Floraison de # en 2015 : quand le hashtag se perfectionne
Le hashtag est récemment apparu sur nos écrans de télévision, d’abord pour désiger le nom d’un programme. Puis de plus en plus, il s’affine, se précise, se contextualise, pour favoriser la reprise et les commentaires sur Twitter. Focus sur deux tendances-clés, que nous avons nommées « le hashtag contextuel » et le « hashtag performatif ».
Selon le sociologue et spécialiste des médias Dominique Wolton, « le rôle essentiel de la télévision est autant d’assurer la communication des programmes et des images que de constituer une sorte de lien invisible entre des millions de citoyens que tout sépare dans une société de plus en plus atomisée. »[1] Si la télévision détient depuis toujours ce rôle éminemment social, c’est dans les dispositifs mis en place autour et surtout durant ces programmes qu’elle s’efforce sans cesse d’innover. La télévision se fait ainsi aujourd’hui participative. Visiblement, ostentatoirement, participative. Selon une récente étude du Conseil Supérieur de l’Audiovisuel[2], l’émergence de la télévision participative en 2012 et son développement ont été initiés par des usages tels que le développement des réseaux sociaux et la consommation « multitâche » devant la télévision, qui ont eux-mêmes poussé les chaînes à reprendre ces usages en développant leur présence dans l’univers numérique. Autrement dit, dès lors que le téléspectateur surfe sur Internet pendant qu’il regarde la télévision, les chaînes ont tout intérêt à ne pas assister béatement à cette nouvelle concurrence mais au contraire à faire en sorte que sur Internet, l’internaute parle, avec d’autres internautes, du programme qu’il regarde.
Quand les programmes misent sur le hashtag contextuel
L’innovation la plus évidente se matérialise par l’utilisation du hashtag, présent à l’écran. Aujourd’hui, sur les 2,3 millions d’utilisateurs actifs de Twitter, 1 sur 2 utiliserait le réseau social en regardant la télévision. 35% publient ou partagent des tweets en lien avec les programmes regardés[3]. Les chaînes ont toutes les raisons de penser que le glissement de leur audience vers les réseaux sociaux sur Internet peut, malgré les apparences et les craintes initiales, leur être bénéfique. Des téléspectateurs moins attentifs et présents devant leur écran de télévision n’en restent pas moins réactifs et impliqués sur Twitter au moment de la diffusion d’une émission.
Néanmoins, il ne suffit pas d’associer un hashtag à une émission pour la rendre sociale (#TPMP pour « Touche pas à mon poste » sur D8 ou #DALS pour « Danse avec les Stars » sur TF1), c’est pourquoi de plus en plus de programmes s’essayent au hashtag contextuel dans une optique de maximisation de l’engagement de l’audience. Naturellement certains programmes, comme les émissions de téléréalité ou les télé-crochets, s’y prêtent plus que d’autres. On a pu le voir cette année avec l’édition 2014 de Koh Lanta en Malaisie réunissant 13 anciens candidats emblématiques. Lors de chaque émission, en plus du hashtag officiel de l’émission, la chaîne n’a pas hésité à lancer des hashtags contextuels particulièrement décalés faisant référence aux performances des candidats ou à des moments de la compétition tels que « #LeRadeauDeFreddy », « #LaPirogueDeTehe » ou encore #LeSlipDeLaurent. Le candidat Moundir a également fait l’objet de nombreux hashtags affichés à l’écran : lors d’une épreuve d’orientation, n’ayant pas su trouver l’Est, le point cardinal qui devait le mener au totem et lui offrir sa place sur les poteaux, il gratifia la chaîne d’un « J’ai fait les 4 Est! » dont le potentiel comique donna lieu au hashtag « #Les4Est ». En quelques instants, le mot-clé est devenu le sujet le plus commenté sur le réseau social avec près de 5000 tweets envoyés en moins d’une heure[4].
