« BORN FREE » de M.I.A : un clip à la limite de son format

Le 28 avril 2010, le clip « Born Free »[1] de la chanteuse M.I.A. sort auprès du grand public. La vidéo, réalisée par Romain Gavras, a surpris dès ses premières diffusions, à tel point d’ailleurs, qu’elle a rapidement provoqué une polémique. La surprise est née de ce que l’oeuvre audiovisuelle rompt d’une part avec les codes formels et traditionnels du clip et d’autre part bien avec le « ton » du genre.

A ce titre, il est particulièrement intéressant de se pencher sur ce drôle d’objet qui, en négatif, semble disposer du pouvoir de définir ce qu’est un clip et ce à quoi il doit servir.

Pourquoi le clip a-t-il fait polémique?

Le clip s’ouvre sur ce qui ressemble en de nombreux points à notre monde, ou plus précisément aux marges suburbaines de nos villes nord-américaines depuis lesquelles, au loin et au point du jour, apparaissent les centres d’affaires peuplés de leurs denses buildings. Des policiers, armés comme en tant de guerre, se préparent à donner l’assaut. A ce moment précis du clip, il est encore impossible de savoir qui fera les frais de l’offensive ni pourquoi.

Puis, ça commence: les policiers enfoncent violemment les portes des immeubles et des appartements dans lesquels ils pénètrent pour fouiller, brutaliser et rosser tous ceux qu’ils trouvent sur leur passage jusqu’à ce que, finalement, ils arrêtent un jeune homme d’une vingtaine d’années. Celui-ci est alors traîné de force dans un véhicule blindé dans lequel d’autres jeunes gens se trouvent déjà menottés. Et c’est alors que le spectateur comprend leur crime commun à tous: celui d’être simplement roux. En somme, le clip donne à voir quelque chose de l’absurdité des totalitarismes qui s’abattent de manière arbitraire sur des populations coupables d’être seulement ce qu’elles sont.

La suite du clip, largement inspirée de « Punishment Park » le confirme: les prisonniers sont emmenés dans un champ de mines désert. On leur demande alors de courir dans une direction bien précise. Sceptiques, ils tardent un peu trop à s’exécuter, ce qui leur vaudra l’assassinat, en pleine tête et à bout portant, de l’un des leurs: un jeune enfant. Il n’en faut pas plus pour les convaincre et tous, saisis par l’horreur, s’élancent d’un coup. A leurs trousses, les policiers les regardent tomber et disperser leurs chairs lorsque leurs pas rencontrent une mine.

C’est ainsi la violence de ces images qui a fait naître la polémique autour du clip: est-ce une « violence utile » au regard de la prétention politique du clip consistant à dénoncer les totalitarismes ou, au contraire, un bon coup marketing?

 

Pourquoi « Born free » n’est pas un clip

La question que la polémique soulève est particulièrement intéressante: si l’oeuvre de Gavras avait été considérée comme un film cinématographique, aurait-il fait débat de la même manière? N’est-ce pas, finalement, le statut de clip de la vidéo qui autorise une condamnation symbolique de la violence audiovisuelle qu’elle contient?

La question peut être posée en ces termes car l’oeuvre flirte à la fois avec les codes du clip vidéo et avec ceux du cinéma. Ainsi, si l’on en parle comme le clip de la chanson de M.I.A, dès les premières secondes le contrat de communication semble basculer puisque sur l’image se trouvent apposer ceux qui ouvrent les oeuvres cinématographiques, à savoir « directed by Romain Gavras ». Et l’ambiguïté sur le statut de la vidéo ne sera que renforcer tout au long de l’oeuvre.

En effet, habituellement, le clip est composé d’éléments disparates et constitue un mixage de différents effets visuels. Les plans y sont montés sans que l’unité de lieu ou de temps ne soit forcement respectée. On n’en attend d’ailleurs pas davantage d’un clip vidéo : on peut voir les personnages du clip dans des décors complètement différents, changeant d’un plan à l’autre, parfois sans causalité apparente, sans que cela ne gâche le spectacle.

C’est alors la construction d’un système harmonique entre l’image et le son qui est avant tout recherché, afin de créer un sentiment de concordance entre ce que l’on voit et ce que l’on entend. « L’une des clés de la synesthésie audiovisuelle consiste à tenir compte de la propension de la musique seule à charrier des torrents d’images dans la conscience de son auditeur »[2]. Or dans « Born Free » les moments de synesthésie pure sont rares, et ils sont créés au profit de la narration.

 

Quand le clip se plie aux règles du genre cinématographique

Dans le clip « Born Free », la chanson est reléguée au second plan. Elle devient ainsi une bande-son et se soumet à l’image audiovisuelle – cinématographique – plus qu’elle ne la soumet.

La chanson met ainsi plusieurs secondes à démarrer. Elle est ensuite mise en sourdine, à plusieurs reprises, au profit des éléments sonores du récit (cris des policiers et des personnes violentées, bruit des matraques et des moteurs, etc.) et lorsque l’image le veut, elle va même jusqu’à se taire pour renforcer l’effet visuel de la violence qui nous est montrée. M.I.A a d’ailleurs elle-même choisi de réécrire des fragments de partitions – de produire donc des fragments inédits – pour les besoins propres et spécifiques du clip.

En somme, si l’oeuvre musicale de M.I.A est à l’origine de la réalisation filmique de Romain Gavras, il n’en demeure pas moins que celle-ci a été travaillée, en retour, par le clip afin de venir renforcer l’effet proprement cinématographique de l’oeuvre audiovisuelle renversant ainsi le primat traditionnel de l’oeuvre musicale sur l’oeuvre filmique qui caractérise les clips vidéos.

Le clip de « Born Free » est ainsi à considérer comme un objet limite. En effet, lorsque l’on se réfère à la définition première du vidéo clip, on comprend de quelle manière, celui-ci s’en détache : « Court métrage », nous dit-on, « tourné en vidéo, qui illustre une chanson, présente le travail d’un artiste »[3]. Avec le clip « Born Free », c’est tout d’abord le format long de la vidéo – neuf minutes – qui marque une rupture

avec le clip traditionnel. Ensuite, l’oeuvre, par son format et la mise en scène de son récit, s’apparente plus à un court métrage qu’à un clip à proprement parler. Malgré cela, l’objet « Born Free » est bien désigné comme un « clip » dès lors qu’il est médiatisé comme tel (suivant les canaux de diffusion des clips) et traité comme tel par le public.

S’il dérange, c’est donc précisément du fait de cette ambiguïté qui nous apprend qu’un clip ne doit pas traiter de choses graves. C’est qu’il ne serait pas commun qu’un clip se positionne comme une œuvre qui donne à réfléchir. Il devrait ainsi savoir rester à sa place et demeurer dans le stricte cercle des produits du divertissement, entendus comme un moyen d’illustrer une chanson et comme une pratique de délassement. Mais après tout: pourquoi?

Héléna Vivant, Anne-Sophie Cornut, Yannis Rosamond, Victor Chambon, Gabriel Dang, Marta Brodzinska, Bérangère Crozier

[1] https://www.youtube.com/watch?v=IeMvUlxXyz8

[2] JULLIER, Laurent et PÉQUIGNOT, Julien. « Le clip: histoire et esthétique », Armand Colin, 2013, p 92.

[3] Définition Larousse.