Black Mirror épisode 6 « Haine Virtuelle » – Le double effet Kiss Cool des nouvelles technologies ?

Le concept-même de la série britannique Black Mirror, dystopie anxiogène, consiste à démontrer que quels que soient la puissance, la beauté, l’utilité ou le confort qu’apportent les nouvelles technologies, elles pourraient nous abîmer et même nous tuer. L’utilisation des nouveaux outils du domaine des Technologies de l’Information et de la Communication pourrait-elle restructurer voire porter atteinte à nos espaces publics ?

La série Black Mirror, diffusée sur la chaîne anglaise Channel 4 depuis 2011, ne remet pas en cause les objets technologiques mais l’usage qu’en font les êtres humains. Le propos reprend un schéma classique et récurrent de nos sociétés : l’apport d’une invention pour améliorer nos modes de vies (par exemple la sidérurgie) puis son détournement à des fins combatives (la fabrication d’armes). Le dernier épisode vise à démontrer que les technologies numériques ne font pas exception et qu’elles peuvent faire basculer une société dans la pire des situations imaginables.

Une définition 2.0 de l’espace public

L’épisode final de la saison 3, « Haine Virtuelle », sorti le 21 Octobre 2016 sur Netflix, tourne autour de la mort d’une journaliste provocatrice, haïe sur les réseaux sociaux, qui amène une enquêtrice aguerrie (Brook) et sa stagiaire férue de technologie (Blue) à faire une découverte glaçante : cette mort s’avère être le fruit d’une explosion interne dans le corps humain, due à des petits drones à l’origine implantés dans les paysages pour polliniser les plantes. Ces abeilles, conçues dans un esprit pacifique, ont été créées par une société privée écologique, dont l’objectif est de pérenniser l’écosystème et d’assurer la survie de l’espèce humaine. Cependant, ces abeilles se font pirater et deviennent de véritables engins meurtriers qui accèdent aux données de géolocalisation de personnalités dont le comportement est jugé incorrect par les internautes réunis sur un réseau social.

Sur cette plateforme d’échange au nombre de caractères limités (elle n’est pas nommée dans la série mais elle dispose d’un grand nombre de similitudes avec Twitter), l’utilisation du hashtag permet de créer du contenu et de centraliser les messages autour d’un terme. Les utilisateurs peuvent commenter ou suivre une conversation sur la plateforme (comme sur Twitter). Ici, avec le hashtag #DeathTo, ils ont le pouvoir de faire réellement exécuter un individu en fonction de son taux d’impopularité en ligne. Le média devient le porte-voix et le bras armé d’un nouveau totalitarisme : les citoyens-internautes s’arrogent le pouvoir et le devoir de dénoncer tout individu qui s’oppose à leur idéologie. Black Mirror interroge la reconfiguration de l’espace public à l’heure des réseaux sociaux.

Un espace public désigne généralement un lieu où des personnes sont rassemblées pour discuter du « savoir-vivre » et du « vivre-ensemble ». Historiquement, l’apparition de ce concept renvoie à la philosophie de Kant à la fin du XVIIIème siècle : c’est un lieu dans lequel s’exerce la citoyenneté et où sont élaborées les pensées qui contribuent à contrer le pouvoir hégémonique. Les réseaux sociaux sont souvent présentés comme de nouvelles formes d’expression des citoyens et comme un bouleversement de l’espace public. Les internautes interagissent rapidement.

Rappelons-nous de l’expérience conduite par Microsoft à travers l’intelligence artificielle (IA) TayTweets lancée en mars 2016. Capable de converser, d’interagir avec des internautes et de se construire une identité au fur et à mesure des conversations, cette IA a été mise hors ligne après vingt-quatre heures d’activité. En cause, des propos racistes, complotistes et l’apologie du parti républicain américain : « Bush a fait le 11 septembre et Hitler aurait fait un meilleur travail que le singe que nous avons actuellement. Donald Trump est le seul espoir que nous ayons. » L’expérience a donc tourné au fiasco, une fois mise entre les mains des internautes.

TayTweets
Un chatbot conçu et développé par l’entreprise américaine Microsoft dont l’objectif était de démontrer son avancée technologique sur le marché international des nouvelles technologies.

Lorsque l’arroseur devient l’arrosé

 

L’épisode final de Black Mirror pointe les dangers de manière alarmiste, en présentant les internautes haineux comme des apprentis-sorciers destructeurs de citoyens, de citoyenneté, de société… et au final d’eux-mêmes. Lors de la chute finale, les utilisateurs se retrouvent pris à leur propre jeu, les abeilles se retournent contre tous les internautes ayant employé le hashtag #DeathTo. L’outil de géolocalisation des Smartphones permet aux drones abeilles de retrouver les individus pour exploser à l’intérieur d’eux. Ce procédé montre que personne n’est à l’abri, chacun peut se retrouver à la place de l’« arroseur arrosé ». Un scénario extrême sans pour autant être éloigné de la réalité. Par exemple, lorsque l’on prend en considération l’usage que font les internautes des « plateformes de conversation » pour augmenter leur taux de popularité, on constate que les informations, une fois publiées en ligne, ne sont plus contrôlables. Ceux qui récoltent soudainement de la haine doutent de leur capacité à faire face à la situation, comme le démontrent les situations du rappeur Tusk ou encore de Jo Powers qui se retrouvent être attaqués par ces abeilles à la suite de dénonciations virtuelle sur l’espace public en ligne.

La popularité en ligne ne laisse donc pas la moindre erreur possible face aux internautes. À l’instar des pistes évoquées dans cet épisode, le réseau social inscrit son utilisateur dans un « cercle vicieux » où plus l’on devient populaire, plus les commentaires négatifs sont nombreux, ceci indépendamment des actes de la personne visée. Le réseau social, ou plus directement l’espace public, prendrait donc la forme d’un tribunal de grande instance aux règles strictes, basées sur des jugements sans justification (une phrase lapidaire de cent quarante caractères pour juger le comportement, voire la personnalité d’un individu).

On assiste aujourd’hui à une évolution de la notion d’espace public suite à l’apparition des nouvelles technologies et des réseaux sociaux. Une nouvelle facilité de communication s’offre aux internautes, ceux-ci étant plus libres d’exprimer leur pensée à travers des outils technologiques abordables (smartphones, tablettes, ordinateurs et internet qui reste le canal fondamental de cet échange d’informations). Il n’a jamais été, en effet, aussi simple et rapide de discuter et de remettre en cause des discussions. Cependant, cette remise en question des discours ne s’avère pas toujours constructive et c’est ce que tend à démontrer cet épisode de Black Mirror. De tout temps, les êtres ont émis des jugements et des idées à travers des débats, mais aujourd’hui, cette tribune populaire prend de nouvelles formes. Cet épisode de Black Mirror offre l’occasion d’une réflexion critique, illustrant une réalité : celle de la transformation de notre espace public et des conséquences engendrées.

Sacha Lebas, Etudiant en Médias & Management 2016-2017