Le monde de la musique sur Twitter : accès privilégié aux coulisses ou mise en scène des artistes?

Depuis sa création en 2006, Twitter est devenu le réseau social phare des politiques, des journalistes, mais aussi des artistes, qui y trouvent un moyen de se rapprocher de leur public, et de forger des liens personnalisés avec chacun grâce au caractère « instantané » de la communication. Toutefois, cette authenticité semble également soumise à une nécessaire éditorialisation, incluant image de marque et stratégie marketing où l’artiste n’est plus le seul acteur. Astrid Gay, community manager chez Deezer, s’est penchée sur cette question dans le cadre de son mémoire de fin d’études, au sein du master médias informatisés et stratégies de communication au CELSA Paris-Sorbonne. Elle nous présente aujourd’hui la synthèse de son travail.



« L’industrie du disque n’a aucun sens de l’humour »[1] rappelle le personnage de Sean Parker, fondateur de Napster, dans le film The Social Network réalisé par David Fincher. En effet, difficile de faire preuve d’humour dans cette industrie en crise depuis désormais de nombreuses années. Cette crise structurelle, c’est principalement internet qui l’a entérinée : son utilisation comme plateforme de partage illégal de contenus, y compris musicaux, a fait chuter les ventes de disques physiques de manière drastique à partir des années 2000. Il semblerait aujourd’hui que le vent ait tourné : internet est vu comme une issue potentielle à cette crise, notamment avec le développement du streaming payant et les possibilités toujours plus accrues pour les artistes de communiquer avec un large public grâce aux réseaux sociaux, et plus particulièrement Twitter.

Twitter, vecteur de proximité entre l’artiste et son public

Si un idéal de proximité et d’échange avec l’artiste n’est pas nouveau, il prend néanmoins une nouvelle dimension avec l’utilisation de Twitter. Ce réseau social traite de l’actualité dans une temporalité anti-chronologique et favorise les échanges au sein d’un public très journalistique. Il se situe donc dans l’immédiateté et est complémentaire des formats « live » proposés sous forme de vidéos par d’autres réseaux sociaux comme Facebook Live, Insta Story (sur Instagram) et Snapchat.

Auparavant, les publications dans les magazines ou l’envoi d’informations par les fans clubs existaient, mais relayaient des nouvelles de leur artiste favori aux périodes-clé (promotion d’album, tournée…). Désormais, Twitter permet l’échange entre artistes et admirateurs grâce aux fonctionnalités telles que les réponses ou la mise en favori, laissant imaginer une proximité personnelle très recherchée par les fans, qui n’ont pas forcément l’opportunité de rencontrer en vrai les artistes.

L’artiste peut partager des photos de tournées comme des photos de ses vacances ; les abonnés sont alors traités comme des proches, à qui il enverrait des nouvelles en continu. Des communautés de fans se bâtissent autour de l’artiste, qui leur offre en retour du contenu exclusif, telle une récompense pour leur engagement. Ces admirateurs vont pouvoir relayer les tweets, investir financièrement (achat d’albums, de produits officiels, de places de concert,…), en parler autour d’eux (réseaux sociaux inclus) et encourager leurs abonnés à faire de même.

Twitter permet donc aux artistes musicaux de donner l’impression qu’ils publient innocemment des pensées et photos prises sur le vif. Pour autant, les enjeux derrière ces publications se font de plus en plus importants : le recrutement de nouveaux fans et la fidélisation de ceux qui le sont déjà impliquent un aspect relationnel… mais aussi commercial.



Les paradoxes de la sincérité surjouée

L’interaction supposément renforcée entre l’artiste et le fan ne peut toutefois pas bénéficier d’un aspect intime et unique comme ce dernier pourrait l’espérer. En effet, l’échange avec le fan se fait de façon publique, visible par beaucoup d’autres personnes, et devient un simple enjeu de réputation pour l’artiste, qui l’utilise pour montrer qu’il est proche de son public.

La e-réputation et la présentation de soi sont des éléments cruciaux dans la communication des artistes sur Twitter. Ils modèrent leur registre de langage et les contenus qu’ils partagent en fonction de l’image qu’ils souhaitent refléter et du public qu’ils souhaitent toucher. Cela permet de remplir deux objectifs différents : continuer d’affirmer leur identité face aux fans qu’ils ont déjà et les inclure encore plus dans l’univers de l’artiste, mais aussi étendre sa réputation à d’autres publics et susciter de l’adhésion de nouveaux fans.

L’utilisation de Twitter par l’industrie musicale ne serait-elle donc pas, en reprenant les mots d’Erving Goffman, une sorte de « mouvement de va et vient entre le cynisme et la sincérité »[2]? En effet, à la volonté d’échange s’ajoute bien un travail communicationnel et un besoin marketing de transformation.



Des artistes qui s’appuient sur des professionnels de la musique

L’artiste n’est pas seul dans ce travail : à l’effort commun se joignent un manager qui prend parfois le relai sur leur compte, leur maison de disque, leur label, leur tourneur, ou encore des agences de presse externes. Chacun a un rôle bien défini qui se transpose et s’adapte sur Twitter. Ils peuvent par exemple offrir des compléments d’information plus précis que l’artiste lui-même (dates de sorties d’albums, de concerts, de mise en vente de places de concerts…). Le compte Twitter de l’artiste n’est en définitive qu’un maillon fort d’une stratégie promotionnelle et commerciale incluant d’autres acteurs, qui la mettent en place.



Une stratégie communicationnelle pas toujours cautionnée par les artistes eux-mêmes

Certains artistes ne souhaitent toutefois pas une telle proximité. Ainsi, certains n’ont pas recours à ce type de communication, dans le but de se démarquer et par la même occasion, créer un sentiment de manque d’autant plus accentué chez les fans. Distiller plus rarement des informations à son propre sujet, c’est augmenter la valeur et l’impact de chacune. Si ce n’est pas par conviction que des artistes n’utilisent pas Twitter, ce peut également être à cause du temps qu’il faut y consacrer : Twitter étant un média de l’instantané, plus on y est actif de manière constante, plus on augmente sa visibilité. C’est donc une occupation chronophage, qui nécessite aussi des connaissances en stratégies de communication spécifiques aux réseaux sociaux que tout artiste ne maîtrise pas.

De plus, si l’intérêt est bien de recruter de nouveaux fans, il faut que ceux-ci, comme les plus anciens, soient engagés sur Twitter comme en dehors. Le partage de contenu est souvent faible (entre 1% et 2% en moyenne selon les communautés) et un engagement financier (comme l’achat de places de concerts, d’albums ou de produits dérivés), qui demande plus d’implication, génère des taux plus faibles encore. Ce mode de fonctionnement rend certes beaucoup de nouveaux artistes publics, et fédère des communautés autour d’artistes établis, mais ces missions chronophages et requérant des connaissances spécifiques semblent avoir peu de retombées mesurables. Twitter, vecteur de proximité apparente, oui, mais réelle plus-value financière pour les artistes et leurs agents ? Il semblerait donc que non.

[1] The Social Network, Fincher David, 2010, 64ème minute, réplique du personnage Sean Parker joué par Justin Timberlake

[2] Goffman Erving, La Mise en Scène de la Vie Quotidienne, 1. La Présentation de Soi, Paris, Les Editions de Minuit, 1973, 241p

Astrid Gay, Community Manager chez Deezer