Bien qu’en France le concept de téléréalité ait été décliné en une multitude de formes et de formats, une constante règne dans les émissions à quelques rares exceptions près : l’appel à la participation du spectateur, que ce soit par l’intermédiaire du téléphone ou par Internet. Le spectateur est invité à s’impliquer, à s’immiscer dans la vie des participants et dans le jeu : “C’est à vous de jouer”, répètent présentateurs et voix off.
Le succès du néologisme « téléréalité » date d’une dizaine d’années, la dissémination de celui de « transmédia » est plus récente et moins grand public mais tout aussi fulgurante. Quelle en est la définition? Si elle varie fortement selon les sources, elle est dans tous les cas indissociable des notions de complémentarité entre des médias qui racontent une histoire ainsi que d’immersion des usagers dans l’univers fictionnel. Il ne s’agit pas seulement de se servir des différents médias pour promouvoir un même concept comme c’est le cas pour le « marketing plurimédia » mais d’utiliser la spécificité de chaque média pour articuler différentes logiques narratives: le suffixe « trans » dévoile bien ce déroulé entrecroisé entre des médias qui se prolongent sans être substituables.
Et surtout, le « transmédia » a affaire avec Internet.
Téléréalité, transmédia, un croisement prévisible
La naissance de la téléréalité s’est faite dans la même période que celle de l’Internet public. Doté du même « public jeune » que la téléréalité, Internet s’est rapidement emparé de la téléréalité… mais plus parce que les internautes se sont mis à la commenter que parce que les producteurs de télévision y ont prolongé leurs programmes. La logique « transmédia » à proprement parler a étonnamment été peu exploitée par la téléréalité. Alors que le cinéma et les séries télévisées, et même le documentaire, via le webdocumentaire, s’en sont emparés, il a fallu attendre l’émission If I Can Dream, créée par Simon Fuller en 2010, pour que producteurs et commentateurs parlent de mariage entre « transmédia » et « téléréalité ». Cette émission de radiocrochet, à la manière d’une Nouvelle Star, n’a pas été diffusée à la télévision mais sur Internet. La sélection des candidats se faisait sur MySpace et les émissions étaient hébergées par la plateforme Hulu. Les internautes pouvaient interagir avec les candidats. La téléréalité s’est ici servie des techniques transmédiatiques pour sortir de la télévision, pour exister en dehors du média qui l’avait fait naître.
Aux États-Unis, profitant du succès de la série Glee de la Fox, la chaîne du câble Oxygen a lancé en 2011 Glee project, un dispositif de « téléréalité transmédiatique » créé par Ryan Murphy: il rassemble une émission de télé-crochet à la télévision, des reportages et un dispositif de votes sur Internet. Les candidats au programme gagnent l’opportunité de jouer dans la série, autrement dit de prendre entièrement part à la fiction: Damian J. McGinty Jr et Samuel Larsen, gagnants de la première saison, ont ainsi joué un rôle dans la troisième saison de la série musicale.
Leur point commun : la feintise
Ce type d’innovation, bien qu’actuellement en développement, reste rare et a tardé à voir le jour. Pourtant, dès 1999, Daniel Myrick et Eduardo Sanchez réalisaient The Blair Witch Project2, dont le scénario jouait sur l’ambiguïté entre fiction et réalité et dont la promotion jouait sur des ressorts transmédiatiques. Un site internet alimenté par de faux documents d’enquête accompagnait la communication du film. Il renvoyait à des opérations événementielles consacrées aux objets retrouvés des étudiants disparus. Cet entremêlement entre différentes productions médiatiques permettait de conférer du crédit à l’imposture, en donnant à voir The Blair Witch Project comme documentaire sur des événements réels. Une des principales caractéristiques du « transmédia » est de jouer avec les frontières entre réalité et fiction. Or, avec son jeu permanent sur la feintise, c’est exactement sur ce terrain que s’est engagée la téléréalité.
«Une des particularités de la téléréalité, c’est de briser le quatrième mur, le mur symbolique de l’écran, cette distance entre le spectateur et l’émission». En leur demandant de participer et de décider du sort des participants, la téléréalité a amené le système à son paroxysme, elle l’a en quelque sorte systématisé : elle intègre explicitement les spectateurs dans son processus de narration, elle en fait même le ressort de l’action. Il s’agit d’abord d’une technique pour saisir l’attention des téléspectateurs et les fidéliser. Mais cette technique change la relation aux téléspectateurs et plus largement aux usagers des médias, en raison de sa dissémination. L’appel fréquent, dans tout type d’émission, à la réaction par téléphone, par Internet, sur les réseaux sociaux, en est un des signes les plus évidents.
La téléréalité est un laboratoire du « transmedia ». La téléréalité et le « transmédia », nés dans un même creuset technique et social, n’en sont probablement qu’aux prémices de leur histoire commune.