Prenez un plateau de télévision, trois pupitres (avec un buzzer pour chacun) et une voix-off. Ajoutez-y des candidats à la notoriété certaine, une atmosphère chaleureuse et des plaisanteries bon enfant. En apparence, un tel format correspond à un jeu télévisé lambda, censé divertir le téléspectateur. Si de prime abord, un tel format apparaît comme un jeu télévisé lambda, censé divertir le téléspectateur, le Quiz 2012 de « Téléfoot » pose de réelles questions en termes sémioéconomiques
Le jeu, un format attractif
Durant cinq minutes, le « Quizz 2012 » met aux prises neuf candidats, répartis en trois groupes. Chaque semaine, un candidat remporte une des trois manches de sélection, et se qualifie pour la finale du 16 décembre. Apparu l’an dernier sur nos écrans et de retour depuis le 25 novembre, ce format est librement inspiré des jeux télévisés traditionnels. Toutefois, sa spécificité réside dans le choix de candidats très particuliers : les joueurs de l’équipe de France de football.
TF1 est détentrice des droits de retransmissions des matchs de l’équipe de France de football. Dans une logique de mise en valeurs de ces droits, la première chaîne fait la part belle aux Bleus dans son émission dominicale « Téléfoot », d’autant plus que depuis la rentrée, elle ne détient ni les images du championnat de France, ni les droits de diffusion de la Ligue des Champions. Dès lors, l’équipe de France et son actualité nourrissent la ligne éditoriale de l’émission, la conduisant à renouveler ses formats et à innover.
La destruction du mythe de 98
Or, depuis 2010 et à la suite du désastre sportif et moral de Knysna (voir plus bas), l’équipe de France de football fait face à la défiance du public. Comme l’explique Joachim Barbier dans Ce pays qui n’aime pas le foot, l’euphorie du 12 juillet 1998 a nourri une intellectualisation de la victoire, où politiques et intellectuels ont érigé les footballeurs français en idoles politiques et morales, en leur plaquant des valeurs d’exemplarité. La construction de cette image aux dépens de la réalité sportive a conduit le public à considérer l’équipe de France pour ce qu’elle n’était pas, engendrant ainsi une condamnation sans commune mesure au lendemain de Knysna, où les footballeurs français sont devenus des « traîtres à la nation », comme le souligne l’ouvrage éponyme de Stéphane Beaud.
Durant la coupe du Monde 2010 en Afrique du Sud, les footballeurs de l’équipe de France, logés à l’hôtel Pezula à Knysna, ont refusé de s’entraîner afin de protester contre l’exclusion de Nicolas Anelka de l’effectif, sous l’œil des caméras du monde entier.
Dans ce contexte délétère pour les Bleus, TF1 fait face à une problématique de taille : réussir à attirer le téléspectateur pour les matchs de l’équipe de France, alors que celle-ci est clouée au pilori par la doxa. Pour la première chaîne, la logique semble simple : gagner de l’argent grâce aux annonceurs, dont l’apport financier est proportionnel à l’intérêt du public vis-à-vis du match diffusé. Le contexte actuel rend pourtant cette tâche difficile pour TF1, d’autant plus que les droits de retransmission des matchs des Bleus s’élèvent à 45 millions d’euros par an.
Afin de réconcilier les Bleus avec leur public potentiel, TF1 s’attèle à construire une image positive des Bleus durant la grand messe dominicale de « Téléfoot ». Aux interviews inédites succèdent des reportages en immersion dans le quotidien de certains joueurs, où d’aucuns glorifient le maillot tricolore.
Redorer son blason ou s’inscrire dans la tendance générale ?
Le « Quizz 2012 » semble suivre cette logique. Cependant, en y regardant de plus près, ce format introduit un effet pervers nourrissant l’acharnement vis-à-vis des Bleus. Par la figure démocratique du jeu, le « Quizz 2012 » emprunte les codes des jeux traditionnels : le buzzer, le gain de points, les questions de culture générale sanctionnant la qualification, au sein d’un plateau rappelant « Questions pour un champion » (France 3). La promesse de ce format est explicite dans le générique : montrer une image de fraternité entre nos Bleus, où ces derniers s’enlacent, qu’importe leur club, le couleur de peau ou leur ancienneté en équipe de France. Or, contrairement à l’année passée où les Bleus n’étaient interrogés que sur des questions de culture foot, ils font aujourd’hui face à des questions de culture générale : c’est là que le bât blesse.
Si le capital sympathie des joueurs est parfaitement construit durant les cinq minutes de jeu, où les rires, les accolades et les regards complices se succèdent, les Bleus se ridiculisent face aux questions de culture générale, ne sachant pas reconnaître le Premier Ministre Jean-Marc Ayrault ou la chancelière allemande Angela Merkel en photo. Ainsi, en privilégiant la sympathie des joueurs et en tournant en dérision leur inculture, le « Quizz 2012 » nourrit le discours ambiant d’aversion vis-à-vis des Bleus, alors que son objectif initial était de réhabiliter l’équipe de France auprès du public et des annonceurs.
A bien des égards, le format « Quizz 2012 » s’éloigne de sa promesse initiale. En célébrant l’inculture de l’équipe de France, le voici devenu un instant comique au sein de « Téléfoot » qui, bien qu’il prête à sourire, érige le footballeur en idiot culturel, déplaçant la critique du public de l’immoralité supposée du footballeur à leur inculture constatée. En instrumentalisant le format traditionnel du jeu télévisé, TF1 divertit le téléspectateur. Or, cet effet est loin de servir l’objectif stratégique de la chaîne : changer le jugement de ce dernier quant aux Bleus. Un décalage entre ambition et réalisation qui, finalement, ne sert ni le football, ni les objectifs économiques de la chaîne : en dépréciant le football, « Téléfoot » se tire une balle dans le pied.
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Pour prolonger :
Joachim Barbier, Ce pays qui n’aime pas le foot, Hugo Éditions, 2012
Stéphane Beaud, Traîtres à la nations ?, La Découverte, 2011
Dossier « Pourquoi la France déteste ses footballeurs », So Foot n.102, Décembre 2012 – Janvier 2013