Le hashtag contextuel, qui pourrait semble spontané et inopiné, est un choix délibéré et bien réfléchi des producteurs du programme. Son intégration au processus éditorial a pour but de favoriser des prises de paroles qui vont circuler et déborder de l’espace dans lequel le hashtag a été produit. Il est donc censé apporter une véritable valeur ajoutée au programme (l’agrégation souhaitée de nouveaux publics, une dimension affective sinon comique, une événementialisation qui s’apparente aux meilleurs moments du zapping). C’est un moyen de signifier qu’il s’est passé, à la télévision, quelque chose que l’usager des médias, y compris l’internaute, serait coupable d’avoir raté. C’est une sorte de télévision parallèle, de rattrapage. Et pour ceux qui sont bel et bien devant leur écran de télévision, ce hashtag contextuel implique une posture sinon nouvelle du moins renforcée : le téléspectateur va finalement passer plus de temps à suivre la « conversation » et à intervenir sur sa timeline (à savoir le fil d’actualité des tweets postés par les personnes auxquelles il est abonné, ou même l’ensemble des tweets en rapport avec le programme en question publiés sur Twitter ) qu’à regarder l’écran de télévision devant lequel il est posté.
Le hashtag performatif comme ressort de la co-production
Dans certains cas, le hashtag vient solliciter l’avis simultané du téléspectateur, qui se voit symboliquement conférer un rôle d’interlocuteur et pas seulement de « spectateur ». L’aspect social de la télévision prend alors une autre dimension. C’est ce que l’on trouve dans l’émission « La Nouvelle Star » où le télénaute est invité à donner son avis en répondant à des questions telles que « Convaincus par la prestation de Marine ? », « Séduits par Nelson ? » ou « Kévin, vous validez ? » à travers 3 hashtags : #NSoui, #NSnon et #NouvelleStar. On a ici affaire à un hashtag performatif qui ne se contente pas seulement d’annoncer et de décrire l’action de celui qui l’utilise mais qui réalise bel et bien cette action par le fait-même de son utilisation. Le hashtag offre au téléspectateur un rôle de « co-producteur » agissant sur le déroulé de l’émission. Cette alliance de la télévision et du hashtag permet à la chaîne de suivre en temps réel le comportement des spectateurs, à travers une jauge qui évolue en fonction de leur participation durant la prestation du candidat. C’est en quelque sorte une nouvelle mesure d’audience que la chaîne peut manipuler selon ses intérêts. Et le phénomène s’accroît. La chaîne D8 sur laquelle est diffusée « La Nouvelle Star » a annoncé le 16 janvier 2015 sur son site officiel la mise en place pour la première fois en France du vote avec Twitter, permettant de soutenir son candidat favori gratuitement[5].
Performatif, c’est-à-dire ?
Si dans notre vocabulaire il est des termes qui ne font qu’annoncer, constater ou encore affirmer, il en est d’autres qui, en revanche, accomplissent par le simple fait d’être prononcés. Ainsi la performativité est le fait pour un signe linguistique (énoncé, phrase, verbe, etc.) de constituer lui-même ce qu’il dénote, c’est-à-dire que produire (prononcer, écrire) ce signe réalise l’action qu’il décrit. Cette notion de performativité a été développée par le philosophe John Langshaw Austin dans son ouvrage Quand dire c’est faire (1962), dont le titre original est How to do Things with Words (littéralement Comment faire des choses avec des mots). Elle caractérise certaines expressions qui font littéralement ce qu’elles énoncent telle que la phrase « Je vous déclare mari et femme » que prononce l’autorité lors d’un mariage ou encore « je promets » dont la simple énonciation constitue une promesse.
C’est finalement dans cette capacité des chaînes et des producteurs de programmes à reprendre à leur compte des pratiques de commentaire déjà existantes (elles préexistaient à Twitter, qui en a fait son commerce) que s’illustre leur adaptabilité. L’acte qui consiste à structurer, éditorialiser et promouvoir le hashtag met au jour une nouvelle valeur d’usage à la fois du média qu’est la télévision mais aussi des programmes qu’elle propose. La télévision, ce média historique et caractéristique du XXe siècle que certains disent dépassé, se renouvelle et se donne à voir en tant que lieu d’innovation, une innovation qui passe par sa complémentarité avec cet autre média qu’est Internet. L’objectif est de faire rayonner le programme e lui offrant une seconde vie, qui excède celle du fameux écran de télévision.
[1] Les + de la TV 2014, SNPTV p. 118
[2] Étude « La télévision participative (ou télévision sociale) en 2014 – Janvier 2015 – CSA
[3] Twitter/Havas – nov. 2014
[4] http://www.huffingtonpost.fr/2014/11/21/koh-lanta-2014-finale-moundir-les-4-est-phil-laurent-martin-course-orientation_n_6201592.html
[5] Ce système de vote sécurisé fonctionne via le hashtag #NSVote + nom du candidat et permet de voter gratuitement. Un retour de confirmation de vote est alors automatiquement envoyé aux participants.