France Inter relance le radio-crochet : les auditeurs mordront-ils à l’hameçon ?

Lundi 7 septembre 2013, France Inter décide de lancer son opération  On a les moyens de vous faire chanter, un radio-crochet destiné à faire découvrir de nouveaux talents. L’initiative, abondamment relayée à l’antenne, ne débutera officiellement que le samedi 11 janvier 2014 après la phase d’inscription. Avec le succès de The Voice et de Nouvelle Star, il n’est pas étonnant de voir la station publique se réapproprier le concept. Voyons en quoi ce choix s’inscrit dans une véritable logique de reconquête.

                                                                                                                  

Un concept né sur les ondes

Si le télé-crochet signe les heures de gloire de la télévision dans les années 2000, on oublie souvent qu’il doit sa création à la radio puisque c’est dans les années 30 qu’est créé le premier concours de chant radiophonique.[1] Il voit le jour à Radio Cité sous l’impulsion de Saint-Granier et Jacques Canetti. A l’époque, chaque candidat devait interpréter une chanson devant un jury présidé par une célébrité. Lorsque le candidat ne convenait pas, celui-ci était alors happé par un grand crochet qui interrompait la prestation. La première émission du genre s’est donc naturellement appelée « Crochet Radiophonique ». Mais c’est après la Seconde Guerre Mondiale que le concept se développe et se popularise. Il fait ainsi émerger de grands noms de la chanson française tels que Bourvil, Georges Moustaki, Edith Piaf ou encore Mireille Mathieu. Dans les années 60, l’arrivée de la télévision dans les foyers laisse place aux télé-crochets. Cependant, la radio est loin d’oublier son rôle fondateur.

Un besoin de réappropriation

Face aux succès des tremplins musicaux sur les écrans, France Inter a décidé de se réapproprier un concept trop souvent associé à la télévision. Didier Varrod, directeur de la Musique de France Inter, ne s’en cache pas :  « Comme le télé-crochet venait d’un programme qui s’appelait le radio-crochet, on s’est dit : et si on demandait au radio-crochet de revenir à la maison, et de rendre à la radio ce qui lui appartient? »[2]. Le message est clair : la radio se doit de relancer le radio-crochet. Si France Inter a choisi de remettre le concept à l’honneur, la station a cependant tenu à se détacher du petit écran. Pour se démarquer, France Inter a donc décidé d’ouvrir son concours aux auteurs-compositeurs-interprètes. Ici, aucune reprise n’est proposée : la station veut mettre l’accent sur la création. « La notoriété de notre gagnant sera nettement moindre que celle des sortants des télé-crochets, mais il ne sera pas pipeau » précise Didier Varrod[3]. Du rock au jazz, en passant par l’électro, les auditeurs auront la possibilité de choisir parmi de nombreux univers. Contrairement au format télévisuel, il ne s’agira pas non plus d’éliminer un candidat à chaque émission pendant 24 semaines. Les artistes passeront par groupe pendant 6 semaines et seront d’abord soumis aux votes des internautes puis d’un jury.[4]

Une stratégie au service des audiences

Le choix de ce nouveau programme s’inscrit dans une politique générale de restructuration des audiences. Depuis deux ans, les chiffres de la radio sont en baisse. La radio généraliste a donc choisi de laisser plus de place à la musique (chroniques musicales, émissions thématiques, concerts, opérations spéciales) et ce, dans le but d’attirer de nouveaux auditeurs :  « J’ai voulu que France Inter reprenne un peu la main sur la découverte, sur la musique en général, redevienne un acteur important, un partenaire pour les créateurs. Je voulais que quelque chose se réveille »,[5] explique Philippe Val, directeur de la station. Avec son opération On a les moyens de vous faire chanter, France Inter espère conquérir une nouvelle audience tout en conservant ses fidèles auditeurs. La station, dont la moyenne d’âge oscille autour de 55 ans, souhaite donc prendre un tournant en matière de programmation. Selon Didier Varrod, la station veut souffler  « un vent nouveau sur la programmation musicale » et le radio-crochet semblerait être la solution pour marquer ces nouveaux objectifs.

France Inter, l’affirmation d’une marque média

Avec le retour du radio-crochet, France Inter s’impose plus que jamais comme une « marque média».[6] Porteuse de valeurs et garante d’une promesse, la radio n’est plus un simple diffuseur : elle s’affirme en tant que marque. Ici, la station cherche à reconstruire son image auprès des auditeurs : plus jeune, plus dynamique, plus fédératrice. On a les moyens de vous faire chanter  lui permet ainsi d’instaurer un nouveau positionnement. Elle se présente davantage comme une caution pour l’artiste. Elle devient un partenaire à part entière et se valorise par là-même en tant que support. Bien que certains chanteurs issus des télé-crochets tirent leur épingle du jeu, la fin de l’aventure télévisuelle signe souvent le retour à l’anonymat. C’est ce que souhaite éviter France Inter en accompagnant le gagnant dans ses différentes démarches. La station s’engage ainsi à suivre le gagnant après l’émission et à lui obtenir un contrat avec une maison de disques et un contrat pour une tournée :  « On accompagnera le gagnant du mieux qu’on peut sur notre antenne et sur le web. (…) On ne créera pas des artistes fragiles musicalement, il n’y aura pas tromperie sur la marchandise », assure Didier Varrod[7]. De cette manière, la station a pris le parti de fonder sa notoriété dans l’accompagnement et la recherche de talents plutôt que de miser sur des succès éphémères. Un pari ambitieux.

Face à la concurrence, la question de la qualité de l’offre devient essentielle. En se réappropriant le radio-crochet, France Inter réalise que sa finalité réside moins dans la production de contenus que dans sa capacité à fédérer une audience autour d’un contenu. Cependant, France Inter respectera-t-elle ses engagements si les audiences ne sont pas au rendez-vous ? Quel(s) risque(s) court-elle pour son image en cas d’échec ? Autant de questions qui restent en suspens.

[1] Les grandes ondes: Mémoires d’un homme de radio, Michel Ferry, Harmattan 2012

[2] Point Presse France Inter –  Didier Varrod, source AFP 7/10/2013

[3] http://www.ozap.com/actu/didier-varrod-france-inter-le-gagnant-de-notre-radio-crochet-ne-sera-pas-pipeau/449554

[4] http://www.franceinter.fr/evenement-on-a-les-moyens-de-vous-faire-chanter

[5] Point Presse France Inter –  Didier Varrod, source AFP 7/10/2013

[6]Média-marque, Marque-médias, séminaire Irep 2009, Valérie Patrin-Leclère et Jean Maxence Granier

[7]http://www.ozap.com/actu/didier-varrod-france-inter-le-gagnant-de-notre-radio-crochet-ne-sera-pas-pipeau/449554