La trivialité pensée par Yves Jeanneret
A l’occasion de la sortie de Critique de la trivialité, Yves Jeanneret, professeur de sciences de l’information et de la communication, directeur de la chaire pour l’innovation et la communication dans les médias et directeur adjoint du Celsa, était l’invité de l’Institut des Sciences de la Communication du CNRS et du CEISME . Les Effeuilleurs ont eu le plaisir d’y assister et de se plonger, avec l’auteur, au cœur de la conception de son dernier livre.
Critique de la trivialité est un des éléments centraux d’une question au cœur des recherches d’Yves Jeanneret, qui se questionne sur la circulation des savoirs dans l’espace social. Pour construire sa Critique, Yves Jeanneret a d’abord choisi de se concentrer sur l’étymologie du mot « trivialité ». Sa définition recentre la notion au cœur des problématiques des sciences de l’information et de la communication. La trivialité repose alors sur l’idée du carrefour, de la circulation et de l’échange.
Dès le début des années 2000, le chercheur avait pour projet d’articuler sa pensée en 2 volumes : le premier, Penser la trivialité, proposait un cadre conceptuel pour penser les processus d’appropriation liés à la trivialité. Aujourd’hui le deuxième, Critique de la trivialité étudie comment certains sujets de la communication se font acteurs de ces processus, les écrivent, les orientent, pour fabriquer du pouvoir et du profit.
En tant que sémiologue des écritures médiatiques, Yves Jeanneret a choisi d’ancrer son ouvrage au cœur de son domaine de prédiction, à savoir l’analyse des dispositifs d’écriture. Il y aborde les objets de la circulation des œuvres culturelles dans la société afin de comprendre comment ils se sont transformés avec internet et les médias informatisés.
Critique de la trivialité se découpe en quatre parties : la première retrace les éléments dégagés dans Penser la trivialité. En mettant en avant la participation de chacun à la trivialité, Yves Jeanneret y analyse les théories et les pratiques des processus de communication. La deuxième partie concerne les processus de professionnalisation dans une approche de la genèse des métiers. Le chercheur s’est ici inspiré de Louis Marin et de son analyse de la création de la fonction d’historiographe. Cette partie repose sur l’idée de « prétention » : il est impossible de maîtriser totalement la communication.
Ainsi un métier, une compétence ne peuvent s’imposer sans communication ; leur valeur et leur image sont construites par un récit. Dans la troisième partie, Yves Jeanneret s’intéresse à la relation entre l’industrie des dispositifs et la dynamique sociale des usages. Les médias informatisés traduisent une réappropriation de dispositifs d’écritures existants. En s’appuyant sur les travaux de Michel de Certeau, le chercheur dégage la notion d’économie scripturaire en évolution constante : cette notion définit la dialectique entre le processus d’industrialisation (qui vise à « normer » la sphère sociale par l’écriture) et les processus sociaux (qui, à l’intérieur même de ces dispositifs d’écriture, permettent le développement d’univers culturels et sociaux différents de ceux qui ont été programmés dans le passé). Les transformations ne sont pas des améliorations mais des redéfinitions constantes. Enfin, le sémioticien propose de remettre en question la notion d’ « économie politique de la communication » en abordant le capitalisme médiatique.
Yves Jeanneret est donc parti d’un constat : les recherches autour de la trivialité ont souffert de la marginalisation du concept parce qu’il n’était pas digne d’intérêt. De même, les SIC se sont concentrées sur un modèle binaire production / réception sans s’intéresser à la consommation, à la réappropriation, la réinterprétation et à la ré-émission. Pourtant, ces vingt dernières années ont été marquées par une montée de l’intérêt pour la trivialité, qui a été instrumentalisée. Les médias sociaux se sont ainsi appropriés les écritures produites gratuitement par leurs usagers, qui constituent de véritables panoplies documentaires, pour ensuite les financiariser. Cependant, la glorification de la trivialité s’accompagne aussi d’un oubli de sa complexité. Ainsi, les disciplines de l’archive ont été « gadgetisées », simplifiées. Le bulletin de notes, véritable symbole d’une institution, a été adopté dans sa forme par le site Note2Be, afin que les élèves puissent noter leurs professeurs. La trivialité a été décontextualisée. Aujourd’hui, l’industrie culturelle a une capacité formidable à réutiliser des éléments divers et à favoriser une nouvelle circulation des objets. Plus la trivialité est instrumentalisée, plus la glorification de l’expression de tous est valorisée. Mais, il ne faudrait pas confondre la reconnaissance de la valeur intellectuelle et culturelle de la production de tous avec la justification de toutes les formes de cette industrialisation.