LA CANNIBALISATION MARKETING

La notion de cannibalisation désigne le fait que la mise sur le marché d’un nouveau produit entraîne la baisse des ventes d’un autre, plus ou moins substituable. Autrement dit, il s’agit de proposer un produit ou un service dont les caractéristiques sont proches d’un autre, mais meilleures. La consommation de ce dernier, lésé, est alors freinée.

Ce cannibalisme de marché est également connu sous le nom de cannibalisme d’entreprise. Lorsqu’une entreprise fabrique un nouveau produit ou introduit un nouveau service, l’objectif est de fidéliser ses clients, mais surtout d’en convaincre de nouveaux. Cependant, cette ambition ne se concrétise pas à chaque essai. Si ce nouveau produit plaît à la clientèle actuelle de l’entreprise, mais sait aussi séduire un segment supplémentaire du marché, alors la cannibalisation est effective. Pour les produits ou services préexistants, elle entraîne une baisse de la demande, une diminution du volume des ventes et des revenus, ainsi qu’une réduction de la part de marché.

RISQUE OU STRATÉGIE ?

La cannibalisation peut être involontaire. Mais nous examinons ici les situations qui relèvent du marketing stratégique. Premier cas d’école, le producteur, à la suite d’une veille concurrentielle et dans l’objectif de maximiser ses chiffres de vente, peut décider de commercialiser un produit inédit mais sans innovation substantielle. Apple, et ses produits iPhone, sont un bon exemple de ce cas de figure : chaque nouvel iPhone propose des caractéristiques proches, mais légèrement améliorées, par rapport aux précédents. En conséquence, à chaque nouvelle sortie, les ventes de l’iPhone de la génération précédente diminuent au profit de la nouvelle.

Deuxième cas de figure, la cannibalisation peut avoir pour but d’écouler les « stocks ». Lorsque les ventes d’un bien, ou d’un service, sont faibles, la réduction de son prix est un moyen d’augmenter sa vente par rapport au reste des produits commercialisés.

Dans le secteur des médias, la multiplication des canaux de distribution peut être à l’origine de la cannibalisation. Lorsqu’une marque décide de proposer ses produits sur différentes plateformes, l’une peut surpasser les autres. Ainsi, quand un média décide de proposer son contenu sur plusieurs plateformes, il cherche à attirer un nouveau public sans réellement modifier sa production, mais il risque de se cannibaliser en déplaçant ses consommateurs d’un lieu de distribution à un autre.

Pour pallier la cannibalisation, il est nécessaire de mener des études marketing de marché approfondies afin d’évaluer l’environnement du bien ou du service. Un produit nouveau qui ne présente qu’un intérêt supplémentaire limité accentue le risque de cannibalisation. Il arrive parfois qu’un média, pensant que productivité rime avec efficacité, se heurte à la cannibalisation sans le vouloir. C’est un phénomène observable sur les réseaux sociaux, notamment sur YouTube. Il existerait en effet un délai minimal à respecter entre chaque publication afin de toucher au maximum la communauté et ainsi éviter la cannibalisation. La cannibalisation marketing relève donc de la stratégie d’entreprise mais aussi du risque de la confrontation involontaire.

ETUDE DE CAS : UN CAS DE CANNIBALISATION DANS LES MÉDIAS, DISNEY ET LE LANCEMENT DE SA PLATEFORME DE STREAMING LÉGAL DISNEY +

Depuis son lancement à l’automne 2019, Disney + a fidélisé des millions d’utilisateurs à travers le monde : en février 2022, la plateforme compte près de 130 millions d’abonnés [1]. Disney + pourrait donc cannibaliser la fréquentation en salle des films Disney ainsi que le domaine du home entertainment, c’est-à-dire l’achat de films Disney consommables dans les foyers (DVD, streaming sur des plateformes diverses…).

En l’occurrence, il s’agit d’une stratégie marketing. Face à l’augmentation du nombre de plateformes de streaming et dans un contexte de crise sanitaire, Disney fait le choix de se cannibaliser pour entrer dans le marché des plateformes de streaming. L’objectif premier est de doubler la concurrence, et ainsi éviter que d’autres plateformes ne s’imposent sur le marché (à l’image de Netflix par exemple).

En créant Disney +, la marque de la souris la plus connue du monde exprime son souhait de passer d’une stratégie de distribution « B to B » (de Disney aux distributeurs de films) à une stratégie « B to C », pour s’adresser directement aux consommateurs. Disney + fait le pari de nuire à ses revenus de home entertainment, pour privilégier l’utilisation de la plateforme Disney +. De 2013 à 2018, les revenus liés au home entertainment ont pourtant été très stables [2] : ce qui dévoile un enjeu important, mais également un large marché à cannibaliser.

Disney souhaite donc modifier les dépenses des consommateurs, en les réorientant. Il est préférable pour le groupe de substituer l’achat unitaire d’un DVD, dont le marché est en baisse. Ainsi le géant américain s’est fixé l’ambitieux objectif de fidéliser 230 à 260 millions de nouveaux utilisateurs d’ici la fin septembre 2024. Pour ce faire, la plateforme doit engranger 9,1 millions de nouveaux clients par trimestre [3] .

Pour convaincre les consommateurs de s’abonner plutôt que d’acheter ponctuellement des DVD, Disney souhaite privilégier la sortie de ses films sur la plateforme Disney +. Il s’agirait donc de proposer un intermédiaire avec une fenêtre d’exclusivité dédiée à Disney + entre la sortie en cinéma et la sortie physique des films en DVD. Cette chronologie imposée permettrait de compenser les recettes de home entertainment par les recettes de streaming, et donc d’opérer un relai gagnant entre le physique et le streaming.

La cannibalisation du home entertainment de Disney par Disney + permettrait à l’entreprise d’être plus rentable. Grâce au streaming, Disney pourrait concentrer ses investissements sur le service de la plateforme de streaming. Dès lors, Disney n’enregistrerait plus de coûts liés à la fabrication physique des produits (DVD, Blu Ray). Il serait également plus aisé de fidéliser des consommateurs par abonnement. On a donc ici un excellent exemple du fait que la cannibalisation, au sein d’un même groupe, peut relever d’une stratégie marketing claire et réfléchie.

Saliha Mhadhbi, Anouk Riedinger & Charlotte Leleu, étudiantes du M1 Communication Médias - CELSA

[1] Le Figaro, « Disney + compte près de 130 millions d’abonnés, nettement plus qu’attendu« –  lefigaro.fr, 09/02/2022.

[2] Rapports financiers annuels de The Walt Disney Company de 2013 à 2019, disponibles sur thewaltdisneycompany.com.

[3] Les Echos Investir, « Disney rassure sur le streaming avec un gain d’abonnés au premier trimestre » – investir.lesechos.fr, 15/05/2022.