Emmanuel Leclère est Grand Reporter. Il a réalisé en février 2013 une enquête sur le dopage dans le football, « L’enquête interdite », diffusée sur France Culture. A 3 mois de la Coupe du Monde de football au Brésil, et tandis que s’achèvent les Jeux Olympiques de Sotchi, Emmanuel Leclère revient pour Effeuillage sur le rôle des médias dans les affaires de dopage en France et en Europe.
Il existe une sorte « d’omerta » médiatique sur les pratiques de dopage dans le football. Comment traiter ce type de sujet sensible dans un reportage à la radio ?
J’avais depuis quelques années l’idée de réaliser un sujet sur le dopage dans le football. D’un point de vue journalistique, ce qui m’intéressait c’était d’étaler le reportage dans le temps. C’est à dire d’étudier une période donnée à partir de la problématique du dopage dans le football et de convoquer plusieurs exemples qui font sens et se répondent à l’échelle européenne. Le reportage commence au stage de réparation de l’équipe de France de football en Décembre 1997 à Tignes où le médecin contrôleur de l’Agence française anti dopage découvre des potences à hydratation dans l’hôtel de l’équipe. Ce contrôle inopiné avait provoqué un tollé médiatique au travers des réactions très virulentes de l’entraîneur Aimet Jacquet ou de Noël Le Graet (actuel président de la fédération française de football.) J’ai souhaité ensuite revenir sur l’affaire de la Juventus de Turin, 10 ans tout juste après un procès en première instance. Notre correspondante en Italie Anais Feuga a pu obtenir un entretien exclusif avec le procureur (indépendant) en charge du dossier. Cette affaire avait éclaté au début des années 2000 alors que le capitaine de l’équipe de France 98 et actuel entraîneur des «bleus» Didier Deschamps évoluait dans ce club. Les médias italiens avaient publié les taux d’hématocrite suspects de plusieurs joueurs dont Didier Deschamps. Il est vrai que cette information a été peu relayée en France… mais elle n’a jamais non plus été confirmée par les autorités judiciaires italiennes. Les joueurs n’ont finalement jamais été condamnés et l’affaire s’est achevée quelques années plus tard par un vice de forme et de la prescription…
Durant toute cette enquête journalistique, je n’ai pas eu à subir de pression si ce n’est le refus de Didier Deschamps de m’accorder un entretien… mais je sais que ce fut beaucoup plus compliqué pour des confrères dans plusieurs rédactions nationales et régionales ces 15 dernières années dès qu’il s’agissait d’aborder ce sujet en période «d’actualité» lors d’un grand évènement sportif.
J’ai été surpris par contre que les révélations que m’a faites l’ex médecin de l’équipe de l’Olympique de Marseille sur la période 2006/2009 n’aient eu la moindre répercussion… au moins localement.
Le 25 février dernier, le journal Le Monde a été condamné par la justice espagnole à payer une amende de 300 000 euros au Real Madrid, suite à un article du journaliste Stéphane Mandard faisant peser des soupçons de dopage sur plusieurs clubs madrilènes. Assiste – t – on à une tentative d’intimidation des médias ?
La cour espagnole a jugé le fait que le journaliste n’avait pas de preuves. C’est assez logique sur le principe mais pas pour le montant de la condamnation ! Et puis, le problème est ailleurs. Dans son article, le journaliste Stéphane Mandard révèle que le docteur Eufemiano Fuentes, organisateur présumé du réseau de dopage sanguin dont la découverte a entrainé l’éviction de certains favoris du Tour de France en 2006, possédait des plans de «préparation» (NDLR : dopage) physique pour des joueurs du Real Madrid et du FC Barcelone.
Or, la police espagnole n’est jamais allée perquisitionner chez le médecin et dans les clubs après les révélations de Stéphane Mandard. La justice espagnole était aux abonnées absentes… à un point qui ne laisse aucune place au doute. Comme le dénonce mon confrère, on était clairement au cœur d’une affaire d’Etat où les clubs concernés et le pouvoir de l’époque cherchent à «tuer» un grand quotidien français (ils avaient réclamé 3 millions d’Euros !)
Ils signifient au journal, et aux médias en général, qu’ils ne doivent pas venir les chercher sur le terrain du dopage.
Si le journal Le Monde a effectivement pris un risque en révélant cette affaire, certains médias ne participent – ils pas dans une certaine mesure à ce que des scandales liés au dopage soient étouffés ?
Ce que racontent les enquêteurs (Agence Française de Lutte contre le Dopage, Gendarmes), c’est que Marie – Odile Amaury, la présidente du groupe Amaury, possède le quotidien sportif l’Équipe et organise dans le même temps le Tour de France chaque année : pour eux le conflit d’intérêt est évident. Ils rappellent la façon dont ils ont été accueillis lorsqu’ils venaient mettre leur nez il y a quelques années dans les hôtels d’étape à 6 heures du matin… Fraîchement et avec une bonne dose de mauvaise foi.
Pendant le Tour de France 2008, de nombreux gendarmes avaient été dépêchés sur plusieurs étapes clés de montagne pour «empêcher» les coureurs de se doper. Mais selon l’une de mes sources, c’était surtout pour éviter de nuire une fois de plus à l’image du tour, de ses organisateurs et de la France par ricochet.
C’est quand même le journal l’Equipe qui a révélé le premier contrôle positif de Lance Armstrong, de mémoire en 2005. Mais il est vrai que c’était en dehors de la saison cycliste…
Le protéger de quoi ?
Les protéger contre un nouveau scandale comme en1998 avec l’affaire Festina ! Contre les pressions de l’Union cycliste internationale. Son ancien président n’a eu de cesse durant des années de soutenir Lance Armstrong contre ces rares journalistes qui avaient eu l’indélicatesse de mettre en avant certains détails sportifs douteux dans ses performances.
France télévisions dans le cyclisme comme TF1 ou Canal plus dans le football sont des acteurs clés de ces évènements internationaux. Peut on également soupçonner ces groupes médiatiques de ne pas être tout à fait clairs avec les affaires de dopage ?
Le débat n’est pas nouveau et les soupçons non plus… C’est à eux qu’il faut aller poser cette question, En 2008, un journaliste de France 3 avait commencé à s’intéresser de près au dopage et à «fouiller dans les poubelles» du Tour. Je crois qu’il n’a pas recommencé… France télévisions a effectivement un accord de partenariat payant avec Amaury Sport Organisation pour la diffusion du Tour de France depuis des années…
En outre, c’est anecdotique, mais en 2006, Lance Armstrong a bénéficié de l’hélicoptère de France télévisions pour revenir plus vite à la fin d’une épreuve de haute montagne. Il était invité sur le plateau télé de l’après tour… en plaine. Mais Il a donc pu bénéficier ensuite de bien plus de temps de repos, des massages et éventuellement d’auto transfusion ou de doses d’Epo ! Certains médecins anti dopage étaient furieux.