Avec son lot de drapeaux tricolores et de discours sur le Soldat Inconnu, le 11 novembre ne manque pas à l’appel en cette année 2015, comme tout bon jour férié qui se respecte. La commémoration du 11 novembre vise à conserver le souvenir de l’Armistice du 11 novembre 1918 et de la fin de la Première Guerre mondiale. 2014 ayant marqué l’entrée dans le centenaire de la Grande Guerre, ce 11 novembre 2015 est ainsi l’occasion d’évoquer la manière dont la commémoration du centenaire se vit sur le Web.
Le poids actuel de la Première Guerre mondiale, en plein centenaire 14-18
Le poids durable que représente l’histoire de cette guerre s’explique par l’ampleur dévastatrice d’une telle expérience collective, marquée par la mobilisation de 8 millions de soldats français et la mort d’1,4 million d’entre eux. Ce qui aujourd’hui nous rattache à cette guerre sont les récits des grandes batailles, les mythes nationaux mais aussi l’intérêt porté à la mémoire familiale et aux témoins. Bien que son caractère édifiant fasse consensus, les historiens remarquent toutefois une « abrasion du souvenir de l’immense expérience collective de 1914-1918 »[1]. Marquer les cent ans de la Grande Guerre est un événement fort, la commémoration étant l’occasion de réintroduire l’événement au cœur de notre actualité, dans une démarche médiatique conférant au passé une dimension événementielle.
Le centenaire de la Grande Guerre sur le Web
Le centenaire est marqué par de nombreuses propositions médiatiques : cérémonies télévisuelles, webdocumentaires, fictions, reportages, etc. Les initiatives les plus inédites sont sur le Web, qui participe à repenser la commémoration en devenant un espace clé de publication des discours sur le centenaire.
La place centrale du Web dans la construction médiatique du centenaire
Au delà d’une volonté d’intéresser un public plus large en étant présent sur le Web, on peut y voir une modification structurelle de l’appréhension de ce temps commémoratif, en se fondant sur l’exploitation des potentialités du Web, son abondante pluralité, sa capacité de conservation et de partage de données. Le Web permet de différencier, structurer et diffuser un vaste ensemble d’informations reliées sur le mode de l’intertextualité et cette vaste extension des informations disponibles en ligne réactualise le mythe de la bibliothèque universelle. En témoigne le site Mémoire des hommes qui rassemble plus d’1,4 million de fiches individuelles numérisées de soldats morts pour la France lors de la Première Guerre. Les notions de partage et de communauté, à la base d’Internet, sont réactivées par l’arrivée du Web dit « 2.0 » tourné vers la valorisation et la mise en relation des internautes. Le rôle communicationnel du Web est central avec les réseaux sociaux mobilisés pour le centenaire comme par exemple le compte Twitter @1J1Poilu mettant chaque jour à l’honneur un soldat mort pour la France. Le compte @1J1MAM a été lancé par Guillem Salles revendiquant le fait que « l’histoire vit sur les réseaux sociaux »[2]. Le Web participe à la construction du centenaire dans un temps qui se veut collectif et long, en dépassant l’apparent paradoxe entre le besoin d’actualité des médias et le besoin de recul nécessaire au discours historique.
Repenser la commémoration avec La Mission du Centenaire et son site Centenaire.org
Créée en 2012 par le Gouvernement, la « Mission du Centenaire de la Première Guerre mondiale » s’occupe de la mise en œuvre du programme du Centenaire. Elle s’appuie pour cela sur un portail institutionnel de référence : centenaire.org. Nouvelle façon de communiquer et médiatiser la commémoration, ce site favorise une narration plurielle de l’histoire de la Grande Guerre et assure la cohérence du projet. La place du Web est centrale, il se déploie comme médium et média, à la fois support et médiateur, il façonne et rend possible l’événement commémoratif dont il rend compte. En favorisant la publication de textes courts, d’informations graphiques, de visuels et de photographies, il renouvelle le contrat de lecture passé avec l’internaute.
Le Web, espace clé de la maturation de la « petite histoire », entre histoire et mémoire
La « petite histoire » s’attachant aux individus, racontant le particulier et le quotidien, enrichit et complète l’ « H »istoire dite d’en haut, celle des batailles et des grands personnages. Depuis les années 1980, l’intérêt pour la Grande Guerre s’est porté sur les destins des combattants, leurs expériences communes et singulières. Le développement de la « petite histoire » a favorisé l’expansion des récits généalogiques sur ses acteurs et le Web en a facilité la prolifération. En témoigne l’ampleur de sites de généalogie tels FranceGenWeb ou Geneanet qui, en 2010, proposaient aux internautes une enquête sur les soldats dont les noms sont inscrits sur les monuments aux morts. En lien avec la tendance d’une mise en récit de l’expérience personnelle, des carnets de « poilus » ont été mis en ligne, comme sur le site des archives de la Vendée. Le site du Centenaire propose de faire appel à un écrivain public-biographe pour « écrire l’histoire d’un ancêtre soldat de la Grande Guerre ». Sur les réseaux sociaux se sont aussi développés des projets médiatisant des individus. Par exemple les archives du Loir-et-Cher ont édité le journal de l’architecte Paul Legendre via la publication de posts réguliers sur Facebook. Plus connu, le quotidien de Léon Vivien a aussi été relayé sur Facebook, ayant donné lieu à la publication du livre Léon Vivien. Le poilu aux 60 000 fans. Des webdocumentaires ont été créés, reconstruisant des parcours individuels et insistant sur une délinéarisation du récit de la Grande Guerre comme le webdocumentaire interactif Apocalypse, 10 destins. Il s’agit d’impliquer l’internaute pour le re-familiariser autrement avec un événement qui s’éloigne dans le temps. Ces dispositifs innovants insistent sur des mémoires plurielles, polymorphes et individuelles, tout en instaurant une unité soutenue par le Web. Par cette volonté d’investir des mémoires individuelles pour écrire l’histoire d’une expérience collective, notre société se sent dépositaire d’un héritage mémoriel à réactiver, grâce aux outils numériques à notre disposition.
Cette tendance se cristallise de manière exemplaire dans le monument aux morts virtuel. Régis Debray explique que le monument aux morts visait à honorer le nom des soldats tués, à perpétuer leur mémoire, afin de « réduire la mort à une abstraction pour lui faire retrouver le sens du sacrifice collectif »[3]. L’initiative d’un mémorial en ligne réactivée lors du centenaire est révélatrice de notre rapport à la mémoire sur le Web. Les mémoriaux en ligne sont nés de l’idée d’exploiter les potentialités du Web afin de maximiser la récolte d’informations concernant les personnes tuées lors des guerres, pour ensuite les archiver, les organiser et les rendre accessibles à un vaste public. Un site comme Chemin des dames, le mémorial virtuel offre un ancrage dans le temps et l’espace, permettant des recherches historiques ou généalogiques ciblées. Ces initiatives sont de passionnantes propositions mémorielles et médiatiques. Les mémoriaux en ligne deviennent les lieux où mémoires individuelles et collectives s’ancrent et s’exposent, des lieux « où la mémoire travaille »[4]. Ces dispositifs deviennent des outils pour la recherche historique permettant d’envisager un passage de la mémoire à l’histoire.
Le Web, au cœur de la fabrique de la commémoration en événement, permet d’en faire une expérience partagée sur un temps long au sein de l’espace médiatique. Il permet d’exposer des initiatives polymorphes, tout en valorisant le cadre dans lesquels elles sont produites, celui du centenaire.
[1] AUDOIN-ROUZEAU S. et BECKER J.-J., Encyclopédie de la Grande Guerre, 1914-1918 : histoire et culture, Paris : Bayard, 2004, p.5
[2] http://www.france24.com/fr/20150409-rencontres-du-web-14-18-mission-centenaire-1-jour-1-poilu-monuments-morts-indexation-collaborative
[3] DEBRAY Regis, Vie et mort de l’image. Une histoire du regard en Occident, Paris : Gallimard, 1992. p.103
[4] NORA Pierre, Les Lieux de mémoire, t.1 La République, Paris : Gallimard, 1997. p.17