Argentine : l’aventure vers le pluralisme médiatique

Guillaume Blot, étudiant en Master 2 C3M, Promotion 2013-2014, nous parle de son aventure argentine à la rédaction de Los Inrockuptibles à travers l’analyse de la nouvelle loi sur la communication audiovisuelle votée en fin d’année dernière.

Sans titrexPhoto tirée du film Diarios de Motocicleta

Accompagnement musical : Gustavo Santaolalla – De Ushuaïa a la Quiaca

Engagée sur la voie de la démocratisation de ses médias, l’Argentine a définitivement validé fin octobre 2013 sa nouvelle Loi sur les services de communication audiovisuelle[1]. Quatre années auront été nécessaires pour arriver au bout d’un chemin aussi sinueux que celui emprunté par les deux héros du local
Diarios de Motocicleta[2].

 

Le scénario n’était pas tout à fait écrit. La justice argentine avait ainsi, contre toute attente, levé l’ultimatum de décembre 2012 qui imposait au puissant Clarin son alignement sur la loi des médias décidée en 2009. Ce n’est que le 29 octobre dernier que le film des événements connaissait son épilogue avec le choix définitif de la Cour Suprême du pays.

Une plus grande diversité recherchée

La loi en question visait à apporter des réponses à l’omnipotence de certains groupes audiovisuels et à lutter ainsi contre le phénomène de concentration des médias, que n’empêchait pas jusque là la loi de radiodiffusion héritée de la dictature militaire (1976-1983). Sa validation limite désormais le nombre de réseaux de télévision par câble, de chaînes et de radios possédés par un même groupe, Clarin compris. Le premier groupe médiatique argentin était, en effet, l’un des derniers réfractaires à la loi, pourtant promulguée dès 2009, arguant que celle-ci portait atteinte à la liberté d’expression, au droit à la propriété privée et qu’elle avait été pensée pour faire taire ses critiques envers le Gouvernement Kirchner.

Clarin et les autres

Sans titre

Le groupe Clarin possédait, tout du moins avant la loi, une dizaine de titres de presse parmi lesquels le journal éponyme (http://www.clarin.com/) le plus vendu d’Argentine (400 000 exemplaires environ), dix stations de radio, quatre chaînes de télévision, deux cents quarante signaux de télévision par câble et des fournisseurs d’Internet. Ce qui, selon l’Autorité Fédérale des Services de Communication Audiovisuelle (AFSCA), représentait en 2011 environ 41% du marché des radios, 38% de la télévision hertzienne, 59% de la télévision par câble. Clarin est également copropriétaire de Papel Prensa, l’unique fournisseur de papier pour les journaux du pays.

Parmi les autres groupes du pays, sont à citer C5N, America Multimedios, Grupo Q, CIMECO, Editorial Perfil, Liberty ou encore TyC.

Pour l’anecdote, il est possible de trouver dans les kioscos[3] du pays un magazine à consonance très française : Los Inrockuptibles (http://www.losinrocks.com/). C’est la seule version étrangère du titre, composée de traductions et d’articles originaux.

Expérience à Los Inrocks

S’il est difficile d’appréhender la concentration des médias à l’échelle du quotidien, tant l’on se dit que le nombre de titres proposés chez les marchands de journaux locaux est bon signe pour le pluralisme, il est en revanche aisé d’évoquer pour un stagiaire en communication un autre aspect : la diffusion. Los Inrockuptibles est à la fois vendu en kiosque et via abonnement. Même si la concurrence avec Rolling Stone permet de nuancer, les données chiffrées du magazine sont relativement basses, avec quelques centaines d’abonnés seulement (chiffres 2012). La confiance limitée des Argentins envers leurs services de courriers/colis – plusieurs entreprises se partagent le marché – et des délais interminables concernant la réception, pour un pays grand comme cinq fois la France, n’y sont pas étrangers.

Des résultats encourageants depuis 2009

Pendant que Kirchner et Clarin refusaient de s’accorder un tango, les effets de la loi se montraient pas à pas encourageants. 210 radios communautaires et 167 radios dans les écoles primaires et secondaires étaient lancées ; 36 licences de télévision se voyaient accordées ; 34 radios et une chaine de télévision des peuples autochtones étaient ouvertes  et 969 autorisations et licences de radios étaient octroyées par l’AFSCA, pour ne citer que ces exemples, le tout en moins de quatre ans. Pour autant, le chercheur Martin Becerra soulignait via son blog[4] que sur une grande majorité des articles, la plupart n’avaient pas pleinement abouti. Ainsi, un manque de transparence au niveau de l’attribution des licences et de la publicité officielle était à signaler, de même que la production de contenus propres aux localités de l’intérieur du pays n’était pas tout à fait respectée. Plus problématique selon lui, la loi n’a pas prévu de scénario de convergence technologique, ce qui la rendrait déjà obsolète. Quoi qu’il en soit, Clarin déclarait dans un communiqué présenté début novembre 2013 avoir fait état d’un « plan d’adéquation volontaire » à l’AFSCA et que le groupe allait « se scinder en six entreprises différentes » pour répondre à la nouvelle loi en vigueur. Au pays des gauchos, le politique prend le pas sur la résistance.


[1] Ley de servicios de comunicación audiovisual en castillan

[2] « Carnets de voyage », film de Walter Salles, raconte le périple d’Ernesto « Che » Guevara et d’Alberto Granado à travers l’Amérique du Sud, dont une large partie en Argentine.

[3] Equivalent des kiosques à journaux français, omniprésents dans les rues des grandes villes d’Argentine

[4] http://martinbecerra.wordpress.com/