Dans le cadre de la Fête du court métrage 2016, nous continuons à brosser un portrait des nouveaux formats audiovisuels et avons rencontré Bruno Smadja, créateur du Mobile Film Festival, véritable amoureux du court métrage. Depuis douze ans, le Mobile Film Festival récompense les meilleurs courts métrages tournés avec des téléphones portables. Visionnaire en 2005, avant même les premiers smartphones, l’événement veut désormais devenir incontournable. Des centaines de réalisateurs, novices ou confirmés, tentent leur chance chaque année pour décrocher un des nombreux prix mis en jeu. Bruno Smadja évoque pour nous l’avenir résolument web d’un genre au potentiel « inexploité ».
Effeuillage : Bruno Smadja, vous êtes le fondateur du Mobile Film Festival depuis 2005. Pouvez-vous nous parler de ce projet et de ses objectifs ?
Bruno Smadja : J’ai créé il y a douze ans le Mobile Film Festival autour d’un principe extrêmement simple : un mobile, une minute, un film. Le projet se base sur des valeurs de démocratisation, de découverte et d’accompagnement de talents. L’événement est totalement gratuit en termes d’accès. Le fait d’utiliser cette technologie mobile permet de casser toutes les barrières économiques entre les participants. Et notre particularité est de travailler sur cette minute en termes de narration scénaristique, pour inviter dans cette contrainte à écrire un maximum d’histoires, la liberté se situant dans la contrainte.
Vous avez lancé ce festival en 2005, il y a déjà douze ans. Depuis les mobiles ont évolué, la technologie a évolué. Est-ce que cela impacte la nature du festival ?
Non, absolument pas ! C’est ce qui est vraiment intéressant. Ce qui caractérise le festival, c’est la minute avant le mobile, le mobile n’étant qu’un moyen. Donc, c’est d’abord la minute qui va faire la différence du projet. Et elle est restée la même entre 2005 et 2017 !
Nous sommes ici à la Fête du court métrage. Le mobile est-il le lieu parfait de l’expression du court métrage, pour sa production comme sa consommation ?
Je ne pense pas que le mobile soit un lieu parfait pour le court métrage. Je pense, en revanche, que c’est un lieu fort et une opportunité de rendre accessible, de pouvoir démocratiser et faciliter l’accès au court métrage. En tournant avec des caméras professionnelles, on arrive évidemment à des résultats carrément différents mais aussi intéressants. Il n’y a pas de perfection, ce sont juste des moyens qui vont être différents et qui vont permettre de s’exprimer, de raconter son histoire. Parce que le plus important est là : raconter son histoire.
Le mobile est un abaissement de beaucoup de contraintes pour raconter une histoire. Sommes-nous tous pour autant des réalisateurs en puissance ?
Nous ne sommes surtout pas tous des réalisateurs en puissance ! Et malheureusement, notre système éducatif fait que nous ne sommes absolument pas des réalisateurs en puissance, puisqu’on n’a pas d’éducation à l’image. Et dans une société qui est totalement basée sur l’image, cela manque terriblement à mon sens. Nous savons tous écrire, mais nous ne sommes pas tous des romanciers… C’est exactement la même chose, voire pire encore. On a tous un téléphone mobile dans notre poche, ce n’est pas pour autant que nous sommes capables de bien écrire et de raconter des histoires. Bien au contraire ! C’est une syntaxe, une grammaire, une langue qui s’apprend, de manière académique ou de manière autodidacte.
Pour sa 11ème édition en 2016, le Mobile Film Festival en ligne s’est associé aux Nations unies dans le cadre de la COP21 avec un thème, « Changement climatique » et toujours la même devise « 1 mobile, 1 minute, 1 film ».
Cette année, le Mobile Film Festival accueille un nouveau partenariat avec le CNC. Qu’est-ce que ce soutien apporte à votre projet ?
Notre premier partenaire, la BNP nous apporte déjà beaucoup de choses. Ce dernier est très important pour nous car ça fait sept ans que nous travaillons avec eux et grâce à eux, nous avons construit un système de bourses pour accompagner les talents lauréats de notre festival. Ils bénéficient de deux bourses de quinze mille euros d’aide à la production, offrant ainsi des moyens de production professionnels. Nous en sommes super fiers, nous avons sorti sept films au total, avec des budgets entre soixante et cent-quatre-vingt mille euros. Le partenariat avec le CNC renforce cet accompagnement, notamment à travers une bourse d’écriture. Les lauréats pourront ainsi participer à un workshop d’écriture financé par le CNC.
Le film sur mobile est un peu un OVNI dans la production audiovisuelle. Peut-il devenir un genre à part entière ou est-ce avant tout une porte d’entrée dans la profession ?
Je ne crois pas que le film mobile soit différent des autres films. Il respecte des codes de cadrage, des codes de narration extrêmement classiques ! Après, comme tout film, on peut décider de le réaliser de manière originale ou pas, mais il n’y a pas de caractéristique en soi par rapport à l’écriture cinématographique.
Le court métrage est un genre très valorisé par la profession. En revanche, il a peu de visibilité auprès du public. Est-ce un genre encore trop sous-exploité commercialement ?
« Sous-exploité », le mot est faible ! Il est inexploité. Les chaînes de télévision ne le diffusent pas, ou à partir d’une heure du matin, alors qu’elles le financent, ce qui est assez paradoxal. France Télévisions, Arte et Canal font le choix de financer des courts métrages, mais leurs fenêtres de diffusion sont vraiment très étonnantes. De leur côté, les cinémas n’en diffusent plus. Je pense donc que le plus grand espoir pour le court métrage est le web ! Sur internet, on a l’opportunité de rencontrer un public extrêmement large. Avec le Mobile Film Festival, par exemple, on a réalisé dix-sept millions de vues, en un mois, sur les soixante-quinze films de la sélection officielle de l’année dernière. Le web est vraiment une opportunité incroyable, parce qu’il existe un public demandeur, qui regarde énormément de vidéos.
Pour le court métrage à la télévision, c’est donc trop tard ? Vous misez exclusivement sur le web pour développer ce format ?
Oui c’est trop tard, mais je pense que c’est trop tard pour la télévision en général. Les modes de consommation ne vont pas vers la télévision ! Ils vont vers le délinéarisé, la SVOD, vers des expériences qui n’obligent plus à être à une heure donnée devant un écran. Il n’y a aucune raison à imposer ces contraintes. L’audiovisuel se tourne massivement vers le délinéarisé et on a pleinement notre place là-dedans.
Prix du meilleur film, de Julien Lessi
Prix du public, d’Amila Kumarasinghe
Prix de la meilleure actrice, de Safia Adjhadjeba