La réalisation du sport à la télévision : interview de Laurent Daum, réalisateur de matchs du Top 14 sur Canal+
Comment passe-t-on du match vécu en stade au spectacle diffusé à la télévision ? Regarder un match depuis son canapé, c’est assister à une rencontre sublimée par le dispositif médiatique, dans laquelle la technologie a grande part. Mise au service de l’événement, elle permet de multiplier les points de vue, les ralentis, les gros plans et les inserts statistiques à l’écran, afin de faciliter la compréhension du match. Mais la réalisation des sports satisfait aussi à une exigence de spectacle, dans laquelle le public est partisan comme rarement à la télévision : elle donne à voir la souffrance, la joie, la déception, l’effort physique. Le rôle du réalisateur serait de donner à voir ce qui échappe au premier coup d’œil, de revenir sur des séquences, de décortiquer, de donner au téléspectateur les clefs de la rencontre et le sentiment d’avoir « vécu » le match.
Effeuillage est allé dans les coulisses du rugby sur Canal+, à la rencontre de Laurent Daum, réalisateur de matchs du Top 14, avec une idée en tête : comprendre son rôle dans le passage du match « réel » au match « de télévision ».
Qu’est-ce que le métier de réalisateur de sport en télévision ?
La fonction principale de ce métier est que le téléspectateur puisse comprendre ce qu’il regarde. Le sport, c’est un jeu avec des règles, un gagnant, un perdant et un enjeu ; c’est quelque chose d’accessible à tous et notre rôle est de rassembler un public large, de connaisseurs et de non spécialistes. Il faut faire preuve de pédagogie dans les éléments sélectionnés et la manière de les mettre bout à bout. Mais il faut aussi se mettre au service du sport que l’on filme et il est essentiel d’en respecter les règles ; il est très facile de faire dire aux images autre chose que ce qu’elles signifient et notre rôle est de retranscrire fidèlement le sport filmé afin de donner les tenants et les aboutissants de la rencontre. Bien sûr, nous cherchons aussi à faire vivre un moment fort au téléspectateur, car le sport c’est aussi du divertissement.
Comment travaillez-vous avec votre équipe lors d’une retransmission sportive ?
Une retransmission sportive mobilise une équipe d’au moins 70 personnes : la majorité d’entre elles sont des techniciens, car nous avons beaucoup d’images à gérer. Et, on l’oublie souvent, le son est essentiel dans un match : c’est ce qui donne l’ambiance, ce qui transmet l’expérience. Par exemple, le public [dans le stade, ndlr] sera plus présent au son qu’à l’image, sauf sur la sortie des joueurs et à la fin du match : nous donnons plus d’importance à l’ambiance qu’ils mettent depuis les gradins qu’à leur présence à l’antenne. Le son, c’est le lien entre le stade et le salon du téléspectateur.
L’équipe se constitue aussi du pôle édition (les journalistes) et du pôle réalisation : un réalisateur, un assistant de réalisation, un scripte et un membre de la production. Nous devons aussi travailler avec des éléments extérieurs : les commentateurs et la direction des sports. Nous sommes à l’écoute des commentateurs : pour dépasser le côté « technique » d’une rencontre, je choisis les images par l’intermédiaire de la parole des journalistes et des commentateurs. Ils nous permettent de poser un vrai « regard » sur le match. Nous ne recevons pas d’instruction précise de la direction des sports : au contraire, nous travaillons ensemble à la compréhension et à la clarté du sport filmé.
Quelles sont les exigences de la réalisation ?
Ce qui fait une bonne réalisation, c’est justement sa clarté. L’essentiel est que le téléspectateur comprenne la supériorité d’une équipe sur une autre et la stratégie des équipes qui mènent à la poursuite de telle ou telle action. Il faut réussir à montrer ce qui n’est pas dû au hasard dans un moment du match et ce qui dépend du facteur de la malchance, comme par exemple rater une pénalité à cause du vent. Privilégier la clarté, en termes techniques, c’est alterner les « plans larges » et les « plans serrés ». Le « plan large » permet de situer tous les joueurs et leur progression sur le terrain, donc de montrer la construction globale du jeu et de mettre en lumière les stratégies de chaque équipe. Ces images sont complétées par des « plans serrés », qui se concentrent sur l’action : ils permettent de donner une explication plus technique de ce qui se passe. Je dis souvent que le réalisateur doit se mettre au service du sport qu’il réalise et non pas se servir du sport réalisé pour se faire remarquer.
Cherchez-vous à créer l’émotion dans votre réalisation ?
Bien sûr. L’émotion est le facteur essentiel pour attirer le téléspectateur ; nous travaillons les ressorts de la sensibilité afin qu’il puisse retenir une image qui va marquer le match. En ce sens, le « plan serré » et le ralenti sont deux outils très utiles : ils permettent de revenir sur une action et même de créer de l’empathie. Mais nous ne réalisons par pour autant le match en fonction d’attentes préconçues du public : quel que soit le match réalisé, il faut essayer de penser que les deux équipes sur le terrain jouent pour gagner leur match ; nous ne cherchons pas à créer une tension supplémentaire où le public serait le troisième pôle de la rencontre. La première de nos motivations, c’est de montrer ce qui se passe sur le terrain ; nous cherchons aussi à mettre en lumière le travail des athlètes et l’intensité de l’effort physique. Plus l’enjeu est grand, plus les tensions sont exacerbées et le doute, la souffrance et la frustration ressortent à l’écran. Notre rôle est de les montrer au téléspectateur afin de lui transmettre l’atmosphère sur le terrain, pas d’en inventer de nouvelles par un effet de montage.