contre le sexisme de Marie-Claire, en février 2012, photographiée par Christian Kittiger.) La nouvelle génération de féminins haut-de- gamme ne semble pas vouloir reprendre le flambeau : Grazia, Be, Glamour, ne s’inscrivent pas dans cette lignée et n’accordent à cette question de société que de petits reportages, la plupart du temps sous la forme de témoignages sans analyse ni mise en perspective. Autrement dit, Causette avait une place à investir.
C’est un magazine résolument à part dans le paysage de la presse féminine : des articles sérieux, engagés, drôles ; féminins (« Lâche-moi les seins » dans le premier numéro) mais pas seulement, puisqu’on y trouve aussi des sujets politiques (« Langues de députés », qui dénonce les pirouettes communicationnelles des élus dans le 1er numéro).
[quote style= »boxed » float= »left »]Greg Lassus-Debat a écrit pour Charlie Hebdo et L’Humanité, Liliane Roudière vient de Siné Hebdo, Karina Ykrelef est journaliste radio et la rédactrice en chef, Bérangère Portalier, a travaillé pour la télévision.[/quote] Ce ton inhabituel dans la presse féminine, Causette le doit à ses journalistes issus de la presse non féminine et de médias audiovisuels. Et quand une publicité se glisse dans ses pages, ce n’est pas pour vanter les mérites d’une crème anti-rides, mais bien parce que la politique de l’annonceur correspond à l’idéologie du magazine. Lorsque Causette traite de l’excision dans le numéro 3, le ton est grave et accusateur. «Causette est clairement engagée», explique Grégory Lassus-Debat: «c’est un magazine que l’on écrit avec les tripes».
Causette se positionne du côté de la défense des libertés de la femme : « Je ne milite pas pour le féminisme, je vis le féminisme ». Sans vraiment le revendiquer, Causette s’inscrit dans la continuité de ce que Vincent Soulier décrit historiquement comme la « branche intellectuelle » de la presse féminine, fortement « engagée, féministe, imprégnée de valeurs culturelles » (Presse féminine : la puissance frivole, L’Archipel, 2008.). Causette est engagé mais se défend d’être militant.
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Une nouvelle génération de presse féminine engagée
Le féminisme, Causette le vit et le fait vivre au travers des portraits de ses «copines »: des personnalités à son image, décomplexées, résolument modernes et héritières des années de combat pour la libération de la femme: Florence Aubenas, Brigitte Fontaine, Claire Bretecher, mais aussi des femmes comme Momo de Ménilmontant, « femme, mère, grand-mère et…putain ». Causette semble avoir bien entendu le message de Gisèle Halimi dans le numéro du cinquantième anniversaire de Marie-Claire, en 2004: « Rien n’est jamais acquis définitivement aux femmes. Aussi le féminisme a- t-il pour nom vigilance et solidarité. » Le magazine fait la part belle à ces engagements en leur offrant une caisse de résonance, tout en critiquant le militantisme lorsqu’il le juge extrême et infondé. C’est le cas avec sa diatribe contre le Collectif La Barbe, qui s’illustre régulièrement par ses actions médiatiques tellement peu concertées qu’elles virent au ridicule (le passage au Petit Journal sur Canal + le 9 décembre 2011 était pour le moins malheureux).
Contrairement à La Barbe, Causette n’a pas peur des hommes et leur offre même une place de choix dans sa « cabine d’effeuillage ». S’y sont dévoilés Jacky Ido, Gustave Kervern, Guillaume Gallienne. Même si les thèmes abordés dans les dossiers concernent souvent les femmes (« le planning familial », « maternité et soumission »….), Causette déploie un discours paritaire et transgénérationnel.
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Un beau succès en kiosque
Dans un contexte de crise de la presse écrite généraliste, ce titre a rencontré un succès exceptionnel – sa diffusion s’élève à 38 000 exemplaires en 2011 – malgré son prix de vente bien plus élevé que ceux des titres de la presse féminine, consécutif à son choix assumé de limiter la présence de la publicité dans ses pages. La relative faiblesse de sa diffusion est compensée par sa bonne circulation, ses articles très documentés et originaux favorisant la reprise dans d’autres médias. Ainsi Rue89 a rediffusé une partie du dossier « Assistant sexuel: sexe, argent et handicap » du numéro 16.
[quote style= »boxed » float= »right »]Causette, petit personnage dessiné par Morpheen, se présente ainsi: « je suis comme vous: une femme normale mais pas banale, fière d’être ce que je suis, selon mes critères. »[/quote]C’est là que transparaît une des principales difficultés du projet éditorial. Il s’agit de défendre la représentation des femmes dans la société française. Dans la presse généraliste, la visibilité des femmes représente moins de 20 % des personnes citées, d’après l’Association des Femmes Journalistes. En prenant le parti d’être un magazine « féminin », Causette affirme sa volonté de faire contre-pied mais restreint aussi son public et sa résonance. Ce choix était assurément la condition sine qua non de son existence et de son développement, mais c’est aussi une limite à son ambition sociétale. Une limite que Causette reconnaît avec beaucoup de lucidité dès l’édito de son premier numéro.
On peut parler d’un cas Causette, qui s’inscrirait dans une lecture marketing du secteur de la presse écrite. Les femmes souhaitant être considérées et traitées avec intelligence constituent un segment, à nouveau considéré. Un segment qui pourrait voir les offres se multiplier et où Causette n’aurait donc peut-être bientôt plus l’exclusivité